En 2006, M. Fortier et ses collègues ont publié un article présentant une nouvelle approche pour inciter les Canadiens à améliorer la santé populationnelle et à réduire les coûts en soins de santé1. Ce modèle recommandait la formation d’une collaboration entre les professionnels de la santé traditionnels, comme les médecins et les infirmières praticiennes, qui peuvent faire démarrer un processus de changement comportemental face à l’activité physique, et les professionnels de l’exercice reconnus (PER)*, qui sont bien placés pour offrir le counseling intensif nécessaire pour promouvoir une activité physique soutenue.
L’essai randomisé contrôlé sur le counseling en activité physique (Physical Activity Counselling [PAC]) a été effectué de 2004 à 2006 pour évaluer cette approche2. Les résultats de cet essai, qui ont été publiés dans de nombreuses revues révisées par des pairs3, ont fait valoir que de nombreuses séances de counseling sur l’activité physique avec un kinésiologue étaient efficaces pour accroître la confiance et la motivation des patients à l’endroit de l’activité physique et de son intensité4, et que ce modèle était rentable5. En outre, en 2014, une analyse environnementale des services d’activité physique dans les équipes de santé familiale (ESF) en Ontario a conclu que les kinésiologues accrédités (KinA) sont des professionnels des soins de santé prometteurs6. En raison des résultats de l’essai PAC et de ceux d’autres études de grande qualité, le mouvement appelé L’exercice : un médicament Canada recommande fortement des alliances entre les médecins et les PER. En 2011, on nous a informés que les résultats de l’essai PAC avaient contribué au fait que la kinésiologie était devenue une profession réglementée en Ontario, en 2013, par le College of Kinesiologists of Ontario (communication personnelle; 2011). En 2024, on comptait 5 KinA qui faisaient partie d’une ESF ou d’une clinique de santé communautaire à Ottawa (Ontario).
En 2018, Jattan et Kvern ont démontré l’importance de compter des PER au sein des équipes de soins de santé comme moyen d’aider à transformer les recommandations médicales en actions et d’assister les patients à entreprendre un programme d’exercice efficace7. Les auteurs ont fait remarquer que les médecins ont déjà établi des partenariats avec d’autres professionnels de la santé, comme des diététiciennes et des pharmaciens, et ont cité comme exemples les modalités de consultation en activité physique au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande, qui sont administrées et financées par le gouvernement8-10. Malgré tout, l’intégration durable des PER dans le système de santé canadien ne s’est toujours pas concrétisée.
Cet article a pour but de présenter une actualisation de l’énoncé de principe de 2006 pour mettre en évidence la pertinence d’élargir le système de santé pour inclure les PER dans le contexte actuel. L’intention est d’encourager les intervenants concernés à deviser un plan pour mettre en œuvre cette proposition.
Croissance constante de la base de données probantes en faveur de l’activité physique
Étant donné que, depuis 2006, les nouveaux travaux scientifiques démontrant les effets positifs considérables de l’exercice régulier sur la santé physique et mentale se sont multipliés11,12, l’inclusion de PER dans les milieux de soins de santé est un objectif valable pour aider les patients à choisir des activités physiques appropriées et à s’y adonner. Par exemple, l’exercice fréquent aide à prévenir et à traiter les maladies cardiovasculaires, le diabète et la dépression. En raison des nombreuses données probantes de grande qualité sur le sujet11,12, l’American College of Sports Medicine a déterminé un signe vital lié à l’activité physique, qui peut être incorporé dans les dossiers médicaux électroniques13.
En plus des bienfaits physiques et mentaux de l’inclusion de PER dans les équipes de santé, ces professionnels sont bien placés pour lutter contre le changement climatique et les émissions de gaz à effet de serre en encourageant des modes de transport actifs, comme la marche et le vélo. Les professionnels de l’exercice reconnus peuvent aussi contribuer à contrer l’actuelle épidémie d’inactivité physique que l’Organisation mondiale de la Santé classe comme la quatrième principale cause de morbidité et de mortalité14. En collaborant avec des équipes multidisciplinaires, les PER peuvent aider à atténuer une certaine part de la présente crise en santé mentale et apporter leur assistance dans la prise en charge de la douleur chronique, qui sont toutes 2 des fardeaux pour le système de santé.
