Question clinique
Quelle est l’approche fondée sur des données probantes pour traiter un patient souffrant d’insomnie chronique, et que devrais-je faire s’il utilise des sédatifs pour traiter ce problème?
Résultats
L’insomnie chronique est prévalente chez les adultes et peut avoir des effets nuisibles sur le bien-être physique, émotionnel, cognitif et social du patient. La thérapie cognitivo-comportementale pour l’insomnie (TCC-I) est efficace tant en personne qu’à distance par la télémédecine, des applications ou Internet. En dépit des lignes directrices qui recommandent des méthodes non pharmacologiques comme stratégies à privilégier pour traiter l’insomnie chronique, on accorde souvent la priorité aux médicaments comme traitements de première intention. Les patients utilisent fréquemment des sédatifs pour les aider à dormir; toutefois, les sédatifs peuvent causer des préjudices, notamment des chutes, des fractures de la hanche, des déficits cognitifs, la dépendance et la mortalité par surdose. Les cliniciens devraient prioriser le recours à la TCC-I et amorcer des conversations au sujet d’une diminution de l’usage de sédatifs pour l’insomnie chronique.
Données probantes
La prévalence et les impacts de l’insomnie chronique. L’insomnie peut prendre la forme de 1 ou plusieurs troubles du sommeil, y compris de la difficulté à s’endormir ou à rester endormi, et un réveil précoce accompagné de difficultés à se rendormir. L’insomnie est considérée comme chronique si les problèmes de sommeil se produisent 3 fois ou plus par semaine pendant 3 mois ou plus1. Les personnes souffrant d’insomnie chronique ont souvent une moins bonne qualité de vie, un état dépressif, et une moins grande capacité à fonctionner au travail et dans la société. Au nombre des impacts sociétaux de l’insomnie chronique figurent des taux plus élevés d’incapacité et une plus grande utilisation des soins de santé2. L’insomnie est l’une des préoccupations les plus courantes sur le plan de la santé au Canada, et sa prévalence se situe à 18,1 % chez les hommes et à 29,5 % chez les femmes3. Les répercussions économiques de l’insomnie sont considérables et étaient évaluées à 1,9 milliard $ en coûts directs en 2021 seulement3.
Les facteurs de risque de l’insomnie incluent des problèmes chroniques courants, comme la douleur chronique, la maladie pulmonaire obstructive chronique et la maladie mentale4-7. La réussite de la prise en charge du sommeil repose sur l’optimisation des comorbidités qui contribuent à l’insomnie.
La thérapie cognitivo-comportementale pour l’insomnie. Les approches non pharmacologiques sont les thérapies de référence fondées sur des données probantes pour traiter l’insomnie chronique. En outre, ces approches améliorent les profils du sommeil et réduisent la nécessité d’utiliser des sédatifs potentiellement néfastes. La thérapie cognitivo-comportementale pour l’insomnie est largement reconnue comme une option non pharmacologique efficace pour traiter l’insomnie chronique. Les 5 composantes de la TCC-I sont le contrôle des stimuli, la restriction du sommeil, la thérapie cognitive, l’hygiène du sommeil et la thérapie de relaxation. Même si chacune des composantes de la TCC-I est efficace pour le traitement de l’insomnie chronique, on peut s’attendre à des bienfaits plus importants et plus soutenus lorsque les composantes sont combinées8-10. Une méta-analyse publiée en 2018 a démontré que des améliorations en fonction des mesures de la qualité du sommeil se produisaient si au moins 1 des composantes de la TCC-I était utilisée par rapport à un placebo11.
Le recours à des agents pharmacologiques potentiellement inappropriés pour traiter l’insomnie. Malgré les nombreuses lignes directrices qui recommandent des méthodes non pharmacologiques (y compris la thérapie cognitivo-comportementale) comme traitement de première intention pour l’insomnie chronique12-16, les médicaments sédatifs sont habituellement choisis en premier. Au Canada, 1 personne sur 10 de 65 ans et plus utilise régulièrement des benzodiazépines16. Parmi les médicaments sédatifs offerts sur le marché, on peut mentionner les agonistes des récepteurs des benzodiazépines (p. ex. zolpidem, zaléplon, eszopiclone), les agonistes du récepteur de la mélatonine (p. ex. rameltéon) et les antagonistes des récepteurs de l’oréxine 1 et 2 (p. ex. suvorexant, lemborexant)17. De nombreux médicaments sédatifs sont utilisés pour un usage non indiqué sur l’étiquette pour traiter l’insomnie (p. ex. diphenhydramine, quétiapine, trazodone).
