Les lignes directrices de pratique clinique (LDPC) jouent un rôle essentiel pour étayer les décisions médicales. On présente souvent aux cliniciens de multiples LDPC sur un même sujet, et le choix des lignes directrices à utiliser est souvent perçu comme un réel problème. Il peut être difficile pour un clinicien de choisir des LDPC appropriées qui concordent avec les besoins des patients et les contextes cliniques. Cet article propose une version simplifiée de l’outil conçu par Shaughnessy et ses collègues, le G-Trust (Guideline Trustworthiness, Relevance, and Utility Scoring Tool ou outil d’évaluation de la fiabilité, de la pertinence et de l’utilité des lignes directrices)1, dans le but d’aider les médecins à choisir les LDPC les plus pertinentes à leurs pratiques. L’outil proposé préserve les principes fondamentaux de G-Trust, mais simplifie le processus d’évaluation et tient compte des considérations pratiques que rencontrent les médecins, améliorant ainsi son utilité. En permettant aux médecins de naviguer efficacement à travers la multitude des LDPC disponibles, cette approche vise à optimiser les soins aux patients grâce à une prise de décision fondée sur des données probantes.
Description des cas
Cas 1. Un résident de 2e année revient d’un stage en cardiologie dans un centre de soins tertiaires. Dans l’évaluation du risque de maladies cardiovasculaires chez un patient, le résident suggère la mesure des niveaux d’apolipoprotéine B et de la lipoprotéine a pour aider à prendre la décision de commencer ou non une statine. Ces recommandations diffèrent des lignes directrices simplifiées de PEER sur les lipides, actualisées en 2023, dans lesquelles la mesure de la lipoprotéine a et de l’apolipoprotéine B n’est pas recommandée2.
Cas 2. Vous avez récemment lu les lignes directrices d’Ostéoporose Canada de 20233 et vous envisagez de demander une ostéodensitométrie pour un patient de 70 ans dont les antécédents médicaux sont sans particularité, exception faite de l’hypertension, et qui n’a jamais subi de fracture de fragilisation par le passé. Ces recommandations ne sont pas les mêmes que celles des lignes directrices du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs de 2023 concernant le dépistage pour prévenir les fractures de fragilisation4.
Comment pouvons-nous utiliser ces situations et ces divergences pour aider à stimuler une réflexion critique tout en reconnaissant le manque de temps dans une pratique clinique occupée?
La prolifération des LDPC a entraîné une surcharge d’information pour les médecins qui cherchent des conseils dans leurs décisions médicales. Les critères AGREE (Appraisal of Guidelines for Research and Evaluation) ont été conçus pour évaluer la qualité des LDPC5, mais ils sont fastidieux à utiliser dans la pratique clinique. Le G-TRUST de Shaughnessy et ses collègues1 s’est révélé une alternative prometteuse. Sa nature exhaustive rend cependant l’utilisation de cet outil irréaliste dans un contexte de soins cliniques actifs. Cet article propose une version abrégée de G-TRUST afin de le rendre encore plus utile pour les cliniciens à l’horaire chargé (Encadré 1)1. Pour ce faire, nous avons dégagé les 3 éléments clés du G-TRUST publié antérieurement et avons suggéré des exemples de façons de réfléchir à ces critères. Nous croyons qu’il est utile d’évaluer rapidement les LDPC et de choisir les lignes directrices de la meilleure qualité, qui concordent bien avec les réalités cliniques et les besoins des patients dans des situations où entrent en jeu de multiples options de LDPC.
G-TRUST simplifié : Éléments à prendre en compte pour cerner des menaces potentielles dans les lignes directrices de pratique clinique.
Pertinence : Ces lignes directrices sont-elles utiles et applicables dans ma pratique?
Les patients, la population et le contexte sont-ils semblables aux miens?
Les lignes directrices portent-elles sur des résultats axés sur le patient?
Les recommandations sont-elles claires et possibles à mettre en application?
Le temps nécessaire pour traiter a-t-il été pris en compte?
