Si vous lisez cet éditorial sous forme imprimée, la revue peut vous sembler un peu plus volumineuse qu’à l’habitude. Vous n’avez pas tort : cette année, pour la première fois, le Médecin de famille canadien publie un numéro combiné pour juillet et août. Comme il a été mentionné dans le Message de l’éditeur le mois dernier, nous procéderons dorénavant ainsi chaque année, et nous le ferons aussi pour le numéro de novembre et décembre. Le thème du présent numéro plus volumineux est la santé sexuelle, puisque les sujets à couvrir sont nombreux, notamment les obstacles que rencontrent les patients pour accéder à des soins de santé sexuelle.
L’origine du mot barrier, dont la racine étymologique vient du latin populaire (barra), remonte au Moyen Âge, lorsque le terme a initialement été utilisé pour décrire un piquet ou une tige qu’on utilisait pour garder une clôture fermée1. En vieux français, la barrière désignait un obstacle ou le gardien de l’entrée1. Depuis ce temps, le sens du mot a pris des connotations plus métaphoriques, comme dans cette définition du dictionnaire Merriam-Webster.com : « quelque chose d’immatériel qui entrave ou sépare2 ».
Des personnes à la recherche de services de santé sexuelle partout au pays continuent d’être empêchées de recevoir les soins dont elles ont besoin3, et les professionnels se heurtent aussi à des obstacles quand ils tentent de prendre soin des patients. Une façon de réduire les barrières pour eux, c’est d’acquérir, en tant que médecins de famille, des connaissances sur la santé sexuelle afin de pouvoir les aider directement, sans avoir à demander une consultation ailleurs. Dans le présent numéro, de nombreux articles nous aideront en ce sens. Le dépistage des infections transmissibles sexuellement chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes est expliquée dans un article par le Dr Patrick O’Byrne et ses collègues (page e89)4, et l’on trouvera aussi une révision clinique au sujet du traitement des complications postopératoires courantes chez les femmes trans qui ont subi une vaginoplastie (page 457)5. La Dre Dominika Jegen et ses collègues présentent une technique novatrice et pratique pour la formation sur l’insertion d’un stérilet au moyen d’un avocat (page 476)6. Cette technique pourrait servir dans la formation des résidents ou pour acquérir nous-mêmes cette compétence.
Pourtant, même si nous croyons avoir perfectionné nos connaissances cliniques et même si nous pratiquons aux limites de nos zone de confort, il y a encore des barrières systémiques à corriger. Par exemple, dans son étude sur le dépistage du cancer du sein, la Dre Dalia Eldol met en évidence les barrières auxquelles font face les nouvelles arrivantes, notamment l’incapacité d’accéder aux soins dans leur propre langue (page 492)7. L’article de recherche par Praniya Elangainesan et ses collègues a démontré qu’en Ontario, les patientes préféraient l’autodépistage du virus du papillome humain à un dépistage du cancer du col par un professionnel de la santé (page 480)8. Les auteures ont conclu qu’il serait plus probable que les patientes aient accès au dépistage du cancer du col si on leur offrait l’autodépistage. Lorsque nous comprenons les embûches existantes, nous pouvons commencer à briser les barrières.
Les services de santé sexuelle sont une forme de soins primaires, et que nous dispensions ces services nous-mêmes pour aider à accélérer les soins ou que nous plaidions plus généralement en faveur de changements pour en arriver au même but, nous pouvons faire tomber les barrières en enlevant les barres de métal qui semblent bloquer l’accès aux soins de santé.
Quelles que soient les mesures que nous prenons, qu’il s’agisse d’apprendre une nouvelle compétence, d’avoir des conversations personnelles et peut-être difficiles ou de plaider en faveur de changements, il y aura un certain degré de malaise. Quoi qu’il en soit, c’est une chose habituelle en médecine familiale. Nous avons des conversations malaisantes tous les jours—nous pouvons être mal à l’aise en raison d’une incertitude diagnostique et de symptômes médicalement inexpliqués. Nous ressentons un malaise émotionnel devant la dissonance cognitive qui découle de notre incapacité d’offrir des soins optimaux en raison des limites du système de santé. Le sentiment d’inconfort n’est donc pas nouveau. L’exposition à des situations gênantes est aussi la chose même qui, en définitive, ouvrira les limites non seulement de nos zones de confort, mais aussi les verrous que les patients pourraient rencontrer dans l’accès aux services de santé sexuelle.
Conformément à l’étymologie ancienne, les médecins de famille sont souvent appelés les gardiens de l’entrée menant au système de santé, chargés d’assurer que les ressources attribuées aux soins financés par le secteur public sont gérées de manière appropriée. Peut-être qu’au lieu de nous considérer comme des gardiens du portail, pouvons-nous aussi nous considérer comme des intendants, des aidants, des acteurs ou des facilitateurs, et nous demander : « Quelles portes pouvons-nous ouvrir? »
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