Lors de mon premier jour à la faculté de médecine, la perspective excitante de cette nouvelle aventure était palpable dans l’auditorium. La Dre Sheila Harding, alors doyenne associée de médecine à l’Université de la Saskatchewan à Saskatoon, était sur scène pour nous accueillir. Elle a commencé son discours avec une analogie, celle de tenir une balle dans chaque main. Une balle était en caoutchouc et l’autre … en verre. Elle a expliqué que, non seulement durant nos études de médecine, mais aussi tout au long de notre carrière, nous serions mis à l’épreuve physiquement, mentalement, émotionnellement et, parfois, spirituellement. Elle nous a avertis que nous devions décider des aspects de notre vie à inclure dans chaque balle : nos études, notre famille, nos relations amoureuses, l’exercice, les amis, les voyages, les passe-temps, etc. Certains pourraient être insérés dans la balle en caoutchouc, qu’on pourrait laisser tomber lorsque la médecine (ou la vie en général) deviendrait inévitablement un peu trop stressante et difficile à gérer. Lorsque les choses ralentiront, cette balle rebondira et nous pourrons reprendre ce que nous y avons mis. Toutefois, certaines choses ne devraient pas être insérées dans la balle en caoutchouc. Il faut en prendre soin davantage et les placer dans la balle en verre, parce que si nous échappons celle-ci … elle ne rebondira pas. Quelle réflexion profonde!
Malheureusement, je n’ai pas vraiment compris la valeur de sa métaphore à ce moment-là. Extravertie de type A—comme la plupart d’entre nous en médecine—, je pensais vraiment que je pourrais tout faire. Cinq ans après le début de ma carrière et un divorce plus tard, je crois que je commence à comprendre où la doyenne associée voulait en venir.
J’ai commencé ma pratique à l’été 2018. Même si mon mariage s’était déjà détérioré et avait pris fin durant ma résidence, je n’avais pas encore pleinement saisi les propos de la Dre Harding. Je voulais m’occuper d’une clinique de maternité achalandée, travailler à l’urgence, avoir une clinique de médecine familiale, voyager, participer à un concours de culturisme et essayer de recommencer à faire des rencontres amoureuses.
Conciliation travail-vie personnelle
Je ne me donnais absolument aucun répit et je me suis épuisé le corps et l’esprit. Le service de garde était très éprouvant et je passais souvent mes nuits dans les salles de travail pour me rendre dans une clinique très achalandée le lendemain. Je me surentraînais pour gérer mon stress, mais je le cachais en donnant comme excuse que je me préparais pour une compétition de culturisme. J’obtenais de bons commentaires de mes collègues et de mes patientes et patients et je pouvais parfois trouver des remplaçants pour pouvoir voyager de par le monde. Lorsque l’autre médecin de famille de la clinique de maternité est revenue de son congé de maternité, j’ai goûté pour la première fois le plaisir de ralentir, mais, comme je ne savais pas quoi faire de ce temps libre, je suis devenue médecin suppléante dans d’autres collectivités. J’ai pu prendre des vacances plus longues et pensais que j’étais parvenue à bien comprendre ce qu’on voulait dire par « conciliation travail-vie personnelle ».
Puis vinrent mars 2020 et la COVID-19. À l’instar de la plupart des travailleurs de la santé, j’ai mis les bouchées doubles au travail. Jusque-là, je sentais toujours que j’essayais de comprendre comment être une médecin traitante. Il y avait maintenant cette nouvelle maladie, des issues inconnues et, essentiellement, un nouveau système de soins de santé. C’était éprouvant. Il n’était plus possible de faire des choses comme voyager et voir des amis. Et … Ça allait pour moi. Ce n’est qu’après la première vague, lorsque les activités ont repris, que j’ai enfin compris le message de la Dre Harding. J’avais très bien survécu lorsque la balle en caoutchouc avait été arrachée de mes mains à cause de la COVID-19. Et, quand le temps est venu de recommencer les activités renfermées dans cette balle en caoutchouc, j’ai pu facilement reprendre les choses là où je les avais laissées.
Un poste de médecin suppléant m’a amené à mon lieu de travail et de résidence actuel, Golden, en Colombie-Britannique, sur les territoires traditionnels, ancestraux et non cédés des Premières Nations Ktunaxa et Secwépemc. Le milieu médical d’ici m’a ouvert les yeux à la possibilité de créer une carrière différente de celle que j’avais amorcée, où la garde était partagée, les médecins donnaient suite aux résultats des analyses de laboratoire prescrites par leurs collègues lorsque ceux-ci étaient en vacances et la formation professionnelle continue était appuyée, sans oublier que j’ai pu me mettre au vélo de montagne et au ski. De plus, j’ai un animal de compagnie (Ted) et un nouvel amoureux (Garett).
Conclusion
Ayant amorcé ma cinquième année de pratique cet été, j’ai une meilleure idée de la balle dans laquelle je dois insérer les divers aspects de ma vie. Lorsque je commence à me voir en train de ployer sous le stress de cette profession, je me rappelle la Dre Harding et l’importance de sa leçon.
Notes
Les Cinq premières années de pratique est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien (MFC), sous la coordination du Comité sur les cinq premières années de pratique de la médecine familiale du Collège des médecins de famille du Canada. Cette série a pour but d’explorer des sujets d’une pertinence particulière pour les médecins en début de pratique et susceptibles d’intéresser tous les lecteurs du MFC. Nous invitons tous ceux et celles qui en sont à leurs 5 premières années de pratique à présenter une contribution d’au plus 1500 mots (https://www.cfp.ca/content/Guidelines) au Comité sur les premières cinq années de pratique de la médecine familiale, à firstfive{at}cfpc.ca.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the August 2023 issue on page 582.
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