Des progrès considérables ont été réalisés dans la prévention du VIH, notamment la prophylaxie préexposition (PPrE) et la prophylaxie postexposition (PPE). Les 2 modalités utilisent des antirétroviraux (ARV) pour réduire le risque de contracter le VIH. La prophylaxie préexposition est une approche proactive, qui consiste habituellement en un médicament combinant 2 agents, le furamate de ténofovir disoproxil et l’emtricitabine, pris quotidiennement ou en prévision (« sur demande ») d’activités sexuelles anticipées1. D’autre part, la PPE est une approche rétroactive qui prévient le VIH en amorçant des ARV dans les 72 heures suivant une potentielle exposition. La prophylaxie postexposition consiste en 3 médicaments pris pendant 28 jours, et les patients se présentent habituellement à un département d’urgence (DU) ou à un centre de soins urgents pour obtenir une ordonnance ou une trousse de démarrage à la suite d’une exposition1. Par ailleurs, d’importants obstacles aux soins préventifs pour le VIH persistent, dont les effets secondaires de la médication, le coût des médicaments, le fardeau pharmacologique, la stigmatisation, des lacunes dans les connaissances et les temps d’attente dans les DU et les centres de soins d’urgence2.
La prophylaxie postexposition de poche (PPP) est une modalité de prévention du VIH pour les personnes qui ont des expositions au VIH peu fréquentes et souvent imprévues3-5. Nous prescrivons aux personnes qui ont peu (p. ex. 0 à 4) d’expositions potentielles au VIH chaque année une PPP approuvée par les lignes directrices pour une période de 28 jours, et ce, avant la survenance d’une exposition3,4. Nous les renseignons sur le moment d’amorcer eux-mêmes les médicaments après une potentielle exposition et leur recommandons de prendre un rendez-vous de suivi sur une base moins urgente, dans les 7 jours suivant l’amorce3,4. Cette approche évite les longues et souvent stressantes visites au DU ou au centre de soins urgents, et elle procure aux patients un moyen de prévenir le VIH. La prescription proactive d’ARV accorde le temps voulu pour consulter des travailleurs sociaux ou des partenaires communautaires dans le but d’atténuer d’éventuels obstacles d’ordre financier.
Parmi les exemples de personnes qui utilisent la PPP figurent des travailleurs du sexe qui ne sont peut-être pas en mesure de négocier le port du condom avec leurs clients; les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes dont le statut sérologique est inconnu et qui utilisent des condoms la plupart du temps, mais ont des expositions peu fréquentes ou imprévues; et les personnes qui s’injectent des drogues, mais ne partagent habituellement pas le matériel d’injection.
Éléments à prendre en compte au préalable
De nombreuses personnes qui utilisent la PPP l’ont choisie au lieu de la PPE ou de la PPrE. Il est important de clarifier les facteurs de risque de contracter le VIH, y compris les antécédents d’infections transmises sexuellement (ITS) et d’utilisation de la PPE ou de la PPrE1. Il faut aussi explorer les facteurs de risque liés à l’activité sexuelle ou à la consommation de drogues (p. ex. sexe anal réceptif ou insertif, partage de matériel d’injection, sexe avec des personnes de statut sérologique inconnu pour le VIH ou ayant une charge virale détectable) et la fréquence des expositions potentielles au VIH. Nous considérons que les patients qui ont jusqu’à 4 expositions par année sont des candidats admissibles au recours à la PPP3.
Il est approprié de connaître les antécédents médicaux des patients, y compris la présence de néphropathies, de maladies métaboliques osseuses, de maladies hépatiques ou d’obésité1,6. Quoique la PPP ne soit pas exclue chez les patients qui ont de tels diagnostics, il pourrait être nécessaire d’ajuster les médicaments pour ces problèmes si une PPP est aussi prescrite. La présence de problèmes qui nuisent à l’absorption de médicaments par voie orale (p. ex. pontage gastrique chirurgical, syndrome de l’intestin court, maladie intestinale inflammatoire incontrôlée) devrait aussi être explorée en raison d’une efficacité amoindrie des médicaments ARV s’ils ne sont pas entièrement absorbés dans le tractus gastro-intestinal. Les médicaments courants qui interagissent avec les ARV incluent les anticonvulsivants (p. ex. phénytoïne, carbamazépine), les médicaments à base de rifamycine, les inhibiteurs de la pompe à protons et le millepertuis. Il pourrait être avisé de demander une consultation avec un praticien spécialisé dans le traitement des patients porteurs du VIH si la personne a des antécédents de tels problèmes ou prend des médicaments susceptibles d’interagir avec la PPP et ne peut pas les discontinuer en toute sécurité.
