Des programmes d’aide aux patients (PAP) sont fournis par de tierces parties dont les services sont retenus par contrat par des fabricants de médicaments pour aider en ce qui concerne la couverture des assurances, les franchises et le counseling. Certains PAP informent aussi les patients au sujet des essais cliniques ou aident au contrôle de l’adhésion à la médication. De tels programmes simplifient la prescription et la fourniture des médicaments, ce qui les rend pratiques tant pour les médecins que pour les patients.
Bien que le recours aux PAP administrés par des tiers ait pour objectif de préserver l’indépendance des patients par rapport aux fabricants de médicaments, certains renseignements personnels sur la santé (RPS) sont communiqués aux sociétés pharmaceutiques. En raison de la grande diversité des services offerts, les formulaires d’inscription demandent un consentement global de recueillir, d’utiliser et de divulguer des RPS. Deux commentaires publiés dans le Canadian Medical Association Journal en 2022 relevaient des inquiétudes concernant la commercialisation des données sur les patients au Canada et l’utilisation grandissante du consentement « global » ou « en bloc »1,2. Les patients canadiens ont indiqué qu’ils souhaitaient avoir des renseignements précis concernant ce à quoi ils s’engagent en apposant leur signature, qui aura accès à leurs renseignements et les fins auxquelles leurs données serviront3.
Potentielles inquiétudes liées à la protection de la vie privée
La collecte par les PAP de données sur les patients suscite des inquiétudes. Il se peut que les médecins de famille soient impliqués dans l’établissement de liens entre leurs patients et un PAP pour les aider à avoir accès à des médicaments, à des services ou aux 2. De plus, certains PAP acceptent que des médecins consentent au nom des patients, mais donner ce consentement place les médecins dans une position potentiellement vulnérable sur le plan de la confidentialité des patients. C’est pourquoi nous croyons que tous les médecins qui dirigent des personnes vers des PAP devraient être au courant des préoccupations relatives à la protection de la vie privée.
Que comporte un consentement valable?
Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVP) a publié des lignes directrices sur l’obtention d’un consentement valable pour la collecte, l’utilisation et la communication de données personnelles4,5. Ces lignes directrices précisent la nécessité de fournir des renseignements détaillés sur la nature des RPS recueillis, les tiers avec qui les données seront partagées et, à quelles fins exactement cette information sera utilisée. Elles stipulent que les personnes doivent avoir le choix de consentir ou de retirer leur consentement « en ce qui concerne la collecte, l’utilisation ou la communication [de renseignements personnels] qui n’est pas nécessaire pour fournir le produit ou le service » et la possibilité de revoir leur consentement si des changements aux pratiques en matière de protection de la vie privée étaient apportés ou en cas de nouvelles utilisations4,5. Enfin, lorsque les RPS sont recueillis au Canada, mais qu’ils sont stockés et qu’on y a accès dans d’autres pays, les lignes directrices du CPVP précisent que les personnes doivent en être informées au moment de la collecte des données si des autorités étrangères étaient susceptibles d’y avoir accès6.
Nous avons procédé à une vérification des formulaires de consentement de PAP dans le cas de 23 médicaments utilisés pour traiter des patients atteints de maladies rares; ces médicaments sont fabriqués par 14 sociétés pharmaceutiques différentes et sont accessibles par l’entremise du programme des médicaments coûteux pour maladies rares de la Colombie-Britannique7. Les formulaires ont été obtenus auprès des médecins prescripteurs et évalués en fonction des lignes directrices du CPVP4-6. Les formulaires avaient été publiés à partir de 2015 et ultérieurement (mais la version de 6 formulaires ne portait pas de date) et étaient accessibles sur demande auprès des PAP. D’autres renseignements concernant les formulaires inclus dans cet audit se trouvent au Tableau 1 complémentaire, disponible en anglais dans CFPlus.*
Pour être conformes aux lignes directrices du CPVP, il fallait que les formulaires fournissent des renseignements précis et complets sur : les RPS recueillis; les façons dont les RPS étaient utilisés; les tiers auxquels ils étaient communiqués et à quels endroits; la durée de leur rétention et les façons d’en disposer rétroactivement au moment du retrait du consentement; et l’exigence que les patients soient avisés avant d’apporter des changements dans la collecte, l’utilisation ou la communication des RPS. Le recours à des questions ouvertes ou à un langage très général dans la formulation du consentement ou la description des termes, comme « y compris, sans s’y limiter » et « sujet à des changements futurs sans notification ou nouvelle demande de consentement » était considéré inacceptable. Des extraits sont fournis en exemples dans le Tableau 1 complémentaire*.
