Question clinique
Quels facteurs faut-il prendre en compte et quelles stratégies sont-elles disponibles pour désintensifier le traitement du diabète sucré de type 2 (DST 2) chez les adultes de 65 ans et plus, surtout chez ceux qui souffrent de multimorbidités ou de fragilité?
Résultats
La prise en charge efficace du diabète, en particulier chez les adultes âgés et fragiles, exige une approche nuancée qui fait l’équilibre entre les bienfaits des antihyperglycémiants et les risques d’un contrôle intense de la glycémie. Certains médicaments pour le diabète sont importants pour prévenir les complications chroniques du diabète, mais la prise en charge intensive de la glycémie peut augmenter le risque d’hypoglycémie, entraînant potentiellement des issues indésirables sérieuses (p. ex. chutes, convulsions, hospitalisations, décès). Chez les patients de 65 ans et plus et ceux qui sont atteints de fragilité, il est essentiel d’adopter une approche des soins pour le diabète bien adaptée. Une approche centrée sur le patient pourrait comporter une individualisation des seuils glycémiques et une atténuation de l’intensité autant de la pharmacothérapie que de la surveillance systématique, dans le but d’accorder la priorité à la sécurité et à la qualité de vie du patient. La mise en application de tels soins centrés sur le patient exige que les cliniciens tiennent compte de l’état de santé général, des préférences et du contexte social de chaque patient, s’assurant ainsi que les décisions thérapeutiques concordent avec les objectifs personnels et les circonstances de vie du patient.
Données probantes
Le diabète sucré de type 2 est une affection fortement corrélée avec le vieillissement, et sa prévalence augmente avec l’âge1. Au Canada, environ le quart de la population de 65 ans et plus répond aux critères diagnostiques du DST22. La prise en charge du DST2 inclut la prescription de médicaments pour réduire le risque de complications microvasculaires et macrovasculaires à long terme3. Comme traitement auxiliaire, de nombreuses lignes directrices recommandent aussi l’atteinte d’un seuil précis d’hémoglobine d’A1c (HbA1c) (p. ex. HbA1c <7 %)3,4. Par ailleurs, il importe de signaler que les bienfaits du traitement pour le diabète peuvent prendre jusqu’à une décennie pour être apparents. De plus, des données probantes font valoir qu’un traitement intensif du diabète pourrait ne pas être bénéfique chez les adultes de 65 ans et plus ayant de multiples comorbidités, une démence ou une espérance de vie limitée5. Par conséquent, chez les patients de 65 ans et plus qui ont des multimorbidités ou sont fragiles (ou les 2), qui sont particulièrement à risque de chutes ou d’hypoglycémie, les risques immédiats d’un contrôle glycémique strict surpassent les avantages à long terme6,7.
C’est pourquoi les auteurs de certaines lignes directrices et études sur le diabète ont commencé à préconiser des seuils de glycémie individualisés et un traitement moins intensif du DST2 chez les adultes de 65 ans et plus, mettant ainsi l’accent sur l’amélioration de la qualité de vie au quotidien des patients. Les lignes directrices de Diabète Canada conseillent d’adopter une approche individualisée dans l’établissement des seuils d’HbA1c, reconnaissant que les lignes directrices nationales et internationales varient quant aux valeurs cibles de glycémie appropriées, surtout chez les personnes fragiles et celles en fin de vie8,9. Pour la plupart des patients, les valeurs de glycémie sont jugées appropriées lorsqu’elles se situent entre 5 et 12 mmol/L (à jeun et préprandiale), ce qui correspond à des taux d’HbA1c inférieurs à 8,5 %9-11. Chez les patients qui reçoivent des soins de fin de vie, des seuils de glycémie entre 9 et 15 mmol/L sont recommandés. C’est pourquoi Choisir avec soin Canada encourage l’adaptation du contrôle de la glycémie sur une base individuelle, dans le contexte médical complet du patient12.
Approche envers les patients
Dans la prise en charge du diabète chez des adultes de 65 ans et plus, il est essentiel d’adopter une approche exhaustive pour tenir compte des besoins complexes des patients en matière de santé, notamment les aspects psychologiques, fonctionnels, sociaux et gériatriques. Ces facteurs influent non seulement sur les risques d’effets secondaires et les bienfaits prévus du traitement du diabète, mais aussi sur la capacité des patients à prendre soin d’eux-mêmes11,13. Nous suggérons donc une approche pratique, notamment quelques étapes décrites plus loin et dans la Figure 113, que l’équipe de santé—pouvant inclure des médecins, des infirmières, des pharmaciens et du personnel de soins de longue durée—peut utiliser dans ses pratiques au quotidien pour mettre en application la désintensification du traitement pour les patients atteints de DST2.
