Présentation du cas
Laura est une ingénieure de 40 ans d’ascendance est-européenne qui vous consulte à la clinique pour demander un dosage de sa concentration sanguine de vitamine D. Elle s’enduit généralement de filtre solaire durant l’été et porte toute l’année des vêtements qui protègent du soleil. Elle est en assez bonne santé, a une alimentation équilibrée et riche en fruits et légumes frais, mais elle souffre de migraines pour lesquelles elle prend des triptans de secours environ 4 fois par année. Son partenaire et elle possèdent une maison dans un quartier de la classe moyenne où ils vivent avec leur fils. Laura vous indique que sa mère prend des suppléments de vitamine D depuis de nombreuses années selon les conseils de son médecin pour améliorer la santé de ses os. En outre, Laura vous dit que sa voisine, une infirmière d’à peu près de son âge, a récemment fait vérifier son taux de vitamine D, qui s’est avéré « très bas », et elle a donc envisagé de commencer une supplémentation de vitamine D.
Laura espère qu’en faisant doser son taux de vitamine D, elle saura combien de suppléments elle doit prendre pour se protéger contre la COVID-19, le cancer et les fractures lorsqu’elle sera plus âgée. Laura s’inquiète que ses taux puissent être bas parce qu’elle évite les rayons directs du soleil et craint de rater une possibilité facile d’améliorer sa santé avec des suppléments qu’elle peut se payer.
Dans plusieurs pratiques de médecine familiale, les demandes de patients qui désirent subir des tests sont fréquentes. Ces demandes peuvent se produire dans le contexte de visites pour des soins préventifs ou encore, elles sont suscitées par des préoccupations des patients. Dans le cas du dosage systématique des concentrations de vitamine D, les ouvrages scientifiques font valoir que ces requêtes sont alimentées par divers facteurs, dont les rapports médiatiques décrivant des études qui relient une carence en vitamine D avec divers problèmes de santé et les médecins qui préconisent la supplémentation1-10. Durant le pic de la pandémie de la COVID-19, des reportages parlaient d’études qui décrivaient des associations entre une carence en vitamine D et la morbidité ou la mortalité due à l’infection à la COVID-1911-14.
De nombreuses organisations qui font la synthèse des données probantes, y compris Choisir avec soin Canada, Ostéoporose Canada, le National Institute for Health and Care Excellence du Royaume-Uni (R.-U.), le Royal Australian College of General Practitioners et le Preventive Services Task Force des États-Unis (É.-U.), recommandent de ne pas faire le dosage des concentrations de vitamine D chez la plupart des patients. Cette similitude dans les recommandations s’explique par les données probantes concordantes qui démontrent que chez les adultes en santé, les faibles taux de vitamine D ne sont pas associés à des maladies, quelles qu’elles soient13,15-21. Plus encore, le Preventive Services Task Force des É.-U. a effectué une revue systématique en 2021 qui n’a cerné aucune étude démontrant que le dosage de la vitamine D améliorait les résultats en santé18. La même étude n’a pas conclu non plus qu’un faible taux causait des préjudices directs.
Coûts et fardeau pour les praticiens
Pour les systèmes de santé qui aspirent à atteindre le quadruple objectif22, la réduction du nombre de dosages de la vitamine D pourrait être un moyen pratique d’y arriver. Des études réalisées au R.-U., aux É.-U., au Canada et en Australie font valoir que jusqu’à 75 % des dosages de la vitamine D pourraient être inutiles9,23-27. Des réductions dans les dosages inutiles de la vitamine D allègent le fardeau des praticiens en éliminant le suivi des résultats, n’ont pas de répercussions sur l’expérience ou les résultats des patients et rehaussent la valeur des dépenses en soins de santé.
