Abstract
Objectif Présenter un aperçu et une approche concernant les lésions courantes au lit unguéal traitées par les professionnels des soins primaires.
Sources de l’information Une recherche documentaire a été effectuée dans Ovid MEDLINE, et les études ont été classées selon le niveau des données probantes.
Message principal Les traumatismes à l’ongle sont vus couramment dans la pratique des soins primaires; ils exigent un traitement sans retard pour éviter des effets persistants sur le fonctionnement et l’apparence du doigt. En présence d’une blessure à l’ongle d’un doigt, les médecins de soins primaires devraient effectuer un examen physique rigoureux pour déterminer l’étendue de la lésion; faire une anamnèse pour exclure des facteurs de risque manifestes; procéder à un examen neurovasculaire complet pour évaluer le temps de remplissage capillaire à la pulpe du doigt; faire une discrimination tactile en 2 points et comparer avec un doigt intact; et évaluer l’ampleur du mouvement. L’évaluation clinique peut nécessiter une anesthésie locale et un tourniquet. Les lésions au lit unguéal peuvent se présenter de diverses façons; ils comprennent des hématomes sous-unguéaux, des fractures à la phalange distale, des fractures de Seymour et, dans les cas plus graves, une fragmentation ou une avulsion du lit unguéal. Le traitement des hématomes unguéaux lorsque la lame ou tablette de l’ongle est intacte n’exige pas l’ablation de la lame ni l’exploration du lit unguéal; toutefois, une exploration et une réparation sont indiquées pour une lésion au lit unguéal, une fracture proximale impliquant la matrice germinale et une fracture à la phalange distale qui nécessite une stabilisation.
Conclusion Le bout des doigts est essentiel au fonctionnement normal de la main. Les traumatismes unguéaux sont fréquents et peuvent être pris en charge par les médecins de soins primaires. La prise de décision partagée concernant la prise en charge se fonde sur le mécanisme et l’ampleur de la blessure, et vise à prévenir des difformités secondaires.
Les médecins de soins primaires traitent souvent des patients pour des problèmes aux ongles des doigts. Un diagnostic approprié peut atténuer la détresse entourant des conditions bénignes; toutefois, un traitement tardif ou inapproprié peut avoir des effets durables sur le fonctionnement et l’apparence du doigt affecté. Nous présentons, dans cet article, un cas de traumatisme unguéal, de même qu’une approche au traitement, y compris des recommandations quant aux cas où il est indiqué de recourir à l’imagerie et aux demandes de consultation. La prise en charge d’un traumatisme au lit unguéal dépend de l’étendue de la lésion; elle comporte une observation, une trépanation, une exploration et une réparation.
Description du cas
Un patient droitier de 38 ans qui travaille comme paysagiste se présente à votre clinique sans rendez-vous après avoir reçu un coup de marteau direct sur son index gauche alors qu’il était au travail. Il décrit une douleur pulsatile persistante localisée à l’ongle. À l’examen, vous constatez que l’ampleur du mouvement est intacte, quoique limitée par la douleur, et les résultats à l’examen neurovasculaire sont normaux. Par ailleurs, vous remarquez du sang sous la lame de l’ongle, qui est sur le point de tomber (Figure 1). Comment aborderiez-vous cette blessure?
Sources de l’information
Une recherche documentaire a été effectuée dans Ovid MEDLINE à l’aide des mots-clés en anglais nail trauma, nail malignancy, nail reconstruction, nail infection et Seymour fractures. Les études ont été classées selon le niveau des données probantes, soit le niveau I pour les essais randomisés contrôlés ou les revues systématiques, le niveau II pour d’autres essais comparatifs et le niveau III pour les données fondées sur l’opinion ou un consensus d’experts.
Message principal
Anatomie pertinente. L’ongle est une composante importante du bout des doigts; il exerce des fonctions essentielles, comme protéger la surface dorsale, servir de contrepression, augmenter la sensation du toucher et faciliter la motricité fine1. La lame ou tablette de l’ongle se compose de kératine et adhère au lit unguéal sous-jacent. Ce dernier renferme la matrice germinale proximale, responsable de la formation de l’ongle, de même que la matrice stérile distale (un site secondaire de production de l’ongle), responsable de l’adhérence de l’ongle. La zone dorsale du repli unguéal donne à l’ongle son apparence luisante. L’éponychium est le repli proximal de l’ongle, le paronychyum correspond aux replis latéraux et l’hyponychium désigne la pulpe sous le bord distal libre de l’ongle. Le taux de croissance de l’ongle est d’environ 0,1 mm par jour, quoiqu’il puisse varier selon l’âge et le sexe2,3. L’anatomie du bout du doigt et de l’ongle est illustrée à la Figure 2.
