Question clinique
Comment pouvons-nous utiliser les plus récents agents thérapeutiques pour aider à gérer le diabète de type 2 chez les patients qui vivent avec la fragilité?
Résultats
Il faut individualiser la prise en charge du diabète1. Les agents antihyperglycémiants plus récents (Tableau 1), comme les agonistes des récepteurs du peptide-1 apparenté au glucagon (arGLP1), les inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase-4 (iDPP4) et les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (iSGLT2), sont des options thérapeutiques pour les patients plus âgés en raison de leur faible risque hypoglycémique et de leurs bienfaits outre le contrôle glycémique2-8. Cet article, qui fait la synthèse des points saillants d’un ouvrage publié dans le Canadian Geriatrics Society Journal of CME, est axé sur les iSGLT2 vu leurs indications en évolution8.
Avantages et inconvénients des plus récents agents antihyperglycémiants chez les patients plus âgés
Données probantes
Chez les patients plus âgés, l’hypoglycémie est une source d’inquiétude : les facteurs de risque sont l’isolement, les repas irréguliers, une mauvaise fonction rénale, la polypharmacie et des maladies intercurrentes9. Les agents thérapeutiques plus récents sont associés à un risque plus faible.
Dans des analyses regroupées, une dose de 10 mg de dapagliflozine était bien tolérée par les personnes de 65 ans et plus atteintes de diabète de type 2, et la fréquence de l’hypoglycémie et les taux d’infections génito-urinaires étaient comparables à ceux des participants à l’étude plus jeunes10. Les taux d’événements indésirables liés à la déplétion de volume (hypotension, hypovolémie ou déshydratation) étaient faibles dans tous les groupes d’âge et de traitement, sauf des taux légèrement plus élevés chez les patients prenant de la dapagliflozine par rapport à un placebo (<65 ans : 1,7 c. 1,2 %, respectivement; ≥65 ans : 2,3 c. 1,7 %; et ≥75 ans : 3,1 c. 2,6 %), de même que chez les patients de 75 ans et plus. Il n’y avait pas de risque accru de fracture avec l’utilisation de la dapagliflozine10. Malheureusement, les patients plus âgés et frêles ne sont pas toujours inclus dans les essais cliniques.
Les issues cardiovasculaires avec l’utilisation des iSGLT2 sont uniformes dans tous les groupes d’âge11.
Approche
Chez les patients souffrant de diabète sucré de type 2 et d’obésité, la principale déficience métabolique est la résistance à l’insuline; pour ce groupe, le traitement approprié devrait cibler la résistance à l’insuline (p. ex. metformine)1. Chez les personnes minces, le défaut métabolique principal est une sécrétion d’insuline déficiente; le traitement initial pour ce groupe devrait mettre à contribution des agents qui stimulent la sécrétion d’insuline (p. ex. iDPP4). Les lignes directrices de Diabète Canada recommandent la metformine comme agent de première intention chez les patients atteints de diabète de type 21.
En raison d’un corpus plus vaste de données probantes en faveur de l’utilisation des iDPP4 chez les personnes plus âgées, les lignes directrices de Diabète Canada recommandent d’utiliser d’abord les iDPP4 avant les iSLGT2 comme traitement complémentaire1. L’empagliflozine, un iSGLT2, est spécifiquement mentionnée dans les lignes directrices comme agent à envisager en traitement de deuxième intention après la metformine chez les adultes âgés de moins de 75 ans atteints de maladies cardiovasculaires (CV), dont la fonction rénale est adéquate et qui n’ont pas de comorbidités complexes1. Les lignes directrices canadiennes mentionnent aussi les arGLP1comme agents à considérer chez les adultes plus âgés (≥60 ans) qui ont au moins 2 risques CV, et les données probantes les plus solides préconisent l’utilisation du dulaglutide, du liraglutide et du sémaglutide12. Cette classe de médicaments est principalement accessible sous forme injectable, ce qui peut constituer un problème pour certains adultes plus âgés.
