Les pénuries de médicaments d’ordonnance et en vente libre sont un problème persistant au Canada, avec lequel il peut être difficile de composer1,2. Entre 2022 et 2023, Santé Canada a reçu plus de 2700 rapports de pénuries de médicaments3. Les sociétés pharmaceutiques canadiennes doivent signaler une pénurie à chaque fois qu’elles ne sont pas en mesure de répondre à la demande d’un médicament. Ces renseignements sont accessibles dans le site Web de Pénuries de médicaments Canada (https://www.penuriesdemedicamentscanada.ca/)4.
Les 3 principales raisons des pénuries signalées sont des problèmes de fabrication, des augmentations imprévues de la demande et des retards de livraison3. La durée moyenne d’une pénurie de médicaments au Canada entre 2022 et 2023 était d’environ 98 jours3. Bien qu’un bon nombre de pénuries n’engendrent pas de problèmes dans les soins aux patients, dans certains cas, une pénurie peut avoir des incidences considérables sur eux. Un exemple problématique récent est la pénurie de sémaglutide5 qui a commencé en 2022 et s’est poursuivie en 2024. Les pharmaciens peuvent souvent offrir des substituts disponibles pour atténuer les répercussions cliniques, mais dans le cas du sémaglutide, il y a peu de choix accessibles aux patients. Les entraves à l’accès peuvent concerner le coût du médicament, sa couverture par une assurance ou des inquiétudes entourant une substitution par un médicament différent qui pourrait ne pas être aussi efficace pour un problème de santé en particulier ou demander un titrage de la dose, ou pour lequel les données probantes pourraient être insuffisantes pour étayer des issues cliniques importantes pour le patient, comme la réduction de la morbidité ou de la mortalité.
En même temps, les pénuries de médicaments pourraient aussi nous donner l’occasion, en tant que cliniciens de soins primaires, d’améliorer les soins aux patients.
Trois questions à se poser
Est-ce une occasion de réduire la dose du patient? Certains patients peuvent prendre des médicaments pour lesquels une réduction de la dose serait justifiée. Mentionnons, par exemple, le surtraitement de l’hypertension, le recours aux inhibiteurs de la pompe à protons pour contrôler le reflux gastro-œsophagien et les thérapies par antidépresseurs.
Si un patient a atteint un taux d’hémoglobine A1c inférieur à 7 % en prenant 1 mg de sémaglutide par semaine par voie sous-cutanée, il pourrait être raisonnable de réduire sa dose à 0,5 mg par semaine durant la période de pénurie de ce médicament. Une réduction temporaire pourrait donner des indications quant à la dose optimale pour le patient, non seulement pour contrôler sa glycémie, mais aussi pour obtenir la meilleure valeur par dollar dans la prévention des complications du diabète.
La déprescription de ce médicament est-elle une option pour ce patient? De nombreux patients prennent à long terme 1 ou plusieurs médicaments sans que soient établis des échéanciers précis pour une réévaluation visant à savoir s’ils sont toujours nécessaires. Une telle situation pourrait s’appliquer à des antidépresseurs, des antihypertenseurs, des agents antihyperglycémiants, des médicaments pour contrôler la douleur et des aides au sommeil, pour n’en nommer que quelques-uns.
La possibilité d’examiner la déprescription de la tamsulosine, utilisée pour le traitement de l’hypertrophie bénigne de la prostate, s’est présentée durant une pénurie de ce médicament au Canada6, commencée en 2023. Certains patients prennent le dutastéride qui fonctionne selon un mécanisme différent, seul ou en combinaison avec de la tamsulosine, pour traiter ce même problème. Durant une pénurie de tamsulosine, un essai de dutastéride seul pourrait démontrer une efficacité semblable à celle du traitement combiné pour atteindre certains objectifs thérapeutiques7.
Est-ce un moment opportun pour réévaluer les traitements du patient en fonction de ses objectifs et de ses valeurs? De nombreux patients prennent 1 ou plusieurs médicaments sans évaluation périodique visant à déterminer si une pharmacothérapie différente pourrait s’avérer plus appropriée à leurs objectifs sur le plan de la santé et à leurs problèmes concomitants. Une pénurie pourrait donner l’occasion de procéder à cette réévaluation.
Il peut arriver que le fardeau thérapeutique excède celui de la maladie pour le patient. Cela pourrait être un moment propice pour discuter des objectifs du patient concernant les traitements et de son expérience avec la médication, pour éclairer la discussion sur la poursuite d’un traitement ou une déprescription.
Approche
Nous décrivons dans les étapes suivantes une stratégie novatrice que peuvent suivre les cliniciens de soins primaires pour gérer les pénuries de médicaments qui touchent leurs patients.
Consulter le site Web de Pénuries de médicaments Canada pour connaître la date estimée de la fin de la pénurie4. Cette démarche peut vous aider à déterminer s’il est raisonnable de simplement suspendre ou de réduire la médication à court terme jusqu’à la fin de la pénurie (p. ex. dans quelques semaines) ou s’il faut envisager un autre traitement (p. ex. on prévoit que la pénurie durera plus de 1 ou 2 mois).
Communiquer avec la pharmacie communautaire du patient pour déterminer les options de rechange disponibles pour lui. Les réponses peuvent varier selon les approvisionnements locaux. Parfois, il se peut qu’une dose différente du médicament soit disponible ou qu’un produit sous forme combinée puisse être une option temporaire pour le patient jusqu’à ce que la pénurie soit terminée.
Il importe de signaler que les données présentées dans le site Web de Pénuries de médicaments Canada concernant la fin d’une pénurie de médicaments ne se traduisent pas par une date exacte de la disponibilité des médicaments en question à la pharmacie du patient. En raison des processus de distribution, il se produit souvent un léger retard entre la disponibilité chez le fabricant et le moment où le patient peut s’approvisionner à sa pharmacie.
S’il est nécessaire de changer de médicament, communiquer avec le patient et discuter des autres options de traitement. On peut prescrire un régime de 1 mois et réévaluer ensuite la situation. Il arrive qu’un changement de médicament fonctionne mieux avec ce patient et qu’il ne soit plus nécessaire de revenir au produit qui avait fait l’objet d’une pénurie.
Envisager la déprescription. De multiples données probantes démontrent les bienfaits de la déprescription de médicaments chez les patients, lorsque cela est possible (p. ex. antidépresseurs, antihypertenseurs, inhibiteurs de la pompe à protons, anti-inflammatoires non stéroïdiens)8,9. Le site Web en anglais Deprescribing.org, est une ressource canadienne utile sous forme d’algorithmes et de lignes directrices pour aider les cliniciens et les patients concernant la déprescription10. Une collaboration avec le pharmacien communautaire peut aussi améliorer les chances de réussite de la déprescription.
Conclusion
On s’attend à ce que les pénuries de médicaments continuent de présenter des défis à l’avenir2. Même si elles sont perturbatrices et peuvent causer des expériences négatives pour les patients, les pénuries de médicaments peuvent aussi engendrer de bonnes occasions pour les cliniciens et les patients de réévaluer la nécessité des médicaments qui sont en quantité insuffisante. Un tel exercice a le potentiel d’améliorer les résultats pour les patients grâce à la déprescription, à la réduction de la dose ou, dans certains cas, à un changement pour un traitement plus efficace en se fondant sur les données probantes actuelles.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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This article is also in English on page 85.
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