Dans l’ensemble, l’incidence et la prévalence du cancer ont continué de grimper au cours des 3 dernières décennies et, en 2018, plus de 1,5 million de Canadiens vivaient avec le cancer ou y avaient survécu1. Les personnes qui ont terminé un traitement actif du cancer ont besoin d’un suivi continu ou de soins de survivance. Traditionnellement, les soins aux survivants relevaient de l’oncologie; toutefois, les pressions accrues exercées sur les soins tertiaires ont fait en sorte que cette responsabilité a été réorientée vers les soins primaires, souvent immédiatement après que les patients ont terminé leur traitement aigu2. Des essais randomisés contrôlés ont démontré que les soins primaires et les soins spécialisés s’équivalent sur les plans de la qualité de vie liée à la santé des patients et de la satisfaction des survivants, mais que les soins primaires ont un meilleur rapport coût-efficacité3,4. Une recherche documentaire exploratoire a fait valoir que si les professionnels des soins primaires (PSP) dispensent efficacement des soins holistiques, la plupart d’entre eux croient que leur base de connaissances n’est pas suffisante pour fournir des soins efficaces aux survivants du cancer5. Ce bref article passe en revue les 4 étapes de la prestation des soins aux survivants et offre des recommandations sur la surveillance des patients atteints de cancers courants, dans le but d’aider les PSP qui soignent de ces patients (Figure 1).
Les 4 étapes à suivre dans les soins aux survivants
Étape 1 : la connaissance et la coordination des soins
La première étape dans les soins aux survivants est la connaissance et la coordination des soins requis. Il est essentiel que les PSP comprennent et documentent les traitements de leurs patients contre le cancer. Les traitements contre le cancer peuvent prendre diverses formes, comme la chirurgie, la radiothérapie, les thérapies ciblées, l’endocrinothérapie, la chimiothérapie et l’immunothérapie6-10. Chacun de ces traitements peut causer des effets secondaires ou des séquelles à long terme, qui peuvent apparaître tôt ou tard sur la feuille de route de la survivance. Les effets secondaires, surtout ceux liés à l’immunothérapie, sont plus facilement reconnus si les cliniciens sont au fait de l’exposition à des thérapies spécifiques. En outre, certains traitements peuvent continuer d’être administrés durant l’étape des soins de survivance, et nécessiter une surveillance spécifique et la prise en charge des effets secondaires, comme l’évaluation de la densité minérale osseuse et le traitement des arthralgies chez les patients qui prennent des inhibiteurs de l’aromatase11.
Étape 2 : la surveillance du cancer
Les personnes qui ont été diagnostiquées du cancer sont à risque plus élevé que la population en général de recevoir un deuxième diagnostic de cancer primaire étant donné le potentiel plus grand de mutations génétiques, l’impact plus fort des facteurs prédisposants liés au mode de vie (p. ex. tabagisme, consommation d’alcool) et les risques pour la santé des traitements pour le cancer (p. ex. radiothérapie, chimiothérapie)12. De plus, les personnes qui ont eu un diagnostic de cancer sont à risque d’une récurrence locale ou systémique du cancer et devraient, en conséquence, faire l’objet d’une surveillance. La surveillance du cancer comprend des bilans et des examens physiques périodiques pour rechercher de nouveaux signes, symptômes ou constatations évocateurs d’une récurrence, cela étant jumelé à des évaluations appropriées des biomarqueurs et de l’imagerie. Les symptômes d’une récurrence dépendront du type de cancer primaire en cause et du parcours des métastases, et devraient inciter à entreprendre une investigation diagnostique13-16. Bon nombre de récidives apparaîtront en dehors des rendez-vous réguliers; il importe donc d’avertir les patients de signaler tout nouveau symptôme inquiétant qui persiste pendant plus de 2 semaines17,18. La plupart des récurrences du cancer du poumon et du côlon se produiront au cours des 2 années suivant le traitement, et jusqu’à 55 % des cancers du poumon non à petites cellules au stade précoce (I et II) connaîtront une récidive19,20. La récurrence du cancer du sein varie selon le sous-type moléculaire, et les sous-types plus agressifs, comme les triples négatifs, récidivent habituellement de 3 à 5 ans après le diagnostic, tandis que les sous-types plus indolents, comme le luminal A, réapparaissent généralement de nombreuses années (souvent >10 ans) après le traitement21,22. L’intensité de la surveillance pour chaque type de cancer se fonde sur les modèles de récurrence et sur le risque moins élevé de récidive avec le temps. Même si les recommandations peuvent varier d’une province à l’autre23,24, les principales stratégies de suivi des patients qui ont eu un cancer du sein, du côlon, de la prostate ou du poumon sont résumées à la Figure 213-16,25-28. Le respect de ces recommandations dépendra des préférences du patient et de ses comorbidités, qui pourraient exclure la possibilité de suivre à nouveau un traitement dans l’éventualité d’une récurrence.
Étape 3 : la prise en charge des effets secondaires à long terme du traitement
La prise en charge des effets secondaires à long terme courants de la chimiothérapie, de la radiothérapie, de l’endocrinothérapie, des thérapies ciblées et de l’immunothérapie a été antérieurement présentée dans d’autres « Oncologie en bref 6-10 ». Les effets secondaires d’une thérapie contre le cancer peuvent apparaître de nombreuses années après le traitement, notamment le risque d’une leucémie à la suite d’une chimiothérapie, qui atteint un sommet après 5 à 10 ans29, et une incidence de plus du double d’insuffisance cardiaque observée chez les patients qui ont reçu une chimiothérapie à l’anthracycline, même 20 ans après le traitement30. Les professionnels des soins primaires devraient dépister chez les survivants du cancer les nombreuses séquelles physiques et psychologiques associées au traitement contre le cancer, qui comprennent la douleur, la toxicité financière, la difficulté de retourner au travail, sans compter les répercussions sur la santé sexuelle et psychologique.