Effets néfastes des agents pharmacologiques. Les effets indésirables potentiellement graves des médicaments sédatifs sont bien documentés, notamment les chutes et les fractures de la hanche (rapport de cotes rajusté de 1,95, IC à 95 % de 1,09 à 3,51), les incidents psychomoteurs indésirables (2,61 fois plus fréquents par rapport au placebo; p<,05), les effets cognitifs indésirables (rapport de cotes de 4,78, IC à 95 % de 1,47 à 15,47; p<,01), la dépendance physiologique et une mortalité accrue (l’alcool ou des sédatifs sont impliqués dans 92 % des décès liés aux opioïdes)17-20.
En raison des inquiétudes entourant l’utilisation accrue des sédatifs et de leurs nombreux effets indésirables potentiels19,21, plusieurs sociétés professionnelles, dont le Chapitre canadien de la société de médecine d’hôpital, l’Académie canadienne de gérontopsychiatrie, la Société canadienne de gériatrie, l’Association des pharmaciens du Canada, la Société canadienne des pharmaciens d’hôpitaux et l’American Geriatrics Society, recommandent de ne pas les utiliser comme traitement de première intention pour l’insomnie22-27.
Approche
Recommander la thérapie de référence contre l’insomnie chronique. Les lignes directrices scientifiques (p. ex. l’European Insomnia Guideline) et de nombreuses sociétés professionnelles (p. ex. l’American College of Physicians, la British Association for Psychopharmacology et l’American Academy of Sleep Medicine) ont entériné la TCC-I comme traitement de référence pour l’insomnie chronique12-16. Ces lignes directrices recommandent explicitement de ne pas adopter d’approches pharmacologiques dans les soins aux adultes souffrant d’insomnie chronique. Ces guides de pratique accordent la priorité à la TCC-I, mais recommandent aussi d’autres options, comme la rétroaction biologique, la formation en relaxation, la thérapie de contrôle des stimuli et la thérapie à composantes multiples. Les cliniciens peuvent prescrire expressément un traitement non pharmacologique pour l’insomnie28. Choisir avec soin Québec a produit « un bloc d’ordonnances non pharmacologiques », disponible en français et en anglais29.
Identifier les comorbidités qui contribuent à l’insomnie et optimiser leur prise en charge. Les cliniciens devraient activement dépister et traiter les comorbidités qui contribuent à l’insomnie chez les patients, comme le delirium, les infections, la douleur, l’insuffisance cardiaque et l’exacerbation des maladies pulmonaires obstructives chroniques. Il faut aussi faire une revue rigoureuse et détaillée de la médication pour cerner les médicaments qui contribuent à l’altération du sommeil (Tableau 1). Les médicaments non essentiels peuvent être déprescrits ou remplacés par d’autres options qui ne nuisent pas au sommeil.
Médicaments qui peuvent nuire au sommeil
Reconnaître les limites de la TCC-I. Malgré l’efficacité éprouvée de la TCC-I pour traiter l’insomnie chronique, son utilisation généralisée a été entravée par des obstacles liés aux cliniciens, au système et aux patients15. Pour réduire les obstacles à la TCC-I, les cliniciens peuvent parfaire leurs connaissances concernant les conséquences pour la santé de l’insomnie chronique et du recours inapproprié aux sédatifs, en apprendre davantage sur les modalités et l’efficacité de la TCC-I, et la recommander aux patients.
Les obstacles d’origine systémique peuvent être atténués en améliorant l’accès aux professionnels de la TCC-I (p. ex. en augmentant la couverture des assurances pour ce mode de traitement) et en prodiguant la TCC-I sous des formes plus facilement accessibles aux patients (par Internet, télémédecine ou virtuellement).
Les obstacles qui entravent l’adhésion à la TCC-I peuvent être réduits à mesure que les patients prennent connaissance de ses principes et de son efficacité démontrée. La réceptivité d’un patient face à la TCC-I devrait s’accroître si les facteurs qui nuisent à sa participation (p. ex. heures d’ouverture de la clinique, couverture par les assurances, accessibilité au transport, formes de prestation de la TCC-I) sont pris en compte de manière appropriée. Les patients doivent être informés du temps à consacrer à une TCC-I (de 8 à 12 semaines) et du fait que les résultats ne se manifesteront pas immédiatement.
Mise en application
Les étapes suivantes peuvent être envisagées pour optimiser la gestion du sommeil fondée sur des données probantes, tout en réduisant ou en déprescrivant les sédatifs potentiellement inappropriés.