Coûts et conséquences de l’inactivité physique
Les taux d’activité physique sont encore très bas au Canada : seulement 11,8 % des Canadiens font des activités physiques de modérées à vigoureuses15, et ces taux ont chuté en raison de la pandémie de la COVID-1916. Les estimations les plus récentes des coûts de l’inactivité physique au Canada se situaient à 3,6 milliards de dollars en 202117. Bien que le changement comportemental soit très complexe et influencé par de nombreux facteurs, l’intégration des PER dans le système de santé aiderait à rendre la population plus active et à réduire les coûts en santé de l’inactivité physique, surtout pour les personnes ayant des incapacités, celles dont le statut socioéconomique est moins élevé et celles ayant des maladies chroniques, parce que ces personnes rencontrent le plus d’obstacles à l’activité physique et sont en moins bonne santé. Des experts conviennent qu’il serait avantageux d’avoir un professionnel spécialisé désigné à l’appui des patients, étant donné la difficulté de changer les comportements, surtout à long terme. Conséquemment, la Société canadienne de cardiologie a inclus, en 2020, la physiologie de l’exercice et la kinésiologie dans son plan thérapeutique multidisciplinaire pour les patients18.
La promotion de l’exercice physique demeure un service valorisé, mais peu utilisé
Bien que les médecins connaissent les bienfaits de l’activité physique, et qu’ils aient à leur disposition les moyens et les interventions nécessaires pour en discuter avec leurs patients19,20, et même s’ils savent que de nombreux patients (c.-à-d. 81 %) croient que l’activité physique les aiderait à gérer leurs facteurs de risque ou leurs maladies21, 20 à 30 % des médecins seulement discutent de forme physique avec leurs patients22. Plus précisément, une étude canadienne a fait valoir que seulement 12 % des médecins prescrivent l’activité physique23, alors que Lindeman et coll.24 ont révélé que les dossiers médicaux électroniques d’à peine 9,6 % des patients avaient au moins 1 mention de l’exercice consignée à un moment ou l’autre. En outre, les médecins qui discutent de l’activité physique avec leurs patients prennent en moyenne 90 secondes seulement pour ce faire25, et habituellement, sous forme de recommandations sans précisions26.
Il n’est pas surprenant qu’un nombre croissant d’études démontrent que les interventions des médecins sont minimalement efficaces pour changer l’activité physique chez leurs patients, surtout à long terme27. Par ailleurs, une récente étude a fait valoir qu’en majorité, les médecins (c.-à-d. 77,3 %) croient qu’il y a certainement des bienfaits à demander une consultation auprès d’un KinA pour leurs patients28.
Épuisement professionnel et incapacité de soutenir le PAC
L’Ontario Medical Association a récemment publié un inquiétant rapport révélant les taux élevés d’épuisement professionnel chez les médecins au cours des dernières années29, proportions qui ont doublé durant tout le pic de la pandémie. Par conséquent, dans le climat actuel, il est moins probable que les médecins aient le temps ou l’énergie voulus pour discuter d’activité physique et, encore moins, pour donner des conseils en fonction des besoins et des préférences de leurs patients, leur offrir du soutien comportemental ou assurer un suivi à cet égard30. Il est évident que les médecins ont besoin de partenaires compétents pour les aider à gérer leur lourde charge de travail et à promouvoir la santé des patients. On compte actuellement quelque 3000 KinA inscrits au College of Kinesiologists of Ontario; ils constituent une ressource inexploitée susceptible d’aider à alléger le fardeau des médecins et d’améliorer les soins aux patients.
L’inclusion de PER dans les équipes de soins pourrait aider les médecins et d’autres employés de la clinique dans leur propre activité physique afin d’atténuer les effets du stress sur leur santé physique et mentale. Cela aurait un effet d’entraînement sur les patients, puisqu’un nombre grandissant d’études ont démontré que les médecins actifs sont ceux qui discutent le plus souvent et avec plus d’aisance de l’activité physique avec leurs patients31,32.
Il convient de signaler que, depuis l’article initial en 20061, la Société canadienne de physiologie de l’exercice a préconisé un engagement dans 3 types de comportements, notamment l’activité physique, la sédentarité et le sommeil, et, pour améliorer la santé de la population et réduire les dépenses en santé, a publié des recommandations fondées sur des données probantes pour chacun des comportements33. Notre équipe a été activement impliquée dans l’énoncé des lignes directrices sur le mouvement et a élaboré une trousse d’outils à l’intention des professionnels des soins primaires pour discuter du comportement lié au mouvement34. La gestion de 1 comportement lié au mode de vie est déjà difficile, et l’amélioration de 3 de ces comportements représente donc tout un défi qui exige des conseils spécialisés et adaptés, de même qu’un suivi que la majorité des médecins et des autres professionnels de la santé ne peuvent pas offrir, mais les PER le peuvent. Plus précisément, les PER peuvent aider les patients à progresser vers les objectifs recommandés de manière durable.