Organigramme de la désintensification des soins pour le diabète chez les adultes de 65 ans et plus
Évaluer l’état de santé général. La première étape est d’effectuer une évaluation détaillée de l’état de santé général du patient. L’équipe de soins de santé devrait catégoriser l’état de santé selon qu’il est « bon », « moyen » ou « mauvais » en évaluant les comorbidités, la fonction cognitive et l’état fonctionnel. Une telle évaluation oriente le processus de décision, surtout pour déterminer la pertinence des stratégies de désintensification. Les patients en « bonne » santé pourraient encore bénéficier d’un contrôle glycémique plus étroit, tandis que des objectifs moins stricts seraient plus appropriés pour ceux dont l’espérance de vie est limitée, dont l’état cognitif ou fonctionnel est déficient, qui ont des antécédents d’hypoglycémie ou de multiples comorbidités, comme il est décrit au Tableau 113.
Objectifs thérapeutiques pour les patients atteints du diabète de type 2 et situations dans lesquelles envisager une désintensification en fonction de l’état de santé du patient
Déterminer les stratégies de désintensification. La prochaine étape comporte d’adapter le plan thérapeutique du patient pour le DST2 en se basant sur son état de santé général. Ce processus peut impliquer d’assouplir les objectifs liés à la glycémie ou aux taux d’HbA1c, d’examiner rigoureusement les médicaments actuels et d’envisager la réduction ou la déprescription de certains médicaments, le cas échéant. Toutes ces étapes ont pour but de minimiser le fardeau thérapeutique du DST2 après que les cliniciens ont établi le juste équilibre entre les bienfaits de chaque médicament et ses risques éventuels.
Déterminer les médicaments à déprescrire. Lorsqu’il est décidé de déprescrire un antihyperglycémiant, il faudrait accorder la priorité à ceux qui peuvent causer l’hypoglycémie (p. ex. sulfonylurées et insuline). Dans l’examen des solutions de rechange, il importe de comprendre les bienfaits et les limites de chaque option. On peut envisager d’opter pour des médicaments dont le profil de risques est moins élevé, comme la metformine ou les inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase 4. Même s’il n’a pas été démontré qu’ils apportent des bienfaits cardiovasculaires directs, les inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase 4 peuvent aider à réduire l’hyperglycémie sans provoquer d’hypoglycémie14.
Faire le suivi du patient après la désintensification. Reconnaissant l’improbabilité que les patients développent une hyperglycémie symptomatique à la suite d’une déprescription modérée, nous recommandons une approche prudente qui comporte de surveiller la glycémie ou les taux d’HbA1c durant les semaines et les mois suivant la désintensification. Il est essentiel d’entamer des discussions approfondies qui pourraient impliquer, en plus du patient et de son équipe de soins de santé, ses aidants informels et ses proches, en tenant compte des souhaits du patient et de sa capacité mentale. Pour les patients qui reçoivent des soins de fin de vie, il n’est généralement pas conseillé d’augmenter la fréquence de la surveillance habituelle pour le DST2. Ce faisant, nous pouvons réduire la nécessité d’une surveillance systématique fréquente et nous conformer à l’objectif de réduire le fardeau global des soins. En outre, pour les patients qui ne prennent pas de sulfonylurées ou d’insuline, il est recommandé de réduire et même de cesser la surveillance à domicile de la glycémie, parce qu’il n’y a pas de risque d’hypoglycémie16. De plus, trop de monitorage peut entraîner une augmentation des coûts et l’inconfort du patient16. Il demeure cependant important de continuer la surveillance dans les cas où les mesures de l’HbA1c peuvent être trompeuses, comme chez les patients souffrant de troubles de renouvellement accru des érythrocytes17.
Réduire les évaluations liées au diabète. Enfin, pour les patients qui reçoivent des soins de fin de vie ou qui ont une fragilité ou une démence sévère, nous préconisons l’arrêt des évaluations non essentielles liées spécifiquement au DST218. Les évaluations comme celles pour les artériopathies périphériques ou la néphropathie chronique devraient cesser pour accorder la priorité au confort et à la qualité de vie du patient.
Mise en application
La mise en application de stratégies de désintensification dans le traitement du DST2 exige une approche centrée sur le patient. Ce processus nécessite plus qu’un simple ajustement de la médication et va au-delà de la mesure de l’HbA1c; il implique l’acquisition d’une compréhension plus approfondie des préférences, des besoins et des valeurs du patient pour les intégrer et les prendre en compte dans la perspective plus large du bien-être du patient11. Il est essentiel d’amorcer des conversations sérieuses avec les patients et de connaître leurs attitudes face à la médication et leur volonté de s’impliquer dans la prise de décisions.