Évaluation clinique. L’anamnèse et un examen physique rigoureux sont les premières étapes dans l’évaluation de toute blessure à la main. L’approche habituelle comporte la documentation de l’âge du patient; sa dextérité dominante; son occupation; le moment, le lieu et le mécanisme de la blessure; le degré de contamination; et les traitements tentés auparavant. Parmi les autres questions à poser figurent le statut vaccinal contre le tétanos et les facteurs de risque de guérison anormale des lésions, comme le diabète, l’immunosuppression et le tabagisme. L’examen physique débute par une inspection pour déceler des changements à la peau, une cascade digitale anormale, un cisaillement ou des déformations osseuses. Il faut documenter le degré et l’endroit d’une enflure, d’une ecchymose, de lacérations ou d’autres lésions ouvertes. En ce qui concerne le bout des doigts en particulier, il est essentiel d’observer l’état de la lame de l’ongle pour voir si elle est bien positionnée sous le repli éponychial. Il faut procéder à un examen neurovasculaire complet en évaluant le remplissage capillaire de la pulpe, en effectuant un test de discrimination en 2 points et une comparaison avec un doigt intact. L’ampleur du mouvement actif et passif doit aussi être évaluée.
L’évaluation clinique des blessures au lit unguéal peut nécessiter une anesthésie locale par bloc digital. Un contrôle par tourniquet peut aider à la visualisation en créant un champ dépourvu de sang. De nombreux tourniquets commerciaux sont disponibles en vente libre. Autrement, il est possible d’improviser rapidement au moyen de la technique du gant4, qui consiste à faire porter au patient un gant médical normal, à couper dans le gant un petit trou au bout du doigt affecté et à demander au patient de tenir sa main au-dessus du niveau du cœur, on déroule ensuite le reste du tissu jusqu’au bas du doigt, ce qui crée une exsanguination. Il faut faire l’inventaire des structures blessées, et il est souvent plus descriptif d’utiliser des diagrammes et des schémas plutôt que des mots dans la documentation. Il y a lieu de prescrire des radiographies simples, parce que 50 % des lésions au lit unguéal sont associées à une fracture de la phalange distale (PD) sous-jacente5.
Pathologie des traumatismes au lit unguéal. Les lésions au lit unguéal peuvent se présenter sous différentes formes. Les hématomes sous-unguéaux représentent la forme la plus simple de lésion; ils sont causés par des lacérations au lit unguéal. Étant donné que l’espace restreint du lit unguéal peut difficilement accommoder une augmentation du volume, la pression qui en résulte se traduit par une douleur pulsatile. Une observation est suffisante chez les patients asymptomatiques. Par ailleurs, il est indiqué de procéder au drainage de l’hématome par trépanation pour soulager une douleur de modérée à sévère. La technique de trépanation la plus courante est l’électrocautérisation de Bovie. Autrement, on peut chauffer un trombone jusqu’à ce qu’il soit incandescent. Des techniques de perçage plus simples, à l’aide d’une aiguille à doubles biseaux de calibre 23, ont été décrites : en tenant l’aiguille entre le pouce et le majeur, et stabilisée par l’index appuyé au pouce, on peut tourner l’aiguille comme une perceuse pour pénétrer dans l’ongle6. La méthode est habituellement indolore, mais les patients qui ont aussi subi une fracture de la PD peuvent avoir besoin d’une anesthésie locale; quoi qu’il en soit, les déformations de l’ongle à la suite d’une telle lésion demeurent rares.
L’ablation de la lame unguéale et la réparation du lit de l’ongle restent controversées. Il était auparavant pratique courante d’explorer le lit unguéal porteur de gros hématomes formant plus de 50 % de sa superficie en enlevant l’ongle, les débris adjacents ou les tissus dévitalisés et en irriguant au moyen d’une technique stérile. Un article notoire qui examinait les résultats sur le plan de l’esthétique chez les enfants ayant un hématome sous-unguéal traité par trépanation plutôt que par ablation de la lame de l’ongle et réparation du lit unguéal a fait valoir qu’il n’y avait pas de différence marquée dans les issues7. Durant une période de suivi de 13 à 37 mois, des complications, comme une dépression de l’ongle, une hypertrophie ou une leuconychie, ont été observées sur 4 des 26 doigts opérés par comparaison à 1 seule (dépression de l’ongle) sur 27 doigts non opérés. Toutes les complications étaient transitoires, sauf le cas de leuconychie. Aucune infection ne s’est produite. Plusieurs autres études et lignes directrices préconisent la trépanation seule pour les hématomes sous-unguéaux de toute taille, lorsque la lame de l’ongle adhère au lit unguéal, sans qu’il y ait de lacérations appréciables de l’ongle (données probantes de niveau II)8-11.
