
Le philosophe grec Plutarque aurait dit : « Éduquer, ce n’est pas remplir un vase, mais allumer un feu1. » Cet adage décrit bien le travail du Dr Dave Davis qui, en raison de son intérêt pour l’apprentissage, a mené une brillante carrière de chercheur dans le domaine de la formation médicale continue (FMC) et du transfert des connaissances.
Dans une étude publiée dans le numéro de mai 2024 du Médecin de famille canadien, Aggarwal et ses collaborateurs ont présenté les contributions de chercheurs en soins primaires très productifs au Canada et ont identifié des personnes dont les travaux ont été largement cités dans la littérature médicale2. Le Dr Davis y figurait à titre de chercheur en soins primaires ayant fait l’objet du plus grand nombre de citations en tant qu’auteur principal, avec un total de 9 081. Des statistiques supplémentaires sur la carrière du Dr Davis sont présentées dans l’Encadré 1, et les articles révisés par les pairs les plus cités dont il est l’auteur principal sont énumérés dans l’Encadré 2.
Dr Dave Davis, en chiffes : Données en date de janvier 2023.
Nombre de publications : 159
Nombre de publications comme auteur principal : 52
Nombre de citations comme auteur principal : 9081
Nombre total de citations : 18 551
Indice h de l’auteur*, de 2007 à 2022 : 44
*L’indice h est calculé en prenant le plus grand nombre d’articles publiés par un auteur ou une auteure qui ont tous reçu au moins le même nombre de citations (h).
Publications les plus citées où il est auteur principal
1. Davis DA, Thomson MA, Oxman AD, Haynes RB. Changing physician performance: a systematic review of the effect of continuing medical education strategies. JAMA 1995;274(9):700-5.
2. Davis D, O’Brien MA, Freemantle N, Wolf FM, Mazmanian P, Taylor-Vaisey A. Impact of formal continuing medical education: do conferences, workshops, rounds, and other traditional continuing education activities change physician behavior or health care outcomes? JAMA 1999;282(9):867-74.
3. Davis DA, Mazmanian PE, Fordis M, Van Harrison R, Thorpe KE, Perrier L. Accuracy of physician self-assessment compared with observed measures of competence: a systematic review. JAMA 2006;296(9):1094-102.
4. Davis DA, Taylor-Vaisey A. Translating guidelines into practice: a systematic review of theoretic concepts, practical experience and research evidence in the adoption of clinical practice guidelines. CMAJ 1997;157(4):408-16.
5. Davis DA, Thomson MA, Oxman AD, Haynes RB. Evidence for the effectiveness of CME: a review of 50 randomized controlled trials. JAMA 1992;268(9):1111-7.
Cet entretien avec le Dr Davis, médecin de famille à la retraite et professeur émérite au Département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto, est la deuxième de notre série en cinq parties consacrée aux chercheurs en soins primaires les plus cités au Canada.
Vous avez commencé votre carrière en tant que médecin de famille communautaire. Comment s’est effectuée la transition vers le leadership et la recherche en éducation?
J’étais mal préparé à la pratique, même après 4 ans d’études en médecine, un stage rotatoire et (longue histoire) 2 ans de pathologie. J’ai obtenu mon diplôme à l’âge de pierre de la formation en médecine de famille, avant la création de la résidence, à une époque où l’on pouvait se lancer avec un minimum d’expérience en soins primaires. Par conséquent, les soins que je prodiguais aux patients étaient loin d’être adéquats. Pour parfaire mon apprentissage, j’ai commencé à suivre des cours de FMC comme ils l’étaient en ce temps-là : donnés dans des lieux agréables, avec de bons repas, mais souvent peu pratiques et ne présentant aucun intérêt pour la médecine de famille, un peu comme les revues scientifiques de l’époque. Dans ces deux types de FMC, c’était des spécialistes qui s’adressaient (souvent avec condescendance) aux médecins généralistes, et il y avait peu de temps ou d’espace consacré à l’application pratique. Ce type d’apprentissage m’a poussé à contribuer au développement puis à l’étude d’expériences éducatives dans mon propre hôpital (Hôpital Joseph Brant à Burlington, en Ontario) et finalement à l’Université McMaster [à Hamilton, en Ontario], une institution relativement nouvelle et assez innovante.
Honnêtement, ces premiers efforts de planification pédagogique étaient en grande partie motivés par mon intérêt personnel ; tout sujet abordé ou présenté représentait mes propres besoins d’apprentissage—et ils étaient nombreux!
Comment avez-vous acquis des connaissances et des compétences en recherche?