Les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 représentent un ajout important à l’arsenal thérapeutique. En plus d’abaisser l’hémoglobine A1c et de poser un risque hypoglycémique minimal, ils ont des propriétés de protection cardiorénale2. Le profil d’efficacité des iSGLT2 ne change pas selon l’âge des patients11. À notre connaissance, seul l’essai DELIVER (Dapagliflozin Evaluation to Improve the Lives of Patients With Preserved Ejection Fraction Heart Failure) s’est penché sur l’efficacité et l’innocuité d’un traitement avec un iSGLT2 (dapagliflozine) selon l’état de fragilité; l’étude a conclu que l’efficacité du traitement n’était pas diminuée chez les patients dont le degré de fragilité était plus élevé et que l’amélioration dans la qualité de vie liée à la santé était plus importante chez les patients ayant des degrés de fragilité plus élevés13. Les scores sommaires globaux (allant de 0 à 100) des améliorations, ajustés contre placebo dans le questionnaire sur la cardiomyopathie de Kansas City à 4 mois, étaient de 0,3 (IC à 95 % de 0,9 à 1,4) chez les personnes sans fragilité et de 3,4 (IC à 95 % de 1,7 à 5,1; pinteraction=0,21) chez les patients ayant une plus grande fragilité13. La proportion de patients qui ont discontinué la dapagliflozine ou ont subi des événements indésirables augmentait proportionnellement à la fragilité, mais ces événements indésirables n’étaient pas plus fréquents que ceux chez les patients qui recevaient un placebo, quelle que soit la catégorie de fragilité13. L’équilibre entre les risques et les bienfaits quant à la fragilité était en faveur de la dapagliflozine, une constatation qui pourrait remettre en question l’hésitation des cliniciens à amorcer ce médicament chez des patients frêles. Il faudrait un plus grand nombre d’essais contrôlés randomisés qui examinent l’utilisation des iSGLT2 chez les patients de plus de 75 ans.
Les lignes directrices de 2022 de la Société canadienne de cardiologie recommandent l’utilisation des iSGLT2 pour traiter les patients souffrant d’insuffisance cardiaque (IC) ou d’insuffisance rénale chronique (IRC) même s’ils ne sont pas diabétiques14. La revue systématique et la méta-analyse étayant ces lignes directrices indiquaient que, chez les patients souffrant d’IC et ayant une fraction d’éjection ventriculaire gauche égale ou inférieure à 40 %, l’utilisation des iSGLT2 était associée à une réduction de 16 % du risque de mortalité toutes causes confondues (IC à 95 % de 0,72 à 0,97); à une réduction de 16 % du risque de mortalité CV (IC à 95 % de 0,71 à 0,98); à une réduction de 31 % du risque d’hospitalisation due à l’insuffisance cardiaque (HIC) (IC à 95 % de 0,64 à 0,75); à une réduction de 41 % du risque défini selon des paramètres d’évaluation combinant un déclin substantiel dans le taux de filtration glomérulaire estimé (TFGe), une progression vers l’insuffisance rénale ou le décès dû à une néphropathie (IC à 95 % de 0,42 à 0,83)14,15. Ces réductions dans le risque de décès CV et d’HIC sont observées chez les patients âgés de 75 ans ou plus, de même que chez les patients plus jeunes16,17. Chez les adultes souffrant d’IC et dont la fraction d’éjection ventriculaire gauche est supérieure à 40 %, l’utilisation des iSGLT2 est recommandée pour réduire le risque d’HIC14.
Par rapport au placebo, l’utilisation des iSGLT2 chez les adultes atteints d’IRC est associée à une réduction de 36 % du risque défini selon des paramètres d’évaluation combinant un déclin du TFGe, la progression vers l’insuffisance rénale ou le décès dû à l’IRC (IC à 95 % de 0,57 à 0,73); à une réduction de 18 % du risque de mortalité toutes causes confondues (IC à 95 % de 0,74 à 0,90); à une réduction de 15 % du risque de mortalité CV (IC à 95 % de 0,77 à 0,94); à une réduction de 23 % du risque d’infarctus du myocarde non mortel (IC à 95 % de 0,62 à 0,95); et à un risque 37 % plus faible d’HIC (IC à 95 % de 0,58 à 0,70)14. Dans l’essai DAPA-CKD (Dapagliflozin and Prevention of Adverse Outcomes in Chronic Kidney Disease), le temps qu’il a fallu pour obtenir des bienfaits était d’environ 13 mois18. Chez les patients dont la fragilité est sévère, il faudrait tenir compte de l’espérance de vie dans la décision de prescrire19.
