La vaccination joue un rôle essentiel dans la prévention des maladies infectieuses et la protection de la santé publique. Les médecins de famille agissent comme des sources essentielles de renseignements et de conseils lorsqu’il s’agit d’expliquer aux patients les bienfaits de la vaccination. Les médecins de famille comprennent très bien les soins longitudinaux centrés sur la personne, de même que les circonstances médicales et sociales uniques de chaque personne. Ils ont donc des occasions d’aborder les inquiétudes entourant la vaccination, de discuter de ses bienfaits et d’aider les personnes à prendre des décisions éclairées à propos de leur santé et de celle de leur communauté. Des données probantes ont constamment démontré que l’acceptation des vaccins est positivement influencée par la recommandation d’un professionnel de la santé de confiance, comme un médecin de famille1.
Les personnes allergiques aux œufs sont encore plus avisées de demander conseil à un médecin de famille, puisque certains vaccins utilisent des œufs dans leur processus de fabrication. Lorsque les données probantes étaient plus rares, les anciennes lignes directrices sur la vaccination recommandaient d’éviter certains vaccins qui utilisaient les œufs ou leurs dérivés dans leur processus de fabrication, comme le vaccin contre l’influenza et le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR), chez les personnes allergiques aux œufs. Toutefois, les données probantes ont évolué et le Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI) au Canada ainsi que le Joint Task Force on Practice Parameters (JTFPP) aux États-Unis soutiennent que les vaccins courants, dont ceux contre l’influenza, le ROR, et le RORV contre la rougeole, les oreillons, la rubéole et la varicelle, peuvent être administrés de manière sécuritaire aux personnes allergiques aux œufs, bien que des précautions soient nécessaires avec le vaccin contre la fièvre jaune et certains vaccins contre la rage2,3. Quoi qu’il en soit, puisque des perceptions erronées peuvent subsister, cet article a pour but de donner un aperçu de l’allergie aux œufs et de sa relation avec la vaccination, et de résumer les recommandations canadiennes actuelles sur la vaccination des personnes allergiques aux œufs.
La vaccination des personnes allergiques aux œufs
L’allergie aux œufs compte parmi les allergies les plus communes au Canada; elle touche environ 1,2 % des enfants et 0,7 % des adultes4. Cinq vaccins homologués au Canada utilisent des œufs de poule ou des dérivés, comme des embryons de poulet, dans leur processus de fabrication et pourraient donc contenir théoriquement de la protéine d’œuf : les vaccins ROR et RORV, les vaccins contre l’influenza, l’Imvamune (un vaccin de troisième génération contre la variole et la mpox), le vaccin contre la fièvre jaune et 1 type de vaccin contre la rage (RabAvert) (Tableau 1)3,5,6.
Facteurs à considérer dans la vaccination des personnes allergiques aux œufs qui reçoivent un vaccin contenant de l’œuf
Vaccins contre la rougeole, les oreillons et la rubéole et le RORV. Les vaccins ROR et RORV sont produits sur des cultures de fibroblastes d’embryons de poulet; cependant, les vaccins eux-mêmes ne contiennent que peu ou pas de protéines d’oeuf3. De multiples études ont démontré l’innocuité des vaccins ROR ou RORV chez des personnes allergiques aux œufs. Une étude canadienne, menée sur une période de 8 ans auprès de 500 enfants allergiques aux œufs et vaccinés avec le ROR, n’a révélé aucun cas de réactions anaphylactiques7. Une étude prospective auprès de 54 enfants aux États-Unis dont l’allergie aux œufs avait été confirmée et qui avaient reçu des vaccins ROR n’a cerné aucune réaction indésirable, immédiate ou à retardement8.
Les auteurs de l’étude prospective avaient aussi passé en revue la littérature scientifique et avaient recensé des études portant sur un total combiné de 1265 enfants allergiques aux œufs qui avaient reçu des vaccins contre la rougeole ou le ROR8. Parmi les 1265 enfants qui avaient reçu la dose normale complète du vaccin, la vaccination avait été tolérée par 284 dont l’allergie aux œufs avait été confirmée par provocation orale, par 1209 dont l’allergie aux œufs avait été confirmée par un test cutané positif aux œufs et par 1225 ayant des antécédents d’allergie aux œufs. Les auteurs ont conclu que plus de 99 % des enfants allergiques aux œufs peuvent en toute sécurité recevoir des vaccins ROR (IC à 95 % de 99,41 à 99,98)8. Le Guide canadien d’immunisation (GCI), élaboré en se fondant sur les recommandations du CCNI, corrobore que les vaccins ROR ou RORV peuvent être administrés systématiquement aux personnes allergiques aux œufs, sans qu’il y ait de consultation en allergologie, de test cutané ou d’observation prolongée6,9. De même, le JTFPP reconnaît la sécurité de la vaccination avec le ROR ou le RORV chez les personnes allergiques aux œufs, sans précautions ou tests particuliers3. Pour ces personnes, il n’est pas nécessaire de demander une consultation en allergologie avant la vaccination.
Vaccin contre l’influenza. Comme les vaccins ROR et RORV, la plupart des vaccins contre l’influenza sont produits sur des cultures de fibroblastes d’embryons de poulet et peuvent contenir de la protéine d’œuf résiduelle6. Cependant, les études ont constamment démontré l’innocuité de la vaccination contre l’influenza chez les personnes allergiques aux œufs. Une revue effectuée par le JTFPP de 28 études (portant sur un total de 4315 personnes allergiques aux œufs, dont 656 ayant des antécédents d’anaphylaxie) n’a trouvé aucun cas d’anaphylaxie à la suite d’une vaccination contre l’influenza10. La revue du JTFPP incluait 3 études prospectives réalisées au Canada11-13. Tant le GCI que le JTFPP indiquent que le vaccin contre l’influenza peut être administré de manière systématique chez les personnes allergiques aux œufs, sans précautions ou tests particuliers et quelle que soit la gravité d’une réaction allergique antérieure du patient aux oeufs6,10.
