Selon le coureur automobile américain Bobby Unser, « la réussite arrive lorsque la préparation rencontre l’opportunité. » Cette attitude lui a permis de remporter trois fois l’Indianapolis 500 au cours de son illustre carrière1. Ce credo trouve écho chez le Dr Brian Rowe, professeur au Département de médecine d’urgence de l’Université de l’Alberta, à Edmonton. Ce dernier a en effet mené une gratifiante carrière de chercheur en soins primaires à force de travail acharné et de collaboration avec des mentors influents.
Dans une étude publiée dans le numéro de mai 2024 du Médecin de famille canadien, Aggarwal et ses collaborateurs ont présenté les contributions de chercheurs en soins primaires très productifs au Canada et ont identifié des personnes dont les travaux ont été largement cités dans la littérature médicale2. Le Dr Rowe y figurait comme le chercheur en soins primaires ayant l’indice h le plus élevé, une mesure qui sert à calculer la productivité et l’impact d’un chercheur ou d’une chercheuse à partir du nombre de citations de ses articles de recherche. Des statistiques supplémentaires sur la carrière du Dr Rowe figurent dans l’Encadré 1, et les articles révisés par les pairs les plus cités dont il est l’auteur principal sont énumérés dans l’Encadré 2.
Dr Brian Rowe, en chiffes : Données en date de janvier 2023.
Nombre de publications : 651
Nombre de publications comme auteur principal : 88
Nombre de citations comme auteur principal : 2508
Nombre total de citations : 27 155
Indice h de l’auteur*, 2007 à 2022 : 87
*L’indice h est calculé en prenant le plus grand nombre d’articles publiés par un auteur ou une auteure qui ont tous reçu au moins le même nombre de citations (h).
Publications les plus citées où il est auteur principal
Rowe BH, Spooner C, Ducharme FM, Bretzlaff JA, Bota GW. Early emergency department treatment of acute asthma with systemic corticosteroids. Cochrane Database Syst Rev 2001;(1):CD002178. Mise à jour de : Cochrane Database Syst Rev 2000;2001(2):CD002178.
Rowe BH, Bretzlaff JA, Bourdon C, Bota GW, Camargo CA Jr. Magnesium sulfate for treating exacerbations of acute asthma in the emergency department. Cochrane Database Syst Rev 2000;(2):CD001490.
Rowe BH, Keller JL, Oxman AD. Effectiveness of steroid therapy in acute exacerbations of asthma: a meta-analysis. Am J Emerg Med 1992;10(4):301-10.
Rowe BH, Spooner CH, Ducharme FM, Bretzlaff JA, Bota GW. Corticosteroids for preventing relapse following acute exacerbations of asthma. Cochrane Database Syst Rev 2001;(1):CD000195. Mise à jour dans : Cochrane Database Syst Rev 2007;(3):CD000195.
Rowe BH, Channan P, Bullard M, Blitz S, Saunders LD, Rosychuk RJ et coll. Characteristics of patients who leave emergency departments without being seen. Acad Emerg Med 2006;13(8):848-52. Publ. en ligne du 2 mai 2006.
Cet entretien avec le Dr Rowe est le quatrième de notre série de cinq entrevues qui mettent en lumière les chercheurs en soins primaires les plus cités au Canada.
Vous êtes une grosse pointure de la recherche en médecine d’urgence depuis plus de 30 ans. Qu’est-ce qui vous a incité à vous engager dans cette voie?