Par exemple, dans la discussion des options thérapeutiques pour le DST2 avec un patient qui appréhende un changement fréquent de médicaments, le clinicien peut choisir un schéma plus stable, comportant moins d’ajustements, tout en assurant toujours un bon contrôle de la glycémie. Autrement, pour un patient qui accorde la priorité à la diminution des effets secondaires, le clinicien pourrait recommander des médicaments reconnus pour leur profil de risques moins élevé (p. ex. metformine) et recommander fortement la déprescription des médicaments qui présentent un risque plus élevé d’hypoglycémie (p. ex. sulfonylurées).
Le fait d’établir un plan d’action qui concorde avec les objectifs de soins du patient représente un élément clé du processus. Les cliniciens devraient s’engager dans des discussions franches et claires, et utiliser un langage neutre pour expliquer les bienfaits et les risques éventuels de chaque option de traitement. Il importe de communiquer que la désintensification vise à améliorer les soins en réduisant les préjudices causés au patient qui sont associés à un excès de traitement et de surveillance.
Les attitudes des patients face au traitement et leur désir de s’impliquer dans la prise de décisions peuvent varier grandement. L’utilisation d’aides à la décision peut être utile pour naviguer dans ces discussions. Par exemple, l’aide à la décision Diabetes Medication Choice aide les patients à soupeser les pour et les contre de divers antihyperglycémiants en fonction de leurs préférences et de leurs valeurs19. De même, l’outil de prise de décisions élaboré par Corser et ses collègues comporte des entrevues centrées sur le patient et une collaboration dans l’établissement d’objectifs, ce qui aide les patients à participer activement à la prise en charge de leur diabète20. Le recours à ces outils, de même que la création d’une typologie des attitudes du patient envers le traitement, peut faciliter un processus décisionnel plus collaboratif. Certains patients préféreront une approche plus directrice de la part de leurs professionnels de la santé, tandis que d’autres valoriseront la prise de décisions en collaboration.
Avant de rajuster le traitement pour le DST2, il est essentiel de confirmer que le patient se sent bien informé au sujet des options qu’on lui a présentées et à l’aise avec ses décisions. Le questionnaire SURE en 4 éléments est un outil simple et facile à utiliser, qui peut être utile à cette fin21. Il mesure 4 dimensions selon le point de vue du patient : certitude, compréhension de l’information, ratio risques-bienfaits et encouragement21.
Il est essentiel d’assurer un suivi et une surveillance périodiques pour évaluer la sécurité du plan de désintensification. Des ajustements devraient être apportés en fonction des évaluations continues de l’état de santé, du contrôle de la glycémie et des commentaires du patient. Cette approche dynamique permet de modifier le plan thérapeutique de manière adaptée à l’évolution de l’état de santé et des besoins du patient avec le temps.
Conclusion
Dans cet article, nous présentons une stratégie pour identifier les patients atteints du DST2 susceptibles de bénéficier d’une désintensification du traitement, et nous décrivons comment élaborer un plan de soins individualisé, en collaboration avec les patients. Une approche sur mesure des soins pour le diabète chez les adultes âgés de 65 ans et plus, qui met l’accent sur un traitement individualisé et sur une adaptation constante, fait en sorte que chaque patient reçoit les soins les plus appropriés à sa situation unique, et que le traitement concorde avec ses valeurs et ses objectifs personnels.
Notes
Choisir avec soin Canada est une campagne visant à aider les cliniciens et les patients à entamer un dialogue au sujet des examens, des traitements et des interventions inutiles, et à prendre des décisions judicieuses et efficaces pour assurer des soins de grande qualité. Jusqu’à présent, on compte 13 recommandations portant sur la médecine familiale, mais de nombreuses recommandations concernant d’autres spécialités s’appliquent à la médecine familiale. Les articles produits par Choisir avec soin Canada publiés dans Le Médecin de famille canadien portent sur des sujets pertinents à la médecine familiale et dans lesquels des outils et des stratégies ont été utilisés pour mettre en œuvre une des recommandations et amorcer une prise de décision partagée avec les patients. Si vous êtes un professionnel ou un stagiaire en soins primaires et que vous avez suivi des recommandations ou utilisé des outils de Choisir avec soin dans votre pratique et que vous aimeriez partager votre expérience, veuillez communiquer avec nous à info@choosingwiselycanada.org.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the June 2024 issue on page 391.
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