Vaccin contre la variole et la mpox. Le vaccin Imvamune (un vaccin de troisième génération contre la variole et le seul vaccin autorisé au Canada pour la prophylaxie de protection ou post-exposition contre la mpox) est produit sur des cellules de fibroblastes d’embryons de poulet et contient potentiellement d’infimes quantités d’œuf14. Par ailleurs, on croit que le risque théorique associé à cette quantité indécelable d’œuf est faible. La Société canadienne d’allergie et d’immunologie clinique et le GCI recommandent tous 2 que l’Imvamune soit utilisé chez les personnes allergiques aux œufs dans les milieux où des vaccins sont administrés systématiquement, quoiqu’une observation prolongée (30 minutes) puisse être envisagée en raison du manque de données6,15.
Vaccins contre la rage. Deux vaccins contre la rage sont approuvés au Canada, l’Imovax (vaccin inactivé cultivé sur cellules humaines diploïdes) et le RabAvert (vaccin inactivé cultivé sur cellules d’embryons de poulet purifiées)16. Puisque le RabAvert, contairement à l’Imovax, est produit avec des embryons de poulet, le GCI recommande d’utiliser l’Imovax chez les personnes allergiques aux œufs, en prophylaxie tant avant qu’après l’exposition, en se fondant sur le risque théoriquement accru d’anaphylaxie6. En prophylaxie post-exposition, si l’Imovax n’est pas accessible, le RabAvert peut être envisagé chez les personnes allergiques aux œufs et son administration est alors suivie d’une surveillance médicale6.
Vaccin contre la fièvre jaune. Une anaphylaxie à la suite d’une vaccination contre la fièvre jaune a été signalée chez des personnes allergiques aux œufs (quoique ces incidents soient rares)17. C’est pourquoi le GCI recommande que toutes les personnes allergiques aux œufs fassent l’objet d’une consultation en allergologie pour une évaluation avant l’administration du vaccin18. Si une personne allergique aux œufs doit être vaccinée contre la fièvre jaune, il existe des protocoles de désensibilisation3, et des données probantes récentes corroborent la sécurité de tels protocoles chez les personnes allergiques aux oeufs19.
Comment prendre en charge les réactions allergiques aiguës
Si les réactions locales et bénignes à la suite d’une vaccination sont communes, l’anaphylaxie est très rare et, selon les estimations, elle se produit à une fréquence de 1 à 3 épisodes par million de doses de vaccin administrées3,5. Parce que l’anaphylaxie se produit rapidement (souvent dans les minutes suivant l’administration)20, toutes les personnes vaccinées devraient être observées pendant au moins 15 minutes après la vaccination5. Des trousses de prise en charge de l’anaphylaxie devraient être accessibles dans tous les centres de vaccination, et tous les vaccinateurs devraient être formés pour reconnaître et traiter l’anaphylaxie. Parmi les signes et les symptômes de l’anaphylaxie figurent des manifestations cutanées (urticaire, angioœdème), respiratoires (toux, respiration sifflante, dyspnée), gastro-intestinales (vomissements, diarrhée) et du système nerveux central (irritabilité, sentiment de désastre imminent)5,21. S’il devait se produire une réaction allergique systémique à la suite d’un vaccin, les étapes de la prise en charge initiale comprendraient l’activation des services médicaux d’urgence, l’allongement de la personne sur le dos et l’administration d’une injection intramusculaire d’épinéphrine (0,01 mg/kg de poids corporel d’une solution à 1:1000 [1 mg/mL]) au milieu antérolatéral de la cuisse5. Le GCI donne plus de renseignements à l’intention des professionnels de la santé au sujet de la prise en charge de l’anaphylaxie5.
Il faudrait demander une consultation en allergologie pour toutes les personnes qui ont des réactions allergiques à la suite d’un vaccin, pour une évaluation plus approfondie. De plus, les personnes allergiques aux œufs devraient consulter un allergologiste pour la prise en charge de cette allergie. Enfin, il existe d’autres manifestations semblables à celles de l’anaphylaxie, comme une réaction due au stress face à l’immunisation, qu’il faut envisager lorsqu’une réaction immédiate survient après la vaccination22.
Conclusion
De vastes recherches corroborent la sécurité de la vaccination de routine chez les personnes allergiques aux œufs. Les vaccins contre l’influenza, le ROR et le RORV peuvent être administrés en toute sécurité chez les personnes allergiques aux œufs, sans faire intervenir un allergologiste, des tests cutanés, des précautions spéciales ou une observation prolongée. En ce qui a trait à l’utilisation de l’Imvamune contre la variole ou la mpox (en prophylaxie pour la protection ou post-exposition), on peut envisager une observation prolongée. Pour les vaccins contre la rage (le vaccin RabVert en particulier) et contre la fièvre jaune, certaines précautions sont recommandées. La vaccination protège les personnes contre des maladies évitables, et contribue à la santé et au bien-être de la communauté. Le GCI, éclairé par les conseils du CCNI, présente régulièrement des actualisations à l’intention des professionnels de la santé concernant des pratiques de vaccination sécuritaires, y compris pour les patients ayant des antécédents d’allergie à une ou plusieurs composantes d’un vaccin.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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This article is also in English on page 10.
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