Reconnaître les répercussions et les effets de l’insomnie chronique. Les cliniciens devraient informer les patients souffrant d’insomnie de la possibilité que cette dernière nuise à leur santé et de la nécessité de suivre un traitement efficace fondé sur des données probantes. Il faut aussi demander aux patients s’ils utilisent des sédatifs pour traiter l’insomnie.
Offrir la TCC-I comme traitement de première intention. Il faudrait offrir la TCC-I à tous les patients comme traitement de référence pour l’insomnie chronique. Les cliniciens devraient explorer les obstacles à une utilisation productive de la TCC-I, en portant une attention particulière aux facteurs liés au système de santé et au patient. En assurant un accès équitable au traitement et en offrant des services d’aide pour répondre aux préoccupations et déterminer les attentes, on favorisera l’adoption des stratégies de TCC-I par les patients. Une fois une telle approche adoptée, il faut exercer une surveillance étroite, comme des visites de suivi ou des appels téléphoniques chaque semaine ou toutes les 2 semaines pour commencer (p. ex. pendant les 4 premières semaines), de manière à soutenir l’adhésion et l’efficacité.
Déprescrire les sédatifs. Étant donné les nombreux effets indésirables des sédatifs, qui ont été bien documentés, ces médicaments devraient être utilisés avec prudence pour le traitement de l’insomnie chronique. Par ailleurs, un petit groupe de patients peuvent avoir besoin d’un sédatif d’appoint en plus de la thérapie non pharmacologique pour suivre l’adage « commencer lentement et sevrer rapidement ». Dans certains cas, il peut être approprié de conclure un marché avec le patient selon lequel vous lui prescrivez un sédatif à faible dose pour une période limitée et vous établissez un plan précis pour sa cessation. Pour certains patients qui prennent des sédatifs depuis longtemps, il faut prévoir l’amorce de conversations sur la déprescription, et répondre à leurs préoccupations et à leurs craintes; une brochure à l’intention des patients est accessible auprès de Deprescribing.org30. De tels patients devront être sevrés graduellement des sédatifs, sous supervision médicale pour éviter des symptômes de sevrage ou l’aggravation de l’insomnie. Un guide utile et fondé sur des données probantes sur la déprescription de sédatifs a été publié en 2018, et son algorithme de déprescription est disponible sous la forme d’un document séparé auprès de Deprescribing.org31,32.
Fournir du matériel éducatif. On peut offrir aux patients du matériel éducatif au sujet des conséquences de l’insomnie chronique sur la santé et des méthodes thérapeutiques efficaces. Diverses sources de renseignements fondés sur des données probantes sont disponibles en anglais dans le site Web de Sleepwell, une initiative sans but lucratif dirigée par des chercheurs de l’Université Dalhousie (Nouvelle-Écosse)33.
Suivi. La prise en charge de l’insomnie exige une approche semblable à celle utilisée pour les maladies chroniques. Des suivis fréquents auprès des patients aideront à répondre à leurs inquiétudes liées à des problèmes de sommeil qui nuisent à leur qualité de vie, et à aborder tous les facteurs de risque de ces problèmes ou les éléments qui y contribuent.
Conclusion
Des approches non pharmacologiques sont recommandées comme thérapies de référence pour l’insomnie chronique et, pourtant, des sédatifs sont souvent choisis comme stratégie de première intention, tant par les cliniciens que par les patients. La thérapie cognitivo-comportementale devrait être offerte comme traitement de référence pour l’insomnie chronique. Cet article présente des éléments à considérer pour aider à la réussite de la TCC-I, de même que des possibilités de minimiser ou d’éviter le recours aux sédatifs et à d’autres médicaments qui peuvent contribuer à l’insomnie chronique.
Notes
Choisir avec soin Canada est une campagne visant à aider les cliniciens et les patients à entamer un dialogue au sujet des examens, des traitements et des interventions inutiles, et à prendre des décisions judicieuses et efficaces pour assurer des soins de grande qualité. Jusqu’à présent, on compte 13 recommandations portant sur la médecine familiale, mais de nombreuses recommandations concernant d’autres spécialités s’appliquent à la médecine familiale. Les articles produits par Choisir avec soin Canada publiés dans Le Médecin de famille canadien portent sur des sujets pertinents à la médecine familiale et dans lesquels des outils et des stratégies ont été utilisés pour mettre en œuvre une des recommandations et amorcer une prise de décision partagée avec les patients. Si vous êtes un professionnel ou un stagiaire en soins primaires et que vous avez suivi des recommandations ou utilisé des outils de Choisir avec soin dans votre pratique et que vous aimeriez partager votre expérience, veuillez communiquer avec nous à info{at}choosingwiselycanada.org.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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This article is also in English on page 176.
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