Merci pour ce gentil compliment. Pendant mes études en médecine et ma résidence, je me suis intéressé de manière générale à une grande variété de sujets et j’ai apprécié presque tous mes stages cliniques. Je m’estimais donc destiné à devenir médecin généraliste : pédiatre, interniste général, médecin de famille ou urgentologue. En 1983, j’ai eu la chance d’aller faire un stage en médecine de famille à Little Current, sur l’Île Manitoulin [en Ontario]. Là-bas, j’ai découvert qu’il était possible de combiner la médecine familiale et la médecine d’urgence, ce qui m’a immédiatement plu. J’ai en outre été exposé aux disparités en santé autochtone et aux façons d’y remédier, en particulier l’approche à double perspective. Cette expérience a laissé une empreinte durable sur ma carrière. On m’a aussi encouragé à faire mes stages à Sudbury, en Ontario, et c’est là qu’après l’obtention de mon diplôme, j’ai commencé ma carrière. Pendant ma formation, le concept de « médecine factuelle » venait tout juste de faire son apparition au Canada, et on m’a encouragé à suivre des formations complémentaires en la matière. Après cela, tout s’est enchaîné.
Quelles personnes et expériences ont le plus contribué à votre perfectionnement en tant que chercheur?
Comme beaucoup de cliniciens-chercheurs qui réussissent, j’ai bénéficié de mentors qui ont influencé ma carrière. Mon père, le Dr Richard D. Rowe, un cardiologue pédiatrique de renommée mondiale, a été le premier. Peu après, il y a eu mon frère, le Dr Peter C. Rowe, un pédiatre généraliste qui a joué un rôle déterminant dans notre compréhension de l’encéphalomyélite myalgique (ou syndrome de la fatigue chronique) et d’une maladie apparentée, la COVID longue. Tous deux m’ont appris la valeur de l’effort, l’engagement envers l’intégrité scientifique et l’importance du rôle de clinicien-chercheur. Pendant mes études de baccalauréat en sciences à l’Université Queen’s [à Kingston, en Ontario], je jouais dans une équipe de soccer intercollégial et mon coach était le Dr John Walker. Ce professeur de latin et d’espagnol a été, à sa manière, un guide pour nous, les jeunes étudiants-athlètes. Tout au long de ma formation médicale, j’ai été inspiré par des mentors qui m’ont motivé à chercher la vérité, en particulier les Drs Jane Hadley et William (« Bill ») Feldman. Finalement, lorsque je suis retourné aux études en épidémiologie clinique à l’Université McMaster [à Hamilton, en Ontario], j’ai travaillé avec des mentors généreux et accomplis (les Drs Ruth Milner, Brian Haynes, Andrew Oxman, Charles Goldsmith et Paul O’Byrne) qui m’ont servi de guides dans la poursuite de mon parcours de recherche. Aujourd’hui, mes patients, collègues et mentorés ainsi que les besoins du système de santé me gardent motivé.
Comment la chance ou la bonne planification ont-elles contribué à votre succès en recherche?
Je ne crois pas tellement au rôle de la chance. Cependant, je suis convaincu que la réussite arrive lorsque la préparation rencontre l’opportunité. [Dans mon cas,] en tant que clinicien-chercheur, la préparation consiste à devenir un clinicien qualifié et à développer ensuite les compétences qui me permettront de contribuer aux sciences de la santé. L’opportunité, c’est un milieu où les contributions académiques sont appréciées et récompensées à leur juste valeur, où l’on dispose de temps réservé pour mener des recherches et où l’on dispose de soutien pour la production et la diffusion des connaissances. L’opportunité et la préparation doivent coïncider pour réussir; en l’absence de l’une ou de l’autre, vos efforts sont le plus souvent voués à l’échec. Ma préparation de clinicien-chercheur m’a permis d’occuper diverses fonctions dans le milieu universitaire—directeur de recherche, directeur de thèse, réviseur, rédacteur et bénéficiaire de subventions—, la dernière étant mon plus récent poste de direction, celui de directeur scientifique de l’Institut de la santé circulatoire et respiratoire (ISCR) des Instituts de recherche en santé du Canada, [mandat qui a pris fin en janvier 2024].
Quelle est, à votre avis, votre plus importante réussite en recherche?