Interprétation : Est-ce que je fais confiance aux personnes qui ont interprété les données probantes et présenté les recommandations?
Y a-t-il des intérêts concurrents en cause dans les lignes directrices (financiers, intellectuels)?
Les conflits d’intérêts ont-ils été gérés?
La composition du panel d’experts est-elle diversifiée?
Fiabilité : Quelle est la base factuelle des recommandations, et cela est-il transparent dans les lignes directrices?
Se fondent-elles sur une revue systématique?
La méthodologie GRADE ou une autre méthode rigoureuse a-t-elle été utilisée?
GRADE—Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation; G-TRUST—Guideline Trustworthiness, Relevance, and Utility Scoring Tool.
Réimpression et adaptation de Shaughnessy et coll.1 avec la permission des Annals of Family Medicine Inc. Droit d’auteur 2017. Tous droits réservés.
À partir du G-TRUST original, nous avons choisi des éléments clés permettant de cerner les domaines potentiels de préoccupations dans les LDPC : la pertinence, l’interprétation et la fiabilité. La pertinence comporte l’évaluation de l’utilité des recommandations des lignes directrices dans une pratique en particulier, en tenant compte de facteurs comme la similitude des patients, des populations et des contextes. De plus, il faut chercher à savoir si les recommandations portent sur des résultats axés sur le patient, si elles sont claires et si vous avez tous les renseignements voulus pour les mettre en œuvre. La faisabilité devrait inclure le temps requis pour mettre en application les recommandations, un concept appelé temps nécessaire pour traiter6.
Le volet interprétation cible les conflits d’intérêts potentiels (financiers ou intellectuels), susceptibles d’influer sur la fiabilité du contenu des recommandations.
Un conflit d’intérêts existe lorsque la relation [quelle qu’elle soit] d’un chercheur influence ou donne l’impression d’influencer son objectivité dans la conduite de la recherche universitaire ou scientifique. La relation n’a pas besoin d’être personnelle ou financière [elle peut aussi être de nature intellectuelle]7.
La section de l’interprétation inclut aussi un examen de la diversité des membres du panel d’experts qui ont contribué aux lignes directrices afin d’assurer l’inclusion des diverses parties concernées (médecins de famille, patients, etc.).
Enfin, la section sur la fiabilité a trait à la base factuelle sur laquelle reposent les recommandations et à la transparence de ces renseignements. L’utilisation de méthodologies rigoureuses comme GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation) et la transparence globale dans la présentation des données probantes à l’appui des recommandations revêtent de l’importance. En évaluant les LDPC sous ces angles, les professionnels de la santé peuvent cerner les menaces potentielles à la fiabilité et à l’applicabilité des conseils cliniques dans leur pratique, et en tenir compte.
Quelle est la raison d’être de cet outil adapté?
Il est difficile d’améliorer la pertinence des soins médicaux dans les établissements de première ligne. L’approche choisie pour rejoindre les cliniciens prend souvent la forme du développement professionnel continu dans le but de réduire le recours aux soins de moindre valeur. En 2011, certains membres du Collège des médecins de famille de l’Ontario ont conçu un atelier pratique pour discuter de la pertinence des soins. En 2015, l’atelier Practising Wisely a vu le jour à la suite d’une collaboration entre le Collège des médecins de famille de l’Ontario, des médecins impliqués dans la campagne Choisir avec soin Canada et d’autres partenaires. Le programme portait sur la promotion de décisions cliniques judicieuses et sur l’amélioration des soins aux patients grâce à des pratiques fondées sur des données probantes. Au fil des ans, le programme a pris de l’ampleur, a mobilisé plus de soutien et, en 2019, il a fait l’objet d’une actualisation exhaustive, misant sur l’expertise d’un comité scientifique national pour veiller à ce que le contenu du programme demeure conforme aux connaissances et aux recommandations médicales les plus récentes.
