Rentrer en avion d’Attawapiskat, en Ontario, est à la fois un miracle et un pari étonnamment difficile, selon le point de vue. D’une part, il est incroyable que des patients, des infirmières et des médecins puissent prendre un avion sur la côte de la baie James, en Ontario, et arriver à Timmins, Kingston ou Ottawa avant la tombée de la nuit.
D’autre part, c’est un véritable coup de dés. Je surveille l’horizon enneigé, balayé par les rafales, dans l’espoir d’y apercevoir l’avion. Un autre a déjà fait demitour, jugeant l’atterrissage trop risqué. Par conséquent, certains patients et leurs familles, fatigués, remontent sur leurs motoneiges, dans leurs camions ou leurs voitures, en espérant avoir plus de chance le lendemain. Les chiens restent près du hangar, apparemment habitués à observer ce rituel quotidien.
Je viens de passer quelques jours à travailler à l’hôpital ici. Il s’agit essentiellement d’un dispensaire, où l’on sauve des vies avec l’équipement le plus rudimentaire. Les patients les plus malades sont évacués par avion. Ceux qui ont besoin d’examens ou de traitements moins urgents attendent sur le tarmac, en scrutant l’horizon.
Certaines choses se sont améliorées au cours des 25 dernières années : nous pouvons désormais envoyer une radiographie vers le Sud en quelques minutes et consulter un ou une spécialiste par vidéoconférence. Mais l’espérance de vie est encore inférieure de 10 ans à la moyenne canadienne, et la mortalité maternelle est beaucoup plus élevée qu’ailleurs au pays1. Bien des femmes continuent à se rendre seules dans le Sud pour accoucher, faute de services chirurgicaux sur la côte.
Pour un pays qui se définit autant par sa géographie, il est étonnant de constater à quel point nous n’en tenons pas compte. Le manque d’accès aux soins de santé dans le Nord en est un exemple évident. Même à Ottawa, j’ai encore des patients qui doivent venir en voiture de communautés périphériques, non seulement d’Orléans et de Kanata, mais aussi de Cornwall et de Prescott, ces deux dernières se trouvant à plus d’une heure de route. Ce n’est rien pour améliorer leur santé. Ian McWhinney a parlé non pas de 4 principes de la médecine de famille2 mais de 9, dont le fait que les médecins de famille devraient vivre dans la communauté qu’ils desservent3. Bien que cette idée puisse sembler désuète, ne devrions-nous pas nous concentrer sur les patients qui habitent proche de notre lieu de travail?
Il est difficile d’être sélectifs en matière d’accès et de continuité des soins lorsque le système a besoin d’au moins 20 % plus de médecins alors que l’on réinvestit dans les soins primaires4. Toutefois, à mesure que nous restructurons le système, il est important de garder à l’esprit la différence entre continuité des soins et longitudinalité.
Barbara Starfield définit la continuité comme le mécanisme qui nous permet d’acquérir des connaissances. Elle définit la longitudinalité comme le mécanisme par lequel nous parvenons à la compréhension5. Pour moi, la longitudinalité est la continuité tout au long de la vie : aux Pays-Bas, la médecine de famille est appelée levensloopgeneeskunde, ce qui se traduit littéralement par « médecine du cycle de vie ». Alors que nous nous efforçons de restructurer la médecine de famille, veillons à ce qu’elle demeure une affaire de famille. Nous nous entendons sur un point que beaucoup ont constaté à nouveau au cours de la pandémie : la famille est ce qu’il y a de plus important. La famille est une médecine.
Je ne suis pas naïf : Le Canada est un immense pays. Et avec la réalité moderne de la mobilité des patients et des médecins, tout nouveau modèle devra être très flexible. Les soins dans le Nord canadien nécessiteront des solutions particulières en matière d’accès et de transport et devront être gérés localement. Mais il ne fait aucun doute que les patients4 et les médecins6 préfèrent les modèles de soins locaux qui privilégient une dimension humaine.
De retour à l’aéroport, alors que les dés sont jetés et que l’avion atterrit enfin, j’aperçois un jeune patient de la clinique du matin. Il porte encore son chandail à capuchon noir et ses lunettes de soleil et n’interagit pratiquement avec personne. Son angoisse est palpable malgré son apparence confiante et détachée. Il n’a pas été difficile de diagnostiquer qu’il avait besoin de plus d’aide que ce que nous pouvions lui apporter à Attawapiskat. Mais pour l’instant, cela signifie qu’il doit quitter sa famille.
Plus tard, des airs, on pourra scruter la taïga à perte de vue à la recherche de signes de vie. Le paysage dénudé ponctué de mélèzes et de rivières sinueuses et ramifiées n’est interrompu qu’occasionnellement par ce qui semble être une ligne hydroélectrique, ou peut-être une route d’hiver déjà enneigée. Mon patient et moi sommes tous deux émus par ce spectacle et, alors que nous nous assoupissons en pensant à ce qui nous attend, je souhaiterais que nous ayons plus de choses en commun.
Notes
Dépêches est une série trimestrielle publiée sous la coordination du Dr David Ponka, directeur du Centre Besrour pour la médecine familiale mondiale du Collège des médecins de famille du Canada. Elle propose des réflexions personnelles sur le Canada et d’autres pays, qui sont liées au Centre Besrour et à la discipline de la médecine de famille.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the October 2024 issue on page 661.
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