La pénurie de médecins de famille au Canada est bien documentée, et plus de 6 millions de citoyens sont privés des soins et des conseils d’un médecin de famille, pourtant essentiels1,2. En raison de ce déficit, les personnes dépendent de plus en plus des départements d’urgence (DU), ce qui contribue, par conséquent, aux encombrements et aux longs temps d’attente généralisés dans les DU, dont nous sommes tous conscients. Cette défaillance de notre système de santé se traduit par des retards dans la consultation et le diagnostic, des examens et des tests qui prennent plus de temps et, en définitive, une morbidité et une mortalité inutiles.
Parmi les tentatives pour améliorer l’accès aux soins de santé figurent les cliniques sans rendez-vous, les infirmières praticiennes, les aides aux médecins, les pharmaciens et les voies accélérées à l’obtention du permis pour les diplômés en médecine de l’étranger. Mais les progrès sont lents. Les nouveaux diplômés en médecine ne se précipitent pas vers les résidences en médecine familiale. Effectivement, le pourcentage des étudiants en médecine canadiens qui ont choisi une résidence en médecine familiale3 est passé de 38,5 à 31,8 % entre 2015 et 2021. Les exigences de la pratique familiale, comme profession et comme entreprise, sont complexes et laborieuses, et elles deviennent de plus en plus une source de stress à mesure que le nombre des médecins fléchit. Il faut tenir compte du temps imparti à soi-même et à la famille, et établir l’équilibre entre ce temps et ces exigences.
Autre sujet de préoccupation, l’âge de la retraite approche pour un pourcentage considérable des effectifs de MF au Canada, car, selon des données de 2021, jusqu’à 20 % des MF étaient âgés de 65 ans ou plus, une situation qui variait d’une province à l’autre4,5. À l’approche de l’âge de la retraite, certains de ces médecins pourraient peut-être être incités à réduire leurs heures au lieu de fermer leurs cabinets s’il y avait d’autres médecins disponibles pour partager le travail. Personne n’aime laisser ses patients sans professionnel des soins primaires, mais sans aide, le fardeau peut être trop lourd6.
Éloignement des soins complets
Même dans les rangs de la médecine familiale, de nombreux médecins s’éloignent des soins complets traditionnels dans la communauté, où les frais généraux et les fardeaux administratifs sont considérables. Ils orientent plutôt leur pratique vers des domaines ciblés à revenus plus élevés ou vers le travail en milieu hospitalier mieux rémunéré, là où les frais généraux sont inférieurs ou absents, et où il existe une infrastructure de soins en équipe. Ces réorientations les écartent parfois entièrement des premières lignes des soins primaires complets dans la communauté7,8.
Le fait d’avoir moins de MF pour soigner notre population vieillissante, combiné à une complexité croissante des soins aux patients et à une prévalence plus élevée de problèmes de santé chroniques, exerce davantage de stress sur un système de santé déjà en hyperextension9. Il y a même des données probantes selon lesquelles les cliniques de MF, tant anciennes que nouvelles, diminuent en taille et que le volume de consultations par des patients dans ces cliniques est à la baisse10.
Nous avons besoin d’un plus grand nombre de professionnels des soins primaires de grande qualité.
Une autre ressource à explorer
Les médecins généralistes à la retraite—urgentologues pour adultes et pour enfants, internistes, chirurgiens généraux, médecins hospitaliers et peut-être même des médecins de famille qui ont pris trop tôt leur retraite—représentent une autre ressource à explorer. Des données de l’American Medical Association11 indiquent que près de 30 % des médecins prennent leur retraite entre 60 et 65 ans, et que 12 % le font avant d’avoir 60 ans. Ce sont des personnes bien formées chez qui il vaut la peine d’envisager un recyclage. Les médecins qui ont reçu leur permis d’exercer en 1993 ou avant ont eu l’avantage de suivre un internat rotatoire. D’autres, comme moi, ont travaillé comme praticiens généraux pendant plusieurs années avant de se spécialiser.
Aux États-Unis, le programme Physician Retraining and Reentry (PRR, programme de recyclage et de réinsertion de médecins) (https://prrprogram.com), élaboré en collaboration avec la Faculté de médecine San Diego de l’Université de la Californie, aide des médecins expérimentés ayant des formations différentes à se recycler pour travailler avec facilité et compétence dans des pratiques modifiées en soins primaires pour adultes dans des cliniques externes12. Depuis son instauration, en 2014, le programme PRR a aidé plus de 150 médecins ayant une grande diversité d’antécédents et de circonstances à revenir dans des rôles en soins primaires auprès de patients adultes13.