Signalons que 50 % des lésions au lit unguéal s’accompagnent d’une fracture de la PD5. Les fractures non déplacées sont prises en charge de manière expectative, tandis que les fractures de touffe et les fractures non déplacées de la PD peuvent exiger une réparation du lit unguéal et une attelle. Les fractures fragmentées de la PD peuvent nécessiter une réduction fermée et une attelle à la lame de l’ongle. Les fractures plus proches de la PD sont souvent réduites et stabilisées au moyen de broches de Kirschner en croix, sans qu’elles croisent l’articulation distale interphalangienne, mais le traitement dépend du contexte clinique5. Par conséquent, il faut que le patient se rende au département d’urgence (DU) ou chez le chirurgien spécialiste de la main le plus proche.
Les fractures de Seymour sont des fractures ouvertes et déplacées qui touchent le cartilage de croissance, lorsque le lit unguéal demeure coincé dans le cartilage de croissance. Ces fractures sont rares; elles ne représentaient que 5,4 % de toutes les fractures de la PD pédiatriques vues dans un seul établissement12. Toutefois, elles sont à risque élevé de complications lorsqu’elles passent inaperçues, notamment l’ostéomyélite et une morbidité considérable résultant de l’arrêt de la croissance ou d’une déformation persistante. Il y a lieu d’envisager ce diagnostic si un enfant présente une déformation du doigt en maillet où la base de la lame unguéale est superficiellement en avulsion par rapport au repli proximal de l’ongle. La confirmation de ce diagnostic par une radiographie latérale montrerait une fracture à l’axe entre la physe et la plaque palmaire de la diaphyse. La prise en charge d’une fracture de Seymour comporte une réduction et une réparation du lit unguéal, une réduction de la fracture et le repositionnement de la lame de l’ongle12,13.
Les lésions les plus sévères peuvent présenter une fragmentation ou une avulsion du lit unguéal. Elles se produisent souvent à la suite d’une blessure à la matrice germinale5. Ces blessures devraient être rapidement confiées au DU pour une réparation, où les fragments d’ongles avulsés peuvent servir comme greffes d’épaisseur totale.
Réparation du lit unguéal. Dans les cas d’hématomes sous-unguéaux, il n’est pas indiqué d’enlever la lame de l’ongle et d’explorer le lit unguéal si la lame et le bord distal sont intacts (données probantes de niveau II)7-11. Par ailleurs, l’exploration et la réparation sont indiquées pour une lésion connexe à la lame unguéale, une fracture proximale touchant la matrice germinale et une fracture de la PD exigeant une stabilisation (données probantes de niveau III)8-14. Avant de tenter d’enlever la lame unguéale, il faut administrer une anesthésie locale et appliquer un tourniquet. Pour l’ablation, il faut pénétrer dans l’hyponychium avec des ciseaux recourbés (côté concave vers le bas) et enlever délicatement l’ongle en actionnant les ciseaux à répétition, en restant juste en dessous de la lame, jusqu’à ce que les marges latérales et l’éponychium soient atteints. Une fois détaché, l’ongle peut être retiré en saisissant la lame unguéale avec une pince hémostatique agrippée juste à côté du repli de l’ongle. La réparation du lit unguéal peut se faire au moyen de sutures résorbables (p. ex. avec du catgut chirurgical de calibre 5-0). Toutefois, il a été démontré qu’une bande adhésive dermique obtient des résultats esthétiques équivalents et nécessite moins de temps d’opération (données probantes de niveau I)15. L’intervention peut se faire dans un DU, une clinique de chirurgie mineure ou une salle d’opération, selon les fractures instables de la PD concomitantes et les lignes directrices de pratique locales8. Après le traitement, la lame de l’ongle originale peut être réappliquée et agir comme attelle pour protéger le site réparé et prévenir l’adhésion entre le repli et le lit de l’ongle. Bristol et Verchere ont décrit une technique de suture transversale en huit pour retenir en place la lame unguéale autologue dans sa position anatomique et prévenir un mouvement distal ou dorsal16. Autrement, si l’ongle original est endommagé ou perdu, une pochette de sutures cutanées adhésives peut être taillée selon la forme de l’ongle, glissée sous l’éponychium et retenue au lit unguéal avec une suture en simple catgut chirurgical. Par ailleurs, il n’a pas été démontré que l’omission de replacer la lame unguéale (ou d’appliquer une suture adhésive) affecte la repousse ou l’apparence (données probantes de niveau II)17. Après la chute d’un ongle, la repousse commence après 3 semaines et prend de 70 à 160 jours7.
