La sécurité des patients est de plus en plus considérée comme un aspect essentiel de la médecine, comme en témoignent les normes internationales de formation. L’Organisation mondiale de la Santé a d’ailleurs publié un guide pédagogique sur la sécurité des patients à l’intention des facultés de médecine1. Au Canada, les normes d’agrément des programmes de résidence en médecine de famille exigent « une formation sur l’amélioration continue, notamment axée sur les systèmes de soins (y compris la sécurité des patients)2 ». Le référentiel de compétences CanMEDS-Médecine familiale et celui du US Accreditation Council for Graduate Medical Education incluent l’analyse des incidents en lien avec la sécurité des patients parmi les compétences3,4.
Hélas, la sécurité des patients n’a pas été intégrée de manière adéquate dans la formation des résidents. Aux États-Unis, des médecins en troisième année d’études supérieures ou plus, à la résidence ou en formation complémentaire, ont été interrogés dans le cadre du Clinical Learning Environment Review de 2022. Il en ressort que seulement 52,3 % d’entre eux ont participé à une enquête interprofessionnelle sur un événement lié à la sécurité des patients5. De nombreux obstacles freinent l’intégration de l’enseignement de la sécurité des patients dans les programmes d’études des facultés de médecine, notamment les exigences éducatives concurrentes, le manque de temps et d’aisance des enseignants, ainsi que le manque de développement local de la culture et des systèmes en matière de sécurité des patients6. Des outils simples et pratiques pour enseigner la sécurité des patients sont nécessaires dans le contexte intense des soins ambulatoires, où les consultations s’enchaînent rapidement.
L’outil
L’analyse des incidents a été intégrée avec succès dans de nombreux programmes de formation sur la sécurité des patients1,7-9. Cela étant dit, elle ne porte généralement pas sur des cas que les apprenants ont directement vécus. Nous partagerons ici notre expérience avec un nouvel outil simple de discussion sur les incidents liés à la sécurité des patients pour les résidents (Figure 1), élaboré à partir de cas vécus directement par des résidents en médecine de famille. Il a été évalué dans un contexte de médecine de famille ambulatoire : un site d’enseignement universitaire affilié à l’Université de Toronto, en Ontario. Une version vierge de l’outil est fournie à l’Annexe 1, et est disponible en anglais dans CFPlus*.
Cet outil d’une page consiste en un diagramme cause et effet, suivi de questions de réflexion. Il peut être utilisé lors de séances d’enseignement prévues ou de façon spontanée, lorsque des incidents surviennent ou dans le cadre de discussions individuelles avec des apprenants (par exemple, après des consultations). Les utilisateurs sont invités à réfléchir à un large éventail de facteurs susceptibles d’avoir contribué à un incident et à se pencher sur les pratiques personnelles et les changements au niveau du système qui auraient pu permettre de le prévenir. Ils sont également invités à envisager la divulgation de l’incident au patient concerné et son signalement par l’intermédiaire de procédures institutionnelles formelles.
L’outil a été présenté pour la première fois à l’équipe de santé familiale universitaire de l’hôpital St Michael lors d’un atelier de développement professoral en septembre 2019, dans le cadre d’une formation de base sur la sécurité des patients et l’analyse des incidents. Des discussions de 30 minutes sur les incidents ont ensuite été organisées tous les 6 mois pour des petits groupes de 2 à 6 résidents pendant le temps d’enseignement protégé avant les demi-journées cliniques. Avant chaque séance, les résidents ont été invités à présenter un cas dans lequel ils avaient été personnellement impliqués. Un guide de l’animateur renfermant des conseils a été remis aux participants du corps professoral avant la discussion (une version modifiée est présentée dans l’Encadré 1). Les groupes de participants devaient chacun remplir l’outil au cours de la séance et le remettre de manière anonyme à l’administrateur des études postdoctorales. Les outils ainsi remplis ont été compilés et examinés à la fin de l’année universitaire par le responsable de la sécurité des patients et par les responsables des études postdoctorales et des résidents, afin de repérer les tendances qui pourraient faire l’objet d’améliorations au niveau des systèmes. Des réunions départementales « Doing Better » sont également organisées deux fois par année pour discuter dans un cadre interprofessionnel et de manière anonyme des incidents liés à la sécurité des patients et impliquant des membres du corps professoral et du personnel.