Aucun des formulaires ne répondait à toutes les priorités stipulées par le CPVP pour un consentement valable4-6, et plusieurs sujets de préoccupation ont été relevés dans les 23 formulaires, comme ci-dessous.
Manque de clarté quant aux RPS précis à recueillir. Les formulaires utilisaient des termes généraux pour décrire la collecte des données, comme « renseignements personnels » recueillis aux fins des « objectifs du programme » sans préciser les renseignements en question ni les objectifs en cause. Dans d’autres exemples, certains détails étaient fournis, mais laissés indéfinis (p. ex. « y compris, sans s’y limiter ») et il était donc impossible de savoir exactement quels RPS étaient recueillis.
Manque de clarté entourant la raison précise ou à quelles fins les RPS sont recueillis, utilisés et communiqués. Des phrases imprécises étaient utilisées, comme « l’utilisation de données personnelles à des fins comme (sans s’y limiter) la commercialisation, le signalement d’événements indésirables » ou « et à toutes autres fins ». Dans 20 formulaires sur 23 (87 %), des énoncés placés dans la section en petits caractères concernant la politique sur la protection de la vie privée indiquaient que des données dépersonnalisées sur les patients pourraient être utilisées à des fins commerciales et communiquées aux fabricants. Les « utilisations commerciales » comprenaient « les études de marché, l’expérience des utilisateurs, l’amélioration du programme ou le contrôle de la qualité » et « à d’autres fins » du PAP non définies.
Omission de divulguer avec quelles tierces parties les RPS sont partagés. Dans certains cas, le partage des données était imprécis, décrit comme une communication avec « d’autres tierces parties » ou « incluant, sans s’y limiter », ce qui signifie qu’il était impossible de savoir qui aurait accès aux RPS.
Incapacité des patients d’adhérer ou de se soustraire à des services du programme en particulier. Les services des programmes d’aide aux patients étaient regroupés de sorte que les patients ne pouvaient pas adhérer ou se soustraire à certaines composantes des services du programme. Par exemple, les patients qui voulaient utiliser un PAP pour obtenir une aide relative à la couverture d’assurance, mais ne voulaient pas recevoir d’appels au sujet de l’adhésion à la médication, ne pouvaient pas se désengager des services qu’ils ne voulaient pas.
Manque de clarté concernant le moment approprié pour revoir le consentement. Tous les formulaires mentionnaient que les patients pouvaient retirer leur consentement, mais certains omettaient d’expliquer ce qu’il arriverait de leurs données lorsqu’ils retireraient leur consentement ou pendant combien de temps leurs données seraient stockées. Certains formulaires indiquaient spécifiquement que les patients ne seraient pas avertis ou appelés à redonner leur consentement avant la mise en vigueur de changements entrant en vigueur, comme de nouvelles collectes, utilisations ou communications de RPS avec une tierce partie.
Manque de clarté entourant les risques de préjudices liés à la communication de RPS. En ce qui a trait au partage des données, les formulaires utilisaient une description vague, comme « les données pourraient être transférées à un affilié en dehors de votre pays », sans indiquer où les RPS pourraient aller ni les risques précis pour la vie privée susceptibles d’exister dans des pays où les politiques sur la protection de la vie personnelle diffèrent de celles au Canada. Aucun formulaire n’offrait aux patients la destruction rétroactive des données lorsqu’ils retiraient leur consentement.