Ce programme reconnaît que les médecins vétérans ont un bagage de connaissances et d’expériences, et qu’ils peuvent aider les personnes dans le besoin. Des médecins qui ont réussi dans leur carrière en chirurgie générale, en médecine d’urgence, en médecine familiale, en pratiques hospitalières et dans d’autres spécialités ont les profils de compétences voulus pour naviguer dans le système de santé et résoudre des problèmes. Ces médecins sont déjà à l’aise avec les soins aux patients, la prise de décision et la communication avec des patients inquiets et vulnérables et leur famille. Ils ont fait preuve de leur engagement envers l’apprentissage et la fluidité pour se tenir à jour et maintenir leurs compétences durant toute leur carrière. Ils ont tous rencontré d’innombrables problèmes médicaux et examiné des milliers de patients.
Le programme PRR donne à des médecins parfois désillusionnés, frustrés ou épuisés dans les branches de la médecine qu’ils avaient choisies la chance de continuer à offrir une assistance communautaire de manière mieux contrôlée, notamment sans quart de garde au DU, pratique hospitalière, obstétrique ou pédiatrie. Les médecins recyclés plus âgés sont plus susceptibles de se trouver à des étapes de leur vie où les stress et les exigences d’une jeune famille sont derrière eux, et d’être mieux disposés à consacrer du temps et à comprendre les préoccupations de santé associées à l’âge de leurs patients adultes et aînés, surtout dans des milieux collaboratifs. La responsabilité de trouver des médecins pour superviser ces médecins en réinsertion hautement qualifiés pourrait incomber soit au candidat lui-même ou au programme qui accepte les candidats.
Bien sûr, il y a des problèmes et des traitements que les médecins en recyclage pourraient ne pas avoir revus depuis des années, mais avoir à lire et à faire des recherches sur ces sujets n’est pas différent de ce nous faisons tous durant nos carrières. Tous ces professionnels de la santé, comme chaque médecin de famille, ont vu des patients souffrant de problèmes inhabituels et ont fait face à ces nouveaux problèmes en lisant, en discutant et en recherchant des réponses et des options.
Si un tel mécanisme était créé au Canada pour offrir à des médecins expérimentés qui ne sont pas des MF une voie vers une pratique à temps partiel ou même à temps plein en soins primaires (avec ou sans la pédiatrie) sans avoir à suivre une résidence de 2 ans en médecine familiale, les normes de cette dernière en matière de connaissances et de soins devraient, bien entendu, demeurer très élevées. Les candidats pourraient être évalués individuellement en fonction d’un examen rigoureux de leur carrière et de leurs antécédents. Ensuite, peut-être, un cours de recyclage de 3 à 6 mois sur les problèmes de santé les plus prévalents chez l’adulte (et, optionnellement, chez l’enfant) pourrait être élaboré, que suivraient les candidats avant leur réinsertion en soins aux patients, avec les conseils et sous la supervision d’un MF.
Dans le programme PRR, les candidats suivent d’abord un cours de révision en ligne, puis entament une période de pratique en observation par un précepteur ou un groupe de précepteurs (pendant 12 à 18 mois), à la suite de laquelle ils passent l’examen de certification de l’American Board of Family Medicine. Un programme semblable pourrait être mis sur pied au pays par le Collège des médecins et chirurgiens du Canada, de concert avec le Collège des médecins de famille du Canada, peut-être avec un examen de certification modifié, qui refléterait les démarcations définies de la pratique familiale.
Évidemment, le coût est à considérer. Les candidats devraient s’attendre à payer des frais pour la portion du recyclage visant le programme de réinsertion et pour l’examen de certification. Pour la pratique en milieux collaboratifs et en observation, ou comme associés de médecins (ou de groupes de médecins), les médecins en réinsertion accepteraient probablement des postes plus modestes, à salaire ou à temps partiel, si les frais de l’Association canadienne de protection médicale et du permis d’exercice étaient couverts.
Conclusion
Un programme de recyclage semblable au PRR accorderait une deuxième carrière à des médecins expérimentés qui, pour diverses raisons, ont quitté leurs domaines de spécialisation. Il pourrait fournir des associés compétents pour réduire la charge de travail des médecins de famille à toutes les étapes de leur carrière et non pas seulement à ceux qui envisagent la retraite. Si cette option de carrière était intégrée dans un modèle plus global de ressources humaines en santé, elle pourrait devenir un choix attrayant pour de nombreux médecins au moment où ils ralentissent leur principale carrière. Selon l’âge au moment de la retraite, une autre tranche de 10 ou même 15 ans de contribution aux soins de santé pourrait être rajoutée, au profit de nombreuses personnes au Canada. Parce que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux aspirent tous à répondre aux besoins du pays en matière de santé, des solutions et des idées novatrices peuvent être utiles. Un programme PRR canadien pourrait-il être élaboré?
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 609.
- Copyright © 2024 the College of Family Physicians of Canada