Conseils pour l’encadrement des discussions avec les résidents au sujet des incidents liés à la sécurité des patients
Avant la séance
Prévoir une période protégée pour des discussions périodiques sur les incidents liés à la sécurité des patients
Inviter les résidents à présenter un cas avant la séance
Le cas échéant, inviter les membres de l’équipe interdisciplinaire à participer, avec le consentement du résident concerné
Si possible, organiser la séance avec des apprenants et des enseignants avec qui de bonnes relations sont déjà établies; sinon, inviter des animateurs qui ne sont pas en position d’évaluation des résidents
Choisir un cas
- Commencer par des cas mineurs et non menaçants pour instaurer un climat de confiance (par exemple, un spécimen mal étiqueté)
— Un « incident évité de justesse » ou une « situation bien reprise » peuvent être des bons choix, car ils sont moins éprouvants sur le plan émotionnel
— Éviter les cas où il y avait un manque de connaissances ou de jugement clinique
— Si les résidents ont du mal à trouver des cas, donner des exemples tirés de discussions antérieures ou de votre propre pratique
Désigner un animateur pour la discussion
- Il peut s’agir d’un membre du corps professoral ou d’un résident avec le soutien du corps professoral
Pendant la séance
Conseils pour l’animation
- Choisir un espace physique qui garantit la confidentialité
- Désigner un résident chargé de remplir l’outil
- S’assurer que le problème est clairement défini avant de commencer à l’analyser
- Utiliser l’outil de manière flexible pour soutenir l’apprentissage (la discussion est plus importante que le fait de remplir les cases)
- Évitez d’accorder trop d’importance à la sélection des catégories dans le diagramme des causes et effets; les causes correspondent souvent à plusieurs catégories et certaines catégories peuvent ne pas s’appliquer
Favoriser la sécurité psychologique
- Définir d’emblée le cadre de la discussion
— Tout ce qui est discuté doit rester confidentiel
— La discussion n’est pas liée à l’évaluation académique
— Cela ne concerne pas les cas qui portent sur la performance d’un résident
— Cette discussion s’intéresse à l’amélioration des systèmes (individuels et plus larges) et non à la recherche de coupables
- Donner l’exemple en partageant ses propres expériences
- Reconnaître et normaliser les émotions difficiles qui peuvent être associées à ces incidents
- Aider les apprenants à recadrer l’échec en tant qu’occasion d’apprentissage et d’amélioration du système
Après la séance
Veiller à ce que les résidents bénéficient d’un soutien approprié s’ils ont été perturbés par la discussion (par exemple, conseiller en bien-être de la faculté, ligne d’assistance téléphonique locale pour les résidents)
Penser à recueillir les formulaires remplis pour permettre de trouver globalement, dans votre établissement, des possibilités d’améliorer les processus liés aux résidents
Évaluation
Une évaluation de l’outil basée sur des méthodes mixtes a été approuvée par le Conseil d’éthique de la recherche d’Unity Health Toronto et a été effectuée entre 2020 et 2022. Les participants ont répondu à un questionnaire par courriel après la discussion et ont pris part à une séance virtuelle de groupe de discussion de 45 minutes enregistrée sur bande audio. Les données quantitatives ont été analysées à l’aide de statistiques descriptives de base. Les données qualitatives ont été transcrites, dépersonnalisées et analysées de manière inductive à l’aide d’un codage thématique descriptif10.
Résultats
Huit professeurs et 21 résidents ont répondu au questionnaire (taux de réponse de 57 % et 35 % respectivement), et 9 groupes de discussion ont été organisés avec des résidents (n=15) et des professeurs (n=6).
La plupart des participants ont trouvé l’outil facile à utiliser et utile pour l’enseignement et l’apprentissage de la sécurité des patients (Tableau 1), affirmant qu’il était « très ciblé » (professeur) et qu’il s’agissait d’un outil « facile à utiliser et efficace » (résident). La plupart des enseignants ont jugé que 30 minutes étaient suffisantes pour effectuer l’analyse (Tableau 1). Plusieurs participants ont apprécié la structure que l’outil fournit pour la discussion, en particulier pour les incidents complexes. « Ce qui est bien avec l’outil, c’est qu’il vous oblige à vous remémorer tous les détails de la situation » (professeur). Tous les participants ont convenu que l’outil aidait les résidents à prendre en compte les facteurs systémiques susceptibles d’avoir contribué aux incidents. La plupart des résidents ont déclaré que l’outil leur permettait d’adopter une approche systématique à utiliser en cas d’incidents futurs liés à la sécurité des patients dans leur pratique (Tableau 1).