Complications. Les déformations unguéales secondaires résultent d’un problème à l’endroit de la production ou du soutien de l’ongle. Les meilleures issues sur le plan fonctionnel et esthétique sont obtenues par la réparation initiale de l’ongle et des lacérations bien rapprochées18. Au nombre des déformations secondaires de l’ongle figurent la formation de sillons causée par un soutien inégal de l’ongle (phalange distale), le fendillement de l’ongle en raison de cicatrices à la matrice, l’absence d’ongle venant de la destruction de la matrice, l’ongle crochu, des kystes et des crêtes unguéaux, l’ongle en pince, la non-adhérence et le ptérygion (fusion entre le repli et la lame de l’ongle). Les lésions au lit de l’ongle résultant d’une blessure par écrasement et accompagnées de fractures sont des facteurs prédicteurs de complications19. Étant donné la lenteur de la croissance des ongles, les résultats peuvent ne pas apparaître avant 6 mois. Il y a lieu de demander une consultation en chirurgie plastique pour les lacérations au lit unguéal ou les fractures, car des interventions de révision pourraient être nécessaires.
Résolution du cas
Vous déterminez que la blessure du paysagiste correspond à une lésion au lit unguéal. Vous lui dites de se présenter au DU le plus près, où une radiographie permettra d’exclure une fracture. Sous bloc digital et avec un contrôle par tourniquet, la lame de l’ongle est enlevée et le lit unguéal est examiné pour voir s’il y a des lacérations (Figures 1 et 3). Un débridement minimal est entrepris et les lacérations simples ou stellaires sont réparées à l’aide de sutures résorbables de calibre 5-0, comme du catgut chirurgical simple (Figure 4). Autrement, il est possible d’utiliser un adhésif dermique pour réduire le temps d’opération. La réparation du lit de l’ongle est protégée en replaçant l’ongle original de 2 à 3 mm de profondeur dans le repli éponychial, qui servira aussi d’attelle s’il y a une fracture sous-jacente (Figure 5); si l’ongle autologue n’avait pas été disponible ou s’il était trop endommagé, une feuille ou toile d’une pochette de sutures adhésives en silicone aurait pu être utilisée. La lame unguéale est retenue dans le repli éponychial avec une suture en catgut au chrome de calibre 5-0 (une bande adhésive dermique aurait pu être utilisée comme solution de rechange), selon la technique de suture transversale en huit de Bristol et Verchere (Figure 6)16. À la suite de la réparation, le patient reçoit les instructions suivantes : laver le bout du doigt chaque jour au savon et à l’eau, et le couvrir d’un petit pansement sec, faire activement des mouvements de l’articulation interphalangienne distale et ne pas prendre d’antibiotiques à moins qu’ils soient prescrits par le médecin. Le patient reçoit une ordonnance de physiothérapie de la main pour faire des exercices de compression et d’amplitude de mouvements et une désensibilisation, et on lui conseille de faire un suivi avec le chirurgien dans 3 à 4 semaines.
Conclusion
Les traumatismes unguéaux sont courants et peuvent être pris en charge par les médecins de soins primaires après une décision partagée avec les patients. Le traitement comporte la prise en charge des lésions à l’ongle en fonction du mécanisme et de l’ampleur de la blessure, et la prévention des déformations secondaires.
Notes
Points de repère du rédacteur
Des données probantes tirées d’essais randomisés contrôlés démontrent que le traitement de gros hématomes au lit sous-unguéal devrait se faire par trépanation plutôt que par ablation de la lame de l’ongle.
L’imagerie par rayons X est importante dans l’évaluation clinique des lésions au lit unguéal, car 50 % des blessures s’accompagnent d’une fracture de la phalange distale.
Les meilleures issues fonctionnelles et esthétiques à la suite d’un traumatisme à l’ongle sont obtenues par une prise en charge appropriée lors de la réparation primaire.
Footnotes
Collaborateurs
Tous les auteurs ont contribué à la revue de la littérature scientifique et à la préparation du manuscrit aux fins de présentation.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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