Mon équipe de recherche et moi avons utilisé des méthodes de grande qualité pour aborder d’importants sujets et enjeux associés aux services d’urgence, comme les lacunes au niveau des soins et les différences liées au sexe et au genre. Au début, nous avons contribué à la recherche sur la prévention de blessures survenant lors de la pratique de sports et de loisirs (luge, vélo, motoneige, etc). Ensuite, nous avons effectué des revues systématiques et des essais contrôlés randomisés portant sur des manifestations respiratoires aiguës (dont l’asthme et la maladie pulmonaire obstructive chronique) et des problèmes opérationnels (comme l’engorgement des services d’urgence). Plus récemment, nous avons utilisé des méthodes statistiques avancées pour évaluer la prise en charge des migraines. Notre engagement à améliorer l’expérience des patients et leur état de santé a été à l’origine de mes principaux travaux pour les Instituts de recherche en santé du Canada, où j’ai mené des efforts de promotion et de plaidoyer en faveur d’essais cliniques et de stratégies de recherche axées sur les résultats cliniques impliquant des personnes ayant un vécu expérientiel.
Votre carrière de chercheur a connu des remous ou a plutôt été un long fleuve tranquille?
Presque toutes les carrières de chercheur sont ponctuées d’avancées et de reculs. Malheureusement, nous avons tendance à ruminer sur nos échecs et à trop rarement célébrer nos réussites. J’ai connu des échecs tôt dans ma carrière : j’ai soumis ma première demande de subvention importante à de multiples reprises à un organisme subventionnaire ontarien qui, j’en étais convaincu, devrait être intéressé. Après cinq rejets et alors que ma femme et moi prenions de longues vacances prévues depuis longtemps, ma vieille maman a fait parvenir ma demande à la Physicians’ Services Incorporated Foundation à Toronto, [en Ontario]. Le financement accordé par cet organisme a mené à la publication d’un article à titre de premier auteur dans la revue JAMA (Journal of the American Medical Association) et au lancement de ma carrière académique (tout le crédit en revenant à ma mère!). Les rejets de demandes de subvention, de manuscrits et de promotion sont courants dans la carrière de chercheur; ma capacité de résilience et de rétablissement après un rejet a joué un rôle crucial tout au long de ma carrière académique.
De quelle manière pensez-vous que votre travail a influencé les politiques en soins primaires et la pratique dans ce domaine?
Notre programme de recherche a toujours privilégié les méthodes de grande qualité, comme les revues systématiques, les essais contrôlés randomisés et les études prospectives de cohorte, qui génèrent des données probantes pour éclairer la pratique. Les patients impliqués dans les études et les cliniciens en médecine d’urgence ont bénéficié de nos recherches, et l’inclusion de celles-ci dans les lignes directrices de pratique clinique a donné des retombées internationales. De plus, en particulier dans le domaine de la promotion de la santé, nos recherches ont eu une incidence sur la prévention des blessures et la sécurité dans les loisirs, et, pour leur part, nos efforts de plaidoyer ont été bénéfiques pour la qualité de l’air et la santé pulmonaire.
Comment avez-vous géré l’équilibre entre votre carrière et votre vie en dehors du travail?
J’ai épousé Katharyn Webb il y a 33 ans, ce qui fut peut-être la meilleure décision de ma vie (ce qu’elle confirme!). Nous avons deux fils adultes, et tout au long de ma carrière académique, je me suis organisé pour être leur entraîneur de soccer quand ils étaient jeunes, assister à la plupart des événements marquants de notre vie familiale, prendre fréquemment des vacances en famille et demeurer actif en faisant du ski, du vélo, de la natation et, plus récemment, de la randonnée. Mes horaires de travail et de déplacement n’ont pas été faciles pour ma famille, en particulier quand les enfants étaient jeunes. Mais grâce à Katharyn, tout s’est bien passé et nous demeurons une famille très soudée. Nous sommes très fiers de nos fils, Bradley et Stewart. Tous deux sont mariés, ont un emploi et sont « lancés » dans la vie.
Rétrospectivement, y a-t-il des choses que vous feriez différemment?