Mon grand-père m’a appris qu’il n’y avait pas de mal à « voler » avec les yeux. Donc, au début, j’ai surtout appris en lisant des articles de recherche en éducation, même si la sélection était très limitée à l’époque. Plus tard, lorsque je suis devenu actif à McMaster, j’ai assisté à des cours de maîtrise en conception de la recherche et en théorie de l’éducation. J’y ai rencontré d’autres chercheurs qui partageaient mes idées et j’ai rédigé des articles avec eux. J’ai beaucoup appris au cours de ce processus.
Qu’est-ce qui a contribué au succès de vos recherches? Avez-vous rencontré des obstacles?
J’ai passé de très bons moments à McMaster au début. L’atmosphère de travail était fantastique, propice à la curiosité et à l’investigation, et l’on n’hésitait pas à poser des questions difficiles (par exemple, la FMC fonctionne-t-elle?). Plus tard, des collègues de Toronto et de toute l’Amérique du Nord ont alimenté mes travaux de recherche, en me soutenant, en m’encourageant et en collaborant avec moi.
Les obstacles? Le financement a toujours été un défi. Tout comme le sentiment largement répandu que la FMC est sans importance et ne vaut pas la peine d’être subventionnée. Comme me l’a dit un chercheur : « Il n’y a pas de questions sur lesquelles on puisse faire des recherches en FMC! » Je lui ai pardonné ; il était du domaine des sciences fondamentales.
Comment le mentorat a-t-il façonné votre carrière?
Le mentorat a joué un rôle très important. Mes mentors, de la fin des années 70 au début des années 2000, sont trop nombreux pour tous les nommer. Deux d’entre eux ont joué un rôle essentiel, et sont malheureusement décédés aujourd’hui : Jack Sibley, doyen de la faculté d’éducation de McMaster à l’époque, et Paul Mazmanian de l’Université du Commonwealth de Virginie [à Richmond], une véritable étoile dans le firmament relativement restreint des universitaires spécialisés dans le DPC [(développement professionnel continu)]. Ils ont été des modèles extraordinaires et encourageants. Lorsque ce fut à mon tour d’encadrer d’autres personnes, j’ai essayé de reproduire leur esprit—l’enthousiasme de Jack pour les grandes idées et sa capacité inégalée à trouver des personnes de talent, et le mentorat discret de Paul, qui soutient les gens et les incite à réfléchir.
Quels rôles ont joués la planification et le hasard dans l’évolution de votre carrière de chercheur?
Si ces deux choses étaient des équipes de la LCF (Ligue canadienne de football), le score serait de 0 pour la planification et de 50 pour le hasard. À mes débuts, il n’y avait pas vraiment de parcours de carrière pour les planificateurs pédagogiques ou les érudits (en particulier en FMC) et très peu dans le domaine de la recherche en pédagogie universitaire. Cela dit, les choses ont changé maintenant ; nous ne sommes plus au Moyen-Âge. C’est donc principalement le hasard qui a prévalu.
Vos recherches très citées portent principalement sur la FMC. Avez-vous envisagé d’élargir vers des domaines autres que la FMC et le transfert des connaissances?
Comme j’ai pu l’étudier, la formation médicale continue a ses propres subtilités (par exemple, l’âge de l’apprenant, l’expérience, la capacité d’auto-évaluation, la prise de décision, la formation). Cependant, il ne s’agit que de la première étape d’un processus extrêmement important qui commence par l’assimilation d’information clinique et aboutit à la réalisation de gestes cliniques et aux résultats de ces soins pour les patients. Dès la phase initiale de ce processus, j’ai été fortement influencé par McMaster, où la médecine factuelle était notre pain et notre beurre. C’est rapidement devenu un intérêt marqué pour la création et l’application de lignes directrices pour la pratique clinique afin d’orienter la FMC. Une grande partie de la fin de ma carrière a été consacrée au produit final de la FMC : le rendement clinique et son impact sur les soins aux patients. De façon générale, mes intérêts se sont tournés à partir de là vers l’amélioration de la qualité et la science de la mise en œuvre, appelée transfert des connaissances au Canada.
En rétrospective, laquelle de vos initiatives de recherche a été la plus satisfaisante?
Les intrants et les extrants de la FMC sont intéressants, même s’ils sont en quelque sorte secondaires par rapport au principal sujet—et le plus satisfaisant—sur lequel je me suis penché, à savoir le processus de formation continue : comment les connaissances sont acquises et ensuite appliquées dans le contexte clinique. A posteriori, cependant, les initiatives et les projets de recherche que j’ai trouvé les plus satisfaisants sont ceux qui ont réuni des personnes partageant les mêmes intérêts. Les relations qui se sont nouées à ce moment-là ont perduré, pour la plupart, jusqu’à ce jour.