Tests de base
Avant de prescrire une PPP, les tests et les vaccins de base suivants devraient être administrés :
hémogramme complet;
dosage de la créatinine sérique;
dosage des enzymes hépatiques (aspartate aminotransférase, alanine aminotransférase, phosphatase alcaline, bilirubine);
dosage de l’hormone chorionique gonadotrope β-humaine (le cas échéant);
dépistage des ITS (sérologie pour la syphilis, de même que des tests pour la chlamydia et la gonorrhée au moyen de prélèvements pharyngés, rectaux et urinaires);
tests pour le VIH;
vaccination contre la mpox si elle est indiquée sur le plan clinique;
dépistage de l’hépatite A, B, et C, et vaccination contre l’hépatite A et B si le patient n’est pas immunisé1.
Les patients qui reçoivent des tests positifs pour une ITS ou le VIH doivent être traités et dirigés vers des services de soins conformément aux lignes directrices locales. Pour ceux dont les résultats de l’hémogramme sont anormaux, il convient de demander une consultation avec un spécialiste avant d’amorcer une PPP.
Prescription d’une PPP
Notre premier choix de PPP est la médication qui combine 3 médicaments, soit 50 mg de bictégravir, 200 mg d’emtricitabine et 25 mg de ténofovir alafénamide, prise en un seul comprimé par jour pendant 28 jours, conformément aux lignes directrices1,7.
Pour les personnes susceptibles de devenir enceintes, compte tenu de son profil d’innocuité pour elles, nous prescrivons plutôt le traitement quotidien avec les 3 médicaments suivants : 50 mg de dolutégravir en plus de la formule combinant 300 mg de fumarate de ténofovir disoproxil et 200 mg d’emtricitabine3,4. Nous informons les patientes des effets secondaires légers et passagers comme la diarrhée, la nausée et la céphalée1.
Nous insistons aussi sur l’importance de commencer les médicaments ARV aussitôt que possible, et dans les 72 heures, après une exposition potentielle au VIH. C’est pourquoi nous encourageons les patients à faire remplir leurs ordonnances avant que se produise une exposition et de garder leurs médicaments dans un endroit sécuritaire et accessible. Nous demandons aux patients de se présenter en clinique dans les 7 jours suivant une exposition pour un dépistage de référence du VIH et d’une ITS et, au besoin, pour être transférés vers des soins additionnels (p. ex. d’autres tests ou du soutien psychosocial s’ils ont été victimes d’agression sexuelle).
Suivi
Nous revoyons les patients qui ont reçu une PPP aux 6 mois environ s’ils n’ont eu aucune exposition ou au besoin, s’ils ont eu une exposition potentielle.
Lors des visites de suivi de routine, nous répétons le dépistage des ITS comme le VIH, la syphilis, le virus de l’hépatite C, la chlamydia et la gonorrhée. Nous cherchons aussi à connaître la fréquence des expositions potentielles et si la PPP a été utilisée sans qu’il y ait de suivi en clinique, et nous déterminons ensemble si la PPP est encore la modalité de prévention du VIH la plus appropriée. Si les patients ont plus de 3 ou 4 expositions par année, nous discutons pour savoir laquelle, entre la PPrP quotidienne ou sur demande, serait la meilleure option pour eux3,4.
Conclusion
La prophylaxie postexposition de poche est une stratégie de prévention du VIH qui cible les personnes dont les expositions au VIH à risque plus élevé et habituellement imprévues sont peu fréquentes (p. ex. 0 à 4) chaque année. La stratégie par PPP a l’avantage d’atténuer d’importants obstacles aux soins prophylactiques postexposition, accorde du temps aux patients pour explorer au préalable les aspects entourant la couverture financière des médicaments, et leur permet d’être autonomes et d’intervenir dans leurs propres soins.
Notes
Nous encourageons les lecteurs à nous faire connaître certaines de leurs expériences vécues dans la pratique : ces trucs simples qui permettent de résoudre des situations cliniques difficiles. Vous pouvez proposer en ligne des articles dans Praxis à http://mc.manuscriptcentral.com/cfp ou par l’intermédiaire du site web du MFC à https://www.cfp.ca sous « Authors and Reviewers ».
Footnotes
Intérêts concurrents
Le Dr Isaac I. Bogoch est consultant auprès du Programme de réduction de la menace liée aux armes d’Affaires mondiales Canada.
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