Nous avons tous entendu parler des 4 C que nous vivons actuellement et auxquels nous devons nous résoudre : les effets interdépendants de la pandémie de COVID-19 qui continue de sévir, l’augmentation du coût de la vie, les conflits en cours à travers le monde et la crise climatique. À cela vient s’ajouter un autre phénomène qui existe partout dans le monde : le cynisme face au manque de soutien auquel nous estimons que notre discipline est confrontée.
Nous nous souvenons tous des premières semaines de la pandémie, lorsque les gens tapaient sur des casseroles devant nos maisons et nos cabinets et que cela nous encourageait à poursuivre nos efforts. Cette époque semble avoir laissé la place à un sentiment d’abandon et à une colère grandissante de la population, suscitée par des enjeux qui paraissent au-delà de notre contrôle. Il n’est pas étonnant que nous soyons nousmêmes en colère.
L’épuisement professionnel dans la médecine de famille est réel et il s’agit d’un phénomène international. Lors de la Conférence mondiale WONCA (Organisation mondiale des médecins de famille) de 2023, qui s’est tenue à Sydney (Australie), j’ai animé un atelier aux côtés de la Dre Francine Lemire, ancienne directrice générale et chef de la direction du Collège des médecins de famille du Canada, de la Dre Felicity Goodyear-Smith, de Nouvelle-Zélande, et du Dr Ichsan Ichsan, de Banda Aceh (Indonésie). Il était intitulé « Finding Joy in Practice After Despair: The importance of regaining morale for our patients and for ourselves » (Trouver la joie dans la médecine après le désespoir : L’importance de retrouver le moral pour nos patients et pour nous-mêmes).
Les données que nous avons présentées montrent que 50 % des médecins de famille du Canada éprouvent divers degrés d’épuisement. Nous n’avons pas vraiment été surpris d’apprendre qu’il en est de même en Australie ainsi que dans de nombreux autres pays représentés lors de la conférence. Cependant, la réaction de nos collègues indonésiens nous a étonnés.
En 2004, au lendemain de Noël, près de 250 000 personnes ont perdu la vie dans un tsunami dévastateur qui a frappé la province d’Aceh, en Indonésie1, d’où est originaire le Dr Ichsan, ainsi que d’autres pays situés dans l’océan Indien ou en bordure de celui-ci. Le Dr Ichsan a livré des descriptions insoutenables de cet événement et a évoqué la solidarité dont la communauté médicale a fait preuve par la suite. Il a également exhorté les participants à la conférence à tenter de trouver davantage de sens en ces temps qui semblent si cruels pour tous.
Cela m’a fait réfléchir : quel est le sens plus profond de notre souffrance collective maintenant que la phase aigüe de la pandémie laisse place à une phase chronique? C’est une chose d’agir pour lutter contre une catastrophe, mais comment maintenir notre élan pour ce qui s’avère être un marathon?
Je me suis rendu moi-même à Banda Aceh et je peux confirmer que c’est exactement ce que font les gens : il règne là-bas un sentiment de régénération, d’ordre et d’harmonie. Je me suis entretenu avec des médecins de famille et des décideurs locaux, mais je trouve qu’il est difficile de déterminer précisément ce qui a mené à cela. Il ne fait aucun doute que la concertation des efforts du gouvernement, des acteurs de la santé publique et des intervenants en soins primaires a été essentielle. Mais quelque chose de moins tangible se fait également ressentir; selon le Dr Ichsan, il découle d’une recherche de sens sur le plan personnel.
Cela peut sembler absurde face à un désastre qui n’a aucun sens. Mais la COVID-19 ne nous donne-t-elle pas la possibilité de réfléchir à ce qui nous fait défaut à l’échelle systémique et locale? N’avons-nous pas là une occasion de rechercher l’efficacité et l’intégration, sans lesquelles nous aurions été les témoins de pertes tôt ou tard? Et, au niveau personnel, nous permet-elle de réfléchir à de mauvaises habitudes qui ont persisté uniquement parce que la vie avait été plutôt bonne jusqu’alors? Nous devrions nous poser ces questions et y répondre.
L’épuisement professionnel ne se résume pas à une trop grosse charge de travail et un temps insuffisant pour l’exécuter; il découle également d’un sentiment d’inutilité et d’un manque d’espoir.
Nous devons affronter ces questions collectivement, en tant que communauté mondiale de la médecine de famille : comment continuer d’exhorter les gouvernements à soutenir notre secteur? On ne compte plus les données probantes qui montrent que l’investissement dans les soins primaires est associé à une réduction des coûts des soins de santé ainsi qu’à une meilleure santé de la population2. Nos efforts de plaidoyer doivent se poursuivre. Comment encourager le public à soutenir notre cause, alors que de nombreux secteurs sont en difficulté? Enfin, et c’est peut-être le plus important en ce moment, comment pouvons-nous rester solidaires les uns envers les autres et éviter de nous diviser?
Nous ne sommes pas seuls. Dans tous les lieux où je me rends et où j’exerce, je vois mes collègues tenter de retrouver quelque chose qui semble pour l’instant insaisissable. Pour certains, il s’agit d’un objectif ou de sens; d’autres préfèrent appeler cela la satisfaction d’un travail bien fait. C’est une chose bien présente, même si elle est difficile à atteindre et qu’elle nous dépasse.
Notes
Dépêches est une série trimestrielle publiée sous la coordination du Dr David Ponka, directeur du Centre Besrour pour la médecine familiale mondiale du Collège des médecins de famille du Canada. Elle propose des réflexions personnelles sur le Canada et d’autres pays, qui sont liées au Centre Besrour et à la discipline de la médecine de famille.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
This article is also in English on page 212.
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