Bien souvent, il est plus facile de prescrire un dosage de la vitamine D en réponse à une demande du patient; toutefois, cette pratique est potentiellement préjudiciable pour le patient en raison de l’inutile cascade de tests susceptible de suivre des résultats anormaux28. En outre, en raison de l’absence de données probantes en faveur de mesures de la vitamine D routinières ou de suivi, ces dosages ne sont plus assurés, ou même accessibles, sans renseignements médicaux précis dans certaines régions du Canada, d’où des coûts directs pour des patients qu’ils ne peuvent peut-être pas se permettre29,30. Enfin, les budgets de la santé ne sont pas infinis, et les médecins de famille devraient être conscients de leur rôle d’intendants de ces ressources limitées. Les coûts annuels assez considérables des dosages de la vitamine D s’élèvent, selon les estimations, à environ 17 millions £ au R.-U.31, 104,7 millions AUD en Australie32, 30 millions CAD au Canada25 et 293 millions USD aux É.-U.25.
Dosages inutiles
L’explication peut-être la plus convaincante pour laquelle le dosage systématique de la vitamine D est inutile est que la supplémentation peut être amorcée, quelle que soit la concentration sanguine. En effet, certaines lignes directrices continuent de recommander des suppléments de vitamine D, en particulier dans les climats nordiques comme au Canada, sans égard aux concentrations sanguines13,33. Les suppléments de vitamine D, surtout dans les régions nordiques ou chez les patients à la peau foncée ou pigmentée, sont encore recommandés dans certaines lignes directrices, en dépit de l’absence de lien précis avec les résultats axés sur le patient13,18,34. De fait, une grande étude randomisée a démontré que les suppléments de vitamine D ne réduisent pas le risque de fracture chez les adultes plus âgés, même chez ceux dont les taux au départ étaient faibles ou qui avaient subi antérieurement une fracture35.
Intendance
Les médecins de famille peuvent craindre que la restriction des tests influe négativement sur l’expérience des patients. Toutefois, des données probantes solides concernant les efforts d’intendance en milieu de soins primaires font valoir que les patients sont satisfaits s’ils croient que le médecin a écouté leurs préoccupations, même s’ils n’ont pas reçu le test demandé36-28. À la Figure 1 se trouve une approche à adopter envers les patients qui demandent des soins qui « semblent déraisonnables », proposée par le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs39.
Approche à utiliser lorsque les demandes des patients semblent déraisonnables
Dans un récent article publié par le BMJ, nous avons expliqué diverses stratégies axées sur la pratique en soutien aux médecins de famille et aux intervenants du système de santé qui souhaitent réduire les dosages de la vitamine D40. Des outils d’aide à la discussion peuvent assister les médecins de famille dans les conversations difficiles qui peuvent se produire concernant le dosage de la vitamine D s’ils sont enclins à ne pas prescrire ce test inutile39,41,42. Le partage d’information permet aux patients et aux médecins de mieux comprendre les préoccupations en matière de santé et de conclure une entente sur les objectifs43. En outre, les demandes de dosage de la vitamine D peuvent créer des occasions pour améliorer l’engagement des patients et des moments pour utiliser ses compétences en prise de décision partagée43.
L’Encadré 1 est une reproduction de l’encadré paru dans notre article dans le BMJ; il présente des conseils pour aider les médecins de famille à explorer les préoccupations des patients qui motivent ce genre de demande de tests40. Il y a aussi différentes stratégies expliquées dans notre article, sur les façons de réduire les dosages inutiles de la vitamine D à l’aide d’approches fondées sur des données probantes en matière d’amélioration de la qualité40.