Vous est-il arrivé par moments de vous sentir découragé par la progression de vos recherches?
Au beau milieu d’une méta-analyse, d’une étude sur le transfert ou l’application des connaissances, ou encore d’une initiative d’ACQ [(amélioration continue de la qualité)], il m’est arrivé de me sentir dépassé, envahi par la crainte sincère de crouler sous les données ou la complexité du travail. Découragé ou pessimiste? Non. Frustré, oui. J’ai eu besoin de prendre du recul par rapport à certains projets pour avoir une meilleure vue d’ensemble, de demander de l’aide et d’apprendre à être patient.
Comment votre recherche a-t-elle influencé la pratique clinique ou la FMC?
Je vois des signes de changement dans le format des cours, dans les innovations comme les dossiers d’apprentissage et dans l’accent sur la FMC que mettent les associations professionnelles comme le Collège des médecins de famille du Canada, ses homologues américains et la spécialité qu’ils représentent. CanMEDS et d’autres cadres de compétences tiennent compte désormais de l’apprentissage permanent fondé sur la pratique3. Je ne peux pas vous dire si cela est dû à mes efforts et à ceux de mes collègues ou au simple fait qu’il est prouvé que la FMC didactique a peu de chances de modifier le rendement clinique. Je me réjouis quand je vois des annonces d’activités d’apprentissage organisées en petits groupes ou quand j’entends des gens reconnaître que la pratique clinique et l’apprentissage sont inextricablement liés. Pour moi, elles représentent deux côtés de la même médaille.
Quelles leçons avez-vous tirées du croisement entre votre vie professionnelle et votre vie privée?
Vous vous souvenez du livre de Robert Fulghum, J’ai tout appris quand j’étais petit4? Partagez tout. Jouez franc jeu. Ne frappez pas les gens. Regardez autour de vous. Ce sont essentiellement les leçons de la recherche appliquées dans la vie ; du moins, celles que j’ai appliquées dans la mienne. Peut-être que la recherche n’est qu’une sorte de maternelle pour adultes. Si l’on fait abstraction du conseil de Fulghum de faire des siestes l’après-midi. Mais je suis à la retraite maintenant, je peux me le permettre.
À la retraite, vous vous êtes lancé dans la création littéraire. Cela est-il lié à votre expérience de chercheur, de clinicien ou d’administrateur?
En grande partie. Tout d’abord, je me suis toujours senti contraint par le cadre strict (mais nécessaire) des objectifs, de la méthodologie, des résultats et de l’interprétation. Je m’en tenais seulement aux faits ou aux résultats d’une étude, mais je voulais souvent m’en éloigner. L’écriture créative me permet de sortir des sentiers battus. Elle me permet également d’utiliser et d’adapter les histoires de patients. En 40 ans, j’en ai vu beaucoup. Ces patients (anonymisés, bien sûr) et les leçons qu’ils m’ont apprises—sur la bravoure, la perte et le rétablissement, l’isolement et la communauté, la façon de vivre et de mourir—méritent d’être immortalisés.
Avez-vous des réflexions que vous aimeriez partager avec la relève de la recherche en soins de santé primaires?
J’en ai trois. Premièrement : Trouvez un mentor, ou même plusieurs. Constituez une équipe, même virtuelle. Encadrez d’autres personnes. Deuxièmement : N’ayez pas peur de remettre en question les idées préconçues, de poser des questions dérangeantes, de lutter contre l’idée que les soins primaires, comme la FMC, sont en quelque sorte le petit mendiant qui ne fait pas le poids devant la foule d’autres domaines qui ont des caméras à positrons, des endoscopes sophistiqués et du financement des grandes compagnies pharmaceutiques. Troisièmement : N’oubliez jamais le patient. Tout comme l’enseignement et la pratique clinique sont inextricablement liés, la recherche et les soins aux patients devraient également l’être.
Oh, je viens de penser à une quatrième : Tenez bon.
Notes
Entrevues d’influence est une série limitée publiée dans Le Médecin de famille canadien et coordonnée par la Section des chercheurs (SdC) du Collège des médecins de famille du Canada. En mettant pleins feux sur les cinq chercheurs canadiens en soins primaires les plus cités, la SdC souhaite célébrer leurs contributions et inspirer d’autres à s’engager dans ce domaine. Apprenez-en davantage sur la SdC au https://www.cfpc.ca/fr/member-services/committees/section-of-researchers.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the June 2024 issue on page 426.
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