Une partie substantielle de cet atelier est consacrée à la prise de décision partagée. Un élément central de ce segment est la présentation des lignes directrices simplifiées sur les lipides, avalisées par le Collège des médecins de famille du Canada, qui ont été publiées en 2015 et actualisées en 20232. Par ailleurs, ces lignes directrices diffèrent à certains égards des recommandations énoncées dans d’autres sources reconnues, comme les lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie8. Ces divergences suscitent une réaction manifeste chez de nombreux apprenants qui participent au programme. C’est pourquoi les organisateurs de l’atelier ont reconnu la nécessité de fournir une explication claire et concise de leur décision d’entériner et de présenter certaines LDPC plutôt que d’autres. Le G-TRUST simplifié a été conçu en réponse à cette nécessité.
Depuis, de nombreux facilitateurs ont réutilisé cet outil dans divers scénarios et environnements cliniques, de même que dans des enseignements formels et des conférences de développement professionnel continu. Dans la Conférence sur la prévention du surdiagnostic, en 2023, de nombreux participants ont signalé qu’ils trouvaient cet outil utile et convivial (principalement lorsqu’il est utilisé itérativement) pour choisir les LDPC auxquelles ils peuvent se fier9.
Comment utiliser l’outil
L’outil adapté présente l’information d’une manière claire et concise, ce qui en facilite la consultation par des professionnels à l’horaire chargé. Son format convivial et l’accent mis sur les critères essentiels aident à épargner du temps sans compromettre la qualité de la prise de décision. En assurant que les LDPC concordent avec les pratiques axées sur le patient, l’outil est conçu pour contribuer à des soins plus efficaces et mieux adaptés au patient. En outre, il favorise l’évaluation critique des recommandations des LDPC, de même qu’une pratique fondée sur des données probantes. À tout moment, si des préoccupations sont identifiées, l’utilisation de LDPC en particulier devrait être réexaminée.
Si l’outil peut servir à évaluer de manière critique les LDPC, nous croyons aussi que ses points forts se situent dans sa capacité de comparer rapidement les caractéristiques importantes de 2 ensembles de LDPC pour aider les médecins et les apprenants à choisir les lignes directrices qui conviennent à leurs pratiques.
Résolutions du cas
Cas 1. Vous demandez à votre résident d’utiliser l’outil G-TRUST simplifié pour comparer les LDPC (Tableau 1)2,8. Après avoir comparé les 2 lignes directrices sur la prévention des maladies cardiovasculaires, votre résident choisit de suivre les lignes directrices simplifiées de PEER sur les lipides.
Cas 2. En ce qui a trait à la question particulière à votre patient, après avoir utilisé l’outil G-TRUST simplifié, vous décidez de vous fier aux lignes directrices sur le dépistage pour la prévention des fractures de fragilisation du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs au lieu de celles d’Ostéoporose Canada (Tableau 2)3,4.
Comparaison des recommandations sur le dépistage et la prévention du risque de maladies cardiovasculaires
Comparaison des recommandations sur le dépistage en vue de prévenir les fractures de fragilisation
Dans chaque situation, l’outil a facilité d’adoption des LDPC qui correspondaient le mieux aux besoins du patient et du praticien (Encadré 2)1. Cet outil a non seulement servi à prendre des décisions cliniques fondées sur des données probantes, mais il a aussi contribué à stimuler la réflexion critique en présence de recommandations conflictuelles.
Points de repère
L’adaptation du G-TRUST de Shaughnessy et ses collègues1 en une version simplifiée offre une ressource utile aux médecins qui veulent comparer des lignes directrices de pratique clinique.
En combinant les critères d’évaluation essentiels dans une présentation conviviale, cet outil peut améliorer la sélection des lignes directrices, la prise de décision partagée et les soins centrés sur le patient.
L’utilisation de cet outil adapté dans la pratique courante a le potentiel d’aider les médecins à prendre des décisions éclairées, fondées sur des données probantes qui optimisent les résultats chez les patients.
G-TRUST—Guideline Trustworthiness, Relevance, and Utility Scoring Tool.
Footnotes
Intérêts concurrents
La Dre Guylène Thériault est coprésidente du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs.
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 372.
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