La planification préalable des soins (PPS) a été reconnue comme une priorité dans le rapport final de 2006 du Groupe de travail sur l’information et la sensibilisation du public de la Stratégie canadienne sur les soins palliatifs et les soins de fin de vie1. La compréhension du pronostic par le patient, notamment les attentes liées à ses capacités fonctionnelles futures, ses symptômes et son espérance de vie, constitue un élément important de la PPS2-4. Si le patient ne reçoit pas un pronostic réaliste, il risque de ne pas s’engager dans une démarche de PPS qui l’aiderait à mieux prendre en charge sa maladie, à réduire son anxiété et à éviter des traitements non désirés2,3,5. De plus, le manque d’information à cet égard peut entraîner plus tard des discussions difficiles à propos des objectifs de soins. Dans des directives publiées en 2023 concernant le devoir du médecin de parler au patient de son état de santé et de son pronostic dans le cadre d’une discussion sur les objectifs de soins lorsque le médecin estime que la réanimation cardiopulmonaire n’est pas indiquée, le Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario a souligné l’importance pour le médecin d’être en mesure de communiquer les pronostics de façon adéquate6.
Démarche structurée pour les conversations de PPS
Plusieurs patients souhaitent aborder la PPS lorsqu’ils sont en bonne santé7. Ils attendent également des médecins de famille qu’ils les aident à comprendre leur diagnostic de maladie grave et les effets que celle-ci aura sur eux, et ils souhaitent que les médecins de famille participent à la prise de décision concernant la fin de vie8. Le cabinet du médecin de famille est donc le lieu idéal pour avoir ces conversations. Les relations longitudinales médecin-patient et la connaissance sur le long terme du contexte social, de l’état de santé général et des valeurs personnelles des patients sont des attributs de la médecine de famille qui se prêtent bien à la tenue volontaire et itérative des conversations de PPS7,9. Les cliniciens ont rapporté qu’ils préféraient réaliser ces entretiens dans un cadre multiprofessionnel, et les patients sont favorables à ce type d’approche3,5. Dans une équipe interprofessionnelle de soins primaires, plusieurs cliniciens peuvent participer aux discussions sur le pronostic et le médecin de famille du patient peut compter sur le soutien des membres de l’équipe interdisciplinaire en qui il a confiance. Cette façon de procéder évite qu’un professionnel de la santé n’assume seul la charge de ces discussions complexes. Malheureusement, la plupart des cliniciens ne reçoivent que peu ou pas de formation sur la communication des pronostics, ce qui fait que certains d’entre eux évitent d’avoir ces conversations importantes5.
À notre connaissance, il n’existe pas de démarche détaillée pour guider les cliniciens, étape par étape, dans les discussions sur l’évolution générale des maladies courantes avec leurs patients afin de les aider à prendre conscience de leur pronostic et, par conséquent, de favoriser une PPS éclairée. Les résidents en médecine de famille9, les cliniciens et les patients3 ont manifesté un intérêt pour une démarche structurée et standardisée qui leur permettrait d’apprendre et de réaliser la PPS. Pour orienter les discussions sur le pronostic, nous proposons aux cliniciens l’outil mnémotechnique GUIDE, dont les lettres signifient graphique de l’évolution de la maladie, (offrir) une interprétation, impact, discussion sur la mort et explication de l’incertitude et réponse aux émotions. Cette démarche structurée offre aux enseignants cliniques un outil d’enseignement standardisé qui pourrait non seulement responsabiliser les apprenants et les rendre plus à l’aise lorsqu’ils engagent et entretiennent ces conversations cruciales, mais aussi constituer la base d’une grille pour guider l’évaluation standardisée des compétences des apprenants.
Comment utiliser le GUIDE
Les médecins doivent être prêts à discuter honnêtement et avec empathie des pronostics avec les patients dès le début de leur maladie3,4. L’approche du clinicien et l’information fournie doivent être adaptées aux préférences et aux besoins de chaque patient. Le Tableau 1 explique sommairement les étapes représentées par l’acronyme GUIDE et donne, pour chacune d’entre elles, un exemple de la formulation qui peut être utilisée.
Outil GUIDE mnémotechnique avec exemples de formulation
Graphique de l’évolution de la maladie. Une représentation visuelle de l’évolution de la maladie peut aider certains patients à mieux comprendre leur pronostic. Dans un article de 2003, Lunney et coll. ont décrit 4 types distincts d’évolution de la maladie chez des patients âgés au cours de l’année précédant leur décès10 : la mort subite, le décès lié au cancer, le décès lié à l’insuffisance d’un organe et le décès lié à la fragilisation10. En 2018, Ballentine a décrit un cinquième type d’évolution de la maladie liée aux événements catastrophiques11. Il est possible de trouver des graphiques d’évolution pour les maladies courantes en ligne, par exemple auprès de Pallium Canada12.