Exemples de questions et réponses pour une conversation avec des patients qui demandent un dosage de la vitamine D
Patient : « J’aimerais passer un test pour connaître mon taux de vitamine D. »
Médecin (options de réponses) :
« On s’intéresse beaucoup à la vitamine D. Qu’avezvous lu ou entendu qui vous a amené à vous poser des questions à ce sujet? »
« J’aimerais comprendre les préoccupations qui vous ont incité à demander ce test. »
Patient : « J’ai entendu dire qu’une carence en vitamine D peut causer [maladie ou inquiétude]. »
Médecin (validation) :
« Oh, je peux comprendre votre inquiétude à propos de [le nommer spécifiquement]. »
« Je pourrais vous donner plus de renseignements à ce sujet et nous pourrions ensuite décider ensemble si vous avez besoin ou non d’un dosage de la vitamine D. »
Médecin (partagez de l’information concise, sans jargon médical) :
Présentez les principaux renseignements au sujet de l’inquiétude précise du patient; la façon dont nous absorbons la vitamine D par l’exposition au soleil ou des suppléments; les groupes à risque élevé qui peuvent présenter une carence en vitamine D (en indiquant si le patient appartient à ces groupes); les meilleures données probantes recommandant de ne pas faire de dosage, mais de prendre des suppléments
Médecin (faites le point et répondez aux questions) :
« Que pensez-vous des renseignements que j’ai présentés? Comment s’appliquent-ils dans votre cas? »
Répondez aux questions du patient et venez-en à une décision partagée
Reproduit de McChesney et collègues40.
Résolution du cas
La conversation se poursuivant avec Laura sur son intérêt pour le dosage de la vitamine D, elle indique qu’elle a une amie qui a reçu récemment un diagnostic de cancer du col, et qu’un de ses oncles est décédé de la COVID-19. Vous passez en revue son dossier et vous constatez qu’elle est due pour un dépistage du cancer du col, ce qui peut être fait à une prochaine visite de suivi. Vous rassurez Laura que parce qu’elle a été vaccinée contre la COVID-19, son risque de maladie grave et de décès est considérablement plus faible, et vous lui expliquez qu’aucune donnée probante n’indique que des suppléments de vitamine D auraient un effet sur son risque futur. Elle souhaite quand même prendre de la vitamine D en hiver, puisqu’elle peut se le payer, et vous lui dites que ce n’est pas nécessaire, mais qu’il a aussi été démontré que cela n’était pas préjudiciable. À une prochaine réunion de la clinique, vous suggérez à vos collègues d’envisager une vérification de la pratique en matière de dosage de la vitamine D, de même qu’une séance de formation pour passer en revue les recommandations actuelles sur le sujet.
Conclusion
Même si le dosage de la vitamine D est plutôt banal, il peut causer des préjudices aux patients en les exposant à des inquiétudes inutiles et à des cascades de tests pouvant causer des torts. Il importe que les médecins de famille soient des intendants actifs des ressources limitées en santé, et l’élimination des dosages systématiques inutiles de la vitamine D est un moyen viable de réduire les coûts des soins de santé, sans indications de répercussions sur les résultats pour le patient.
Notes
Choisir avec soin Canada est une campagne visant à aider les cliniciens et les patients à entamer un dialogue au sujet des examens, des traitements et des interventions inutiles, et à prendre des décisions judicieuses et efficaces pour assurer des soins de grande qualité. Jusqu’à présent, on compte 13 recommandations portant sur la médecine familiale, mais de nombreuses recommandations concernant d’autres spécialités s’appliquent à la médecine familiale. Les articles produits par Choisir avec soin Canada publiés dans Le Médecin de famille canadien portent sur des sujets pertinents à la médecine familiale et dans lesquels des outils et des stratégies ont été utilisés pour mettre en œuvre une des recommandations et amorcer une prise de décision partagée avec les patients. Si vous êtes un professionnel ou un stagiaire en soins primaires et que vous avez suivi des recommandations ou utilisé des outils de Choisir avec soin dans votre pratique et que vous aimeriez partager votre expérience, veuillez communiquer avec nous à info{at}choosingwiselycanada.org.
Footnotes
Remerciements
Nous remercions les Dres Wendy Levinson, Guylène Thériault et Janet Reynolds de leur aide dans la révision de ce manuscrit.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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This article is also in English on page 620.
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