Oui, il y a certaines choses que je souhaiterais avoir faites différemment. Premièrement, j’aimerais avoir fait davantage et avoir été un meilleur allié lorsque, plus tôt dans ma carrière académique, j’ai été témoin ou victime de comportements déloyaux, sexistes, racistes ou contraires à l’éthique. Deuxièmement, j’aurais négocié plus énergiquement et plus efficacement avant d’accepter certaines fonctions universitaires et administratives. La lourdeur de ces tâches dépasse presque toujours ce qu’on pourrait croire d’emblée, et je ne prenais pas en compte la valeur que j’avais pour les organisations auxquelles je me joignais. À plusieurs occasions, j’ai réalisé après coup que je n’avais pas été assez ferme dans les négociations pour obtenir ce dont j’avais besoin. J’ai appris que c’est avant d’entrer en fonction que l’on est le mieux placé pour négocier; après, le pouvoir de négociation est beaucoup plus faible. Finalement, j’aurais été plus méfiant à l’égard du milieu universitaire et, surtout, j’aurais demandé des offres ou des contrats écrits officiels garantissant que j’étais protégé. En général, je pense que les universitaires surestiment les assurances verbales formulées par leurs dirigeants. La documentation signée des contrats et des ententes [devrait être] obligatoire. Je conseille dorénavant mes mentorés sur la façon de se préparer à ces emplois en négociant âprement, en posant des questions dès le départ et en signant un contrat formel.
Quels conseils avez-vous pour toute personne qui envisage une carrière dans le domaine de la recherche en soins primaires?
La première chose qui me vient à l’esprit, c’est de les encourager. En combinant la médecine clinique et la recherche, on obtient une carrière diversifiée, intéressante et gratifiante. La principale leçon que j’en ai tirée est que ça en vaut la peine! Deuxièmement, la formation en méthodologie de recherche est d’une importance cruciale pour obtenir financement et reconnaissance académique. Sans formation, il est beaucoup plus difficile de réussir. Troisièmement, soyez résilients. Les rejets et les échecs sont monnaie courante dans cette carrière, et les chercheurs qui réussissent développent des stratégies pour les surmonter. En cas de rejet, acceptez les critiques et retenez les points positifs, puis travaillez plus fort pour réussir la prochaine fois. Quatrièmement, visez haut en matière de méthodologie et de mobilisation des connaissances. Même si vos idées sont peut-être trop nouvelles ou trop originales pour un écosystème de recherche relativement conservateur, faites confiance à vos résultats et persévérez. J’ai en tête une phrase célèbre qui va dans ce sens : quand on n’a pas de preuves, on met le poing sur la table; quand on a des preuves, on met les preuves sur la table. Cinquièmement, collaborez, collaborez, collaborez. Même si j’ai apprécié mes collaborations en médecine d’urgence, j’ai aussi bénéficié des interactions avec des collègues en santé publique, en médecine (par exemple pneumologie, cardiologie, médecine générale interne, neurologie), en soins infirmiers et dans de nombreux autres domaines, y compris avec des personnes ayant un vécu expérientiel. Ma carrière a été enrichie par ces collaborations et ça continue encore aujourd’hui. Sixièmement, entourez-vous d’une équipe créative, bien informée et avec laquelle il fait bon travailler. Finalement, contribuez toujours à la formation de la prochaine génération de scientifiques. J’ai adoré être mentor pour les étudiants d’été, les étudiants diplômés et les résidents. Leurs contributions continuent d’ouvrir de nouveaux horizons et d’insuffler énergie et enthousiasme dans les recherches menées par notre équipe et dans les organisations que nous représentons.
Notes
Entrevues d’influence est une série limitée publiée dans Le Médecin de famille canadien et coordonnée par la Section des chercheurs (SdC) du Collège des médecins de famille du Canada. En mettant pleins feux sur les cinq chercheurs canadiens en soins primaires les plus cités, la SdC souhaite célébrer leurs contributions et inspirer d’autres à s’engager dans ce domaine. Apprenez-en davantage sur la SdC au https://www.cfpc.ca/fr/member-services/committees/section-of-researchers.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the October 2024 issue on page 666.
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