Quand des iSGLT2 sont prescrits à des patients qui ne sont pas diabétiques, il est nécessaire de porter attention à la déplétion de volume, à l’hypotension, aux infections génitales mycosiques actives et à de précédentes ischémies critiques des membres14. Pour les patients diabétiques, il ne faudrait pas amorcer des iSGLT2 chez ceux qui ont des antécédents d’acidocétose diabétique, et il peut être nécessaire de réduire la dose du médicament ou de le discontinuer si un iSGLT2 est amorcé chez un patient qui prend déjà de l’insuline ou un sécrétagogue de l’insuline14. L’incidence des acidocétoses diabétiques euglycémiques durant un traitement avec des iSGLT2 est faible et ne semble pas augmenter avec l’âge, mais sa fréquence peut doubler avec un traitement avec des iSGLT2 par rapport à celle observée avec l’utilisation d’autres agents antihyperglycémiants (0,07 c. 0,03 %, respectivement)20. Parmi les facteurs de prédisposition figurent une restriction des glucides, une consommation excessive d’alcool, des régimes cétogéniques, une déshydratation sévère ou une réduction inappropriée de la dose d’insuline.
La perte pondérale est un effet secondaire potentiel des iSGLT2 et un facteur de risque indépendant de chutes, de même que de mortalité et de morbidité accrues20,21. L’incidence de la déplétion de volume due à l’action diurétique des iSGLT2 est faible, mais elle augmente à mesure que s’aggrave la fonction rénale20, et elle peut se produire plus souvent chez les patients de 75 ans et plus (6,8 % avec l’empagliflozine c. 5,7 % avec le placebo)22 en raison de comorbidités, de médicaments antihypertenseurs, d’une réponse altérée à la soif et à des changements dans l’équilibre eau-sodium associés au vieillissement19.
L’utilisation des iSGLT2 n’est pas liée à des taux plus élevés d’infections génito-urinaires chez les personnes plus âgées, quoique chez les patientes dont le diabète est mal contrôlé, des précautions soient recommandées en raison du risque inhérent d’infections23.
Le recours aux arGLP1offre des bienfaits liés à des issues CV combinées; à des risques de mortalité toutes causes confondues, d’infarctus du myocarde, d’AVC, d’artériopathies périphériques et d’IC; et à des issues sur le plan du TFGe et des reins24.
Mise en application
Les lignes directrices canadiennes recommandent la metformine comme agent oral de première intention pour les adultes atteints de diabète de type 21,12. Chez les patients qui souffrent aussi d’une maladie CV, les médicaments additionnels à prescrire pourraient inclure des iSGLT2, comme l’empagliflozine (données probantes de grade A, niveau 1) ou la canagliflozine (grade C, niveau 2) ou un arGLP1comme le liraglutide (grade A, niveau 1)1. Pour les patients qui n’ont pas de maladies CV, les décisions entourant les médicaments à prescrire dépendront des objectifs quant à l’évitement du gain pondéral et à l’abaissement de la glycémie, de même que d’autres facteurs à prendre en compte1.
L’amorce de ces nouveaux traitements pour l’obtention de bienfaits additionnels peut engendrer des inquiétudes entourant la polypharmacie. Il est approprié de clarifier les seuils visés par le contrôle glycémique en se fondant sur l’évaluation de la fragilité et de l’espérance de vie. Des précautions supplémentaires sont nécessaires pour la prescription de ces médicaments dans le monde réel où les personnes plus âgées pourraient être plus fragiles que celles recrutées dans les essais randomisés contrôlés25.
Custódio et ses collègues proposent un algorithme pour l’amorce d’un traitement avec des iSGLT2 chez les patients plus âgés souffrant de diabète de type 226. L’outil SGLT2 Rx, élaboré au Canada et disponible en anglais à https://www.sglt2rx.com, peut aider les professionnels de la santé à comprendre les risques et les bienfaits de ces médicaments selon divers profils de patients27.
Notes
Les Perles gériatriques sont produites de concert avec le Canadian Geriatrics Society Journal of CME, une revue révisée par des pairs publiée par la Société canadienne de gériatrie (http://www.geriatricsjournal.ca). Les articles font la synthèse des données probantes tirées des articles publiés dans la revue Canadian Geriatrics Society Journal of CME et présentent des approches pratiques à l’intention des médecins de famille qui soignent des patients âgés.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the January 2024 issue on page 30.
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