(Offrir) une interprétation. Il faut aider le patient à comprendre que, sur le graphique, l’axe des x représente le temps qui s’écoule de gauche à droite, tandis que l’axe des y représente son niveau de fonctionnement (par exemple, son degré d’autonomie dans l’accomplissement des tâches quotidiennes, la facilité ou la difficulté à faire les choses qu’il aime). La courbe représente le parcours d’une personne typique vivant avec une maladie (par exemple, insuffisance d’un organe, cancer, démence, fragilisation).
Impact. Les graphiques de l’évolution de la maladie peuvent aider à orienter les discussions sur le pronostic en donnant un aperçu de la manière dont une maladie peut affecter le fonctionnement et de son impact prévisible au fil du temps. Il faut expliquer au patient que son fonctionnement général va sans doute se détériorer et ses symptômes s’aggraver, signe de la progression de sa maladie. C’est pourquoi il est important d’effectuer la PPS le plus tôt possible, car cela permet au patient de prendre le contrôle de ses soins à mesure que la situation évolue. Les renseignements doivent être adaptés en fonction du patient, car celui-ci peut présenter des comorbidités dont l’évolution est différente et qui peuvent s’influencer mutuellement2. En utilisant l’approche holistique multidisciplinaire propre à la médecine de famille, les équipes sont en mesure d’adapter les discussions aux valeurs, au contexte social et à l’état de santé général du patient, au fil du temps.
Le fait de présenter les meilleurs et les pires scénarios, conformément à la méthode décrite par Schwarze et Taylor, peut aider les cliniciens à expliquer les répercussions d’une maladie sur le fonctionnement quand il y a plusieurs éventualités13. Cette technique invite les cliniciens à décrire le meilleur, le pire et le plus probable des scénarios résultant d’une maladie. Cette conversation doit être réaliste, adaptée au patient et lui permettre d’imaginer toutes les éventualités possibles13.
Discussion sur la mort. La mort est une éventualité de toute maladie grave. En admettant ce fait lors des discussions initiales sur le pronostic, sans nécessairement s’attarder sur la question, on peut aider les patients à comprendre la gravité de leur maladie. Cela peut aussi permettre aux cliniciens d’aborder le sujet de la planification de la fin de vie lors de conversations ultérieures.
Explication de l’incertitude et réponse aux émotions. Les graphiques de l’évolution de la maladie peuvent être utilisés pour donner un aperçu de l’avenir pour un groupe de patients, mais ils ne peuvent pas décrire exactement l’expérience de chacun ou chacune2. Par conséquent, il est préférable de souligner et normaliser l’incertitude du pronostic auprès des patients afin de les aider à garder espoir tout en ayant des attentes réalistes5. Le fait d’admettre l’incertitude du pronostic, lorsque cela est fait avec sensibilité, peut renforcer le lien thérapeutique et faciliter la discussion sur un sujet difficile.
Les discussions sur le pronostic peuvent susciter des émotions fortes, qu’il convient de reconnaître et auxquelles il faut répondre avant de passer à l’étape suivante de la conversation.
Conclusion
La pandémie de COVID-19 a mis en évidence l’importance de la planification future, notamment de préparer des prestataires compétents à entamer des conversations de qualité sur la PPS. Nous présentons ici une démarche dont les éducateurs cliniciens peuvent se servir pour enseigner aux praticiens et aux apprenants en santé comment aider les patients et les familles à comprendre l’évolution probable des maladies graves et comment utiliser cette compréhension pour entamer des conversations éclairées sur la PPS.
Notes
Conseils pour les enseignants
▸ Les médecins doivent communiquer un pronostic aux patients, mais ils reçoivent peu de formation dans ce domaine et évitent souvent ces conversations complexes.
▸ L’outil mnémotechnique GUIDE propose une démarche étape par étape et des exemples de formulation qui peuvent aider les cliniciens à discuter de l’évolution de maladies courantes avec les patients afin de leur faire prendre bien conscience de leur pronostic et de les aider à participer à la planification préalable de leurs soins.
▸ Le fait de faire appel à des membres d’une équipe de soins interdisciplinaire dans la mise en application du GUIDE permet aux médecins de famille de bénéficier du soutien de collègues de confiance.
▸ L’outil mnémotechnique GUIDE peut servir d’outil pédagogique standardisé pour permettre aux apprenants d’être plus à l’aise d’engager ces conversations cruciales. Il peut également servir de base pour élaborer une grille d’évaluation standardisée des compétences des apprenants.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à la Dre Viola Antao, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à viola.antao{at}utoronto.ca.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the January 2024 issue on page 68.
- Copyright © 2024 the College of Family Physicians of Canada