Il existe de nombreuses options qui pourraient et devraient être mises en œuvre pour aider les Canadiens à optimiser leur activité physique, comme l’inclusion de plus de contenu sur le comportement lié au mouvement dans les cursus en médecine35, la modification des normes de certification pour inclure des compétences en promotion du mouvement, la prestation d’une formation en personne pour enseigner aux médecins comment utiliser la trousse d’outils pour les soins primaires, ou comment demander et préconiser ce service34. Les auteurs maintiennent aussi qu’un plus grand nombre de PER devraient être systématiquement intégrés dans les équipes de soins de santé pour aider les patients à adopter et maintenir un comportement de saine mobilité, et que le tout soit financé par les gouvernements des provinces et des territoires. Une telle démarche correspondrait à l’objectif des soins de santé d’une prestation des soins les plus appropriés, par les professionnels les plus appropriés, et concorderait avec le plaidoyer de l’American College of Sports Medicine en faveur d’une collaboration formelle ainsi que de consultations entre les professionnels traditionnels des soins de santé et les PER13. Cette approche de soins partagés imiterait celle utilisée en Australie, où les modalités de consultation auprès des physiologistes de l’exercice agréés ont été renforcées36. D’autres experts au Canada ont aussi proposé comme solution d’intégrer les PER dans les soins de santé7,24,35,37-39.
Pour combler l’écart entre la science et la réalité, nous recommandons que les étudiants de niveaux avancés en kinésiologie, formés en prescription d’exercice et en changement comportemental, soient jumelés aussitôt que possible avec les étudiants en médecine pour les aider à avoir et à maintenir un comportement de saine mobilité, à améliorer leur bien-être et à mieux comprendre le champ de pratique et les compétences des PER, puisque le manque de confiance a récemment été identifié comme étant un obstacle à l’intégration des PER27. Jusqu’à ce qu’il se produise un mouvement vers l’intégration systématique des PER dans les équipes de santé, les médecins peuvent utiliser les navigateurs de recherche afin de consulter les sites Web des associations en kinésiologie pour trouver des kinésiologues dans leur région à qui ils pourront recommander leurs patients.
Conclusion
Comme il y a fort à faire pour rendre la population canadienne active, comme augmenter l’accès au transport actif et la motiver à l’adopter, et changer ses habitudes relatives au temps d’écran, nous pourrions commencer par intégrer des PER dans les cliniques de soins de santé pour aider les patients sur le plan de l’activité physique, et pour alléger le fardeau de travail des médecins.
Pour améliorer la santé populationnelle au Canada et réduire les coûts des soins de santé, nous devons changer le paradigme et nous orienter vers la prévention par la prise en charge du mode de vie grâce à l’intégration de PER dans le système de santé. Nous croyons que les médecins, en collaboration avec des experts en kinésiologie, doivent diriger ce changement, et nous proposons que ces derniers et d’autres intervenants prennent des mesures concrètes pour ce faire, comme mieux faire connaître le champ de pratique et les compétences des KinA. Il faudrait aussi que les associations concernées, comme l’Association for Family Health Teams Ontario et l’Alliance pour des communautés en santé, préconisent l’intégration systématique des PER dans les équipes, plaident auprès du gouvernement pour obtenir du financement, et permettre aux KinA de s’associer avec des ESF ou des centres de santé communautaires et de facturer directement pour leur travail. Nous pourrions économiser des centaines de millions de dollars en soins de santé et améliorer la qualité de vie de tant de Canadiens17. Alors, qu’attendons-nous?
Footnotes
↵* Au Canada, un professionnel de l’exercice reconnu est un kinésiologue accrédité en Ontario ou un physiologiste de l’exercice clinique certifié par la Société canadienne de physiologie de l’exercice dans d’autres provinces. Certains peuvent être des physiologistes de l’exercice clinique agréés par l’American College of Sports Medicine.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the October 2024 issue on page 611.
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