Parmi les 23 formulaires de consentement des PAP que nous avons vérifiés et qui provenaient des sociétés pharmaceutiques fournissant des médicaments coûteux pour maladies rares, 20 avaient été remis aux patients par des équipes cliniques directement impliquées dans les soins à ces patients. Cette situation est préoccupante, parce que les patients pourraient déduire que le PAP a le même degré de fiabilité dans la réponse à leurs besoins que leur équipe de soins cliniques8. Des études de recherche font valoir que les patients accordent une grande confiance aux établissements de santé, mais se méfient des entités commerciales8. Lorsqu’un médecin fournit le formulaire de consentement d’un PAP, le patient peut faire autant confiance au PAP qu’à son médecin, ce qui pourrait ne pas être approprié, compte tenu des liens qu’entretiennent les PAP avec l’industrie pharmaceutique.
Obstacles à des possibilités de changement
Entre 2021 et 2023, nous avons présenté nos constatations et nos suggestions d’améliorations à des organisations et à 4 fabricants offrant des PAP (responsables de près de la moitié des médicaments à l’étude dans cette vérification). Par ailleurs, bien qu’ils aient exprimé une volonté d’apporter des améliorations générales aux formulaires qui n’étaient pas en lien avec les préoccupations en matière de protection de la vie privée, ils ont mentionné des obstacles à certains changements, y compris la nécessité d’obtenir l’approbation de divers intervenants et des contraintes juridiques internationales. En ce qui a trait au dernier point, les fabricants souhaiteraient utiliser des formulaires uniformes dans tous les pays, mais la formulation utilisée dans les demandes doit être acceptable partout dans le monde et pas seulement au Canada. Par conséquent, il n’est pas facile pour les fabricants de régler rapidement les préoccupations liées à la confidentialité. On pourrait envisager une loi fédérale visant à assurer que les patients sachent précisément comment leurs données pourraient être utilisées par les PAP. Même s’il y avait une volonté d’adopter des solutions juridiques, il faudrait du temps pour les mettre en vigueur. Entretemps, que peuvent faire les médecins pour réduire les risques pour leurs patients? Les médecins qui dirigent leurs patients vers un PAP pourraient envisager les options suivantes.
Renoncer à l’utilisation des PAP pour les patients qui n’ont pas besoin des services d’un PAP. L’inscription à un PAP ne peut pas être une condition préalable obligatoire pour obtenir un médicament (à moins que le médicament soit fourni gratuitement par le fabricant). Pour les patients qui n’ont pas besoin d’autres services fournis par les PAP (comme l’aide pour les assurances), on peut éviter complètement les PAP pour protéger la vie privée du patient.
Discuter de la nécessité d’une participation continue à un PAP durant les visites de suivi. Si les patients s’inscrivent à un PAP pour obtenir de l’aide pour la vérification des assurances, ils pourraient ne pas avoir besoin d’autres services du PAP lorsque cette question serait réglée. Les programmes d’aide aux patients leur permettent de retirer leur consentement; ainsi, en demandant aux patients à chaque visite quels sont leurs besoins continus, la durée totale de la collecte des DPS pourrait être limitée.
Établir des règles de base avec les PAP pour les patients que vous dirigez vers eux. Les médecins rencontrent souvent des représentants des fabricants ou des PAP pour être informés des nouveaux programmes. Si les médecins ont des préoccupations à propos de certains services fournis, ils peuvent demander au PAP de ne pas offrir de tels services aux patients qu’ils leur réfèrent. Par exemple, certains programmes offrent d’évaluer la réponse au traitement en évaluant les résultats des analyses sanguines du patient, mais les médecins peuvent ne pas vouloir que les résultats de ces tests soient partagés avec les PAP. Dans cet exemple, les médecins pourraient préciser que les PAP ne devraient pas demander les résultats des tests de leurs patients.
Conclusion
Les programmes d’aide aux patients offrent certains services utiles aux patients et aux médecins et, d’après notre expérience clinique, ils travaillent fort pour prêter assistance aux patients. Toutefois, tant et aussi longtemps que la formulation des demandes de consentement demeurera vague, des inquiétudes importantes persisteront en matière de confidentialité. Les médecins peuvent en apprendre davantage à propos des préoccupations relatives à la protection de la vie privée associées aux PAP et travailler avec les patients pour faire face, si possible, à ces problèmes éventuels.
Footnotes
↵* Le Tableau 1 complémentaire est disponible en anglais à https://www.cfp.ca. Allez au texte intégral de l’article en ligne et cliquez sur l’onglet CFPlus.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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This article is also in English on page 685.
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