Les commentaires des groupes de discussion ont souligné que l’orientation systémique de l’outil aidait à dépersonnaliser les incidents, ce qui rendait les bilans moins stressants. Les participants ont évoqué l’intensité émotionnelle de ces incidents et la valeur de l’outil pour faire passer les résidents d’un état de « culpabilité » à un état propice à l’apprentissage et à l’action. Un participant du corps professoral a déclaré : « Il faut vraiment de la pratique pour être capable d’aborder ce sujet avec moins d’émotion, puis d’analyser les événements et d’en tirer des leçons. L’outil est excellent pour aider les gens à apprendre à faire cela ». Un résident a affirmé : « Le fait d’y réfléchir à un niveau systémique et d’en parler avec quelqu’un permet tout à coup de ramener le problème à une plus petite échelle, les pensées (culpabilisantes) s’apaisent et nous sommes alors en mesure de trouver des solutions. »
Ce déclic psychologique a pu s’opérer dans un espace sécuritaire sur le plan émotionnel. La plupart des participants ont déclaré que le contexte de discussion était rassurant, et personne ne s’est senti personnellement blâmé (Tableau 1). Parmi les facteurs positifs qui y ont contribué, citons la tenue de la discussion dans un espace privé, la présence d’un groupe familier de pairs et d’animateurs, le caractère confidentiel des discussions, leur orientation vers l’apprentissage et leur caractère non évaluatif, la dépersonnalisation des incidents grâce à une approche systémique, la normalisation des discussions sur les incidents et le rôle de modèle joué par le corps professoral. Un résident a expliqué : « Quand […] le personnel présent reconnaît ses propres erreurs ou parle de choses, d’erreurs commises au cours de sa carrière, cela renforce le sentiment de sécurité ».
Un autre a renchéri : « Ce qui produirait vraiment beaucoup d’effet, ce serait d’avoir plus de modèles et de normaliser la possibilité de parler de ses erreurs ». Certains résidents ont estimé que la participation de membres du corps professoral qu’ils connaissaient bien renforçait leur sentiment de sécurité; d’autres ont préféré que les séances soient animées par des membres du corps professoral qui ne jouaient pas un rôle dans leur évaluation. Les résidents et les enseignants participants ont apprécié le fait de disposer d’un moment protégé et régulier pour ces conversations. « Le fait que ces discussions sur les incidents liés à la sécurité des patients aient lieu de façon presque régulière a été très important pour mon apprentissage » (résident).
Les difficultés identifiées étaient principalement liées au formatage de l’outil, à des problèmes techniques et à sa remise. Certains ont fait part de leur incertitude quant à la manière de catégoriser les facteurs ayant contribué aux incidents. Un membre du corps professoral trouvait que l’outil était « rigide ».
Le bilan a notamment permis de constater une augmentation autodéclarée de la probabilité de signalement des incidents liés à la sécurité des patients, tant chez les résidents que chez les enseignants, et les résidents ont indiqué qu’ils seraient plus enclins à modifier leurs pratiques personnelles (Tableau 1) :
Cela a assurément changé la façon dont je vaccine, et le fait de s’assurer que les problèmes abordés ne se reproduiront pas a été très utile.
[Le fait de remplir le formulaire en équipe] a été très utile pour m’aider à développer de nouveaux processus que j’utiliserai à l’avenir.
Conclusion
Un outil simple pour la sécurité des patients, appliqué à des cas réels dans un contexte d’apprentissage soigneusement établi et rassurant sur le plan psychologique, s’est avéré efficace pour enseigner la sécurité des patients aux résidents en médecine de famille. La conception simple de l’outil le rend particulièrement adapté à une utilisation en médecine de famille ambulatoire. L’accent est mis sur le processus plutôt que sur le contenu, ce qui permet de l’utiliser dans de nombreux autres contextes de formation des professionnels de la santé.
Notes
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à la Dre Viola Antao, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à viola.antao{at}utoronto.ca
Footnotes
↵* L’Annexe 1 est accessible en anglais à https://www.cfp.ca. Allez au texte intégral de l’article en ligne et cliquez sur l’onglet CFPlus.
Remerciements
Nous remercions les Drs Tia Pham, Stephanie Godard, et Roarke Copeland pour leur contribution à la planification initiale du projet; Jessica Bytautas pour la réalisation des premiers entretiens; l’équipe de direction des études supérieures de l’Équipe universitaire de santé familiale de l’hôpital St Michael pour son soutien à ce projet; ainsi que tous les professeurs et résidents de l’Équipe universitaire de santé familiale de l’hôpital St Michael qui ont participé à ce projet de recherche.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the October 2024 issue on page 662.
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