Il est plus probable que les survivants du cancer souffrent de dépression et d’anxiété par rapport à la population en général et ils devraient donc faire l’objet d’un dépistage de ces problèmes31,32. Plus de la moitié des survivants du cancer éprouveront la crainte d’une récidive, soit une hantise de la récurrence du cancer, qui s’accompagne d’une hypervigilance des possibles symptômes physiques qui pourraient évoquer un retour du cancer. Cette peur de la récurrence peut être profonde et avoir des effets négatifs sur la qualité de vie et le fonctionnement33. Les médecins de famille devraient s’efforcer d’identifier la crainte d’une récurrence chez leurs patients et les soutenir en normalisant ces préoccupations, tout en leur fournissant des renseignements exacts sur le diagnostic et le pronostic. La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) peut apporter des bienfaits aux patients dont la crainte de récidive est de modérée à sévère34. Quelque 30 % des survivants du cancer ressentent une fatigue liée au cancer, une sensation subjective d’épuisement qui influe sur le fonctionnement de la personne bien au-delà de son niveau d’efforts35. La prise en charge de la fatigue liée au cancer est principalement non pharmacologique, lorsque les facteurs médicaux contributifs ont été réglés. Il a été démontré que l’exercice, la TCC et la méditation pleine conscience sont efficaces dans le traitement de la fatigue liée au cancer, et les psychostimulants comme le méthylphénidate sont réservés aux cas réfractaires12. Environ 50 % des patients ont l’impression d’avoir des déficits cognitifs après tous les types de thérapies contre le cancer, quoique les changements dans la cognition soient principalement associés à la chimiothérapie36. La dysfonction cognitive peut être exacerbée par des troubles de l’humeur et d’anxiété existants. Les courts outils de dépistage cognitif communément utilisés pour la démence n’ont pas la discrimination suffisante pour évaluer la dysfonction cognitive liée au cancer; par conséquent, des tests neuropsychologiques devraient être envisagés. La prise en charge des effets secondaires comporte de se pencher sur les causes médicales réversibles, de valider les symptômes et d’entreprendre des traitements non pharmacologiques, comme les stratégies d’adaptation, l’exercice, la méditation pleine conscience, l’entraînement cognitif et la TCC12. Le méthylphénidate, le modafinil ou le donépézil peuvent être essayés si toutes les autres interventions ont échoué, quoique les données probantes étayant l’efficacité de ces agents soient limitées37.
Étape 4 : la promotion de la santé
Les mesures concernant le mode de vie et les soins préventifs sont importantes pour les survivants du cancer qui sont à risque plus élevé de nouveaux cancers et de maladies chroniques que la population en général. Toutefois, les survivants du cancer, même ceux dont s’occupe un médecin de famille, reçoivent habituellement des taux sous-optimaux de soins préventifs, y compris le dépistage du cancer et la mesure des taux lipidiques38. Les médecins de famille devraient s’assurer que toutes les interventions de dépistage recommandées sont effectuées selon les échéanciers prescrits chez les survivants du cancer. Les professionnels des soins primaires sont souvent en mesure d’estimer les risques génétiques plus importants grâce à leur connaissance des antécédents médicaux des membres de la famille et devraient conséquemment aiguiller les patients vers des tests génétiques ou des programmes de dépistage des cancers à risque élevé, le cas échéant.
Il importe d’envisager des interventions liées au mode de vie pour les survivants du cancer, notamment la cessation du tabagisme, la réduction de la consommation d’alcool, la protection contre le soleil, l’exercice et le maintien d’un poids santé par une saine alimentation. En plus d’être un agent causatif des nouveaux cancers primaires, le tabagisme après le diagnostic d’un cancer réduit l’efficacité des thérapies contre le cancer, prolonge et aggrave les effets secondaires du traitement, augmente le risque de récurrence, accroît la mortalité toutes causes confondues, et réduit la survie et la qualité de vie39-41. Par conséquent, la cessation du tabagisme est une recommandation fondamentale pour tous les survivants du cancer. Une consommation d’alcool modérée (1 à 2 consommations par jour) est associée à un risque accru de développer divers types de cancers, y compris le cancer du sein, de la tête et du cou, du larynx, de l’œsophage, du foie et colorectal, de même qu’à une mortalité plus élevée dans l’ensemble42-44. Les taux de récidive du cancer du sein peuvent être accrus chez les personnes qui boivent plus de 3 consommations d’alcool par semaine, quoique ce risque touche principalement les femmes en surpoids ou obèses45. Il est recommandé aux survivants du cancer, s’ils en sont capables, d’entreprendre 150 minutes d’activité modérée ou 75 minutes d’exercice à forte intensité par semaine et un entraînement musculaire 2 fois par semaine. La participation à des exercices physiques quotidiens peut se traduire par une diminution de la mortalité, par une amélioration symptomatique de la douleur, de la fatigue et de la dépression, de même que par une meilleure qualité de vie46. Le maintien d’un indice de masse corporelle de moins de 30 kg/m2 est corrélé à un risque plus faible de récurrence de la maladie et de développement de nouveaux cancers primaires, et une alimentation de grande qualité est associée à une plus faible mortalité chez les survivants du cancer44,47.
Conclusion
Cet article d’« Oncologie en bref » a présenté les 4 étapes des soins aux survivants du cancer ainsi que les recommandations particulières concernant la surveillance dans le cas de 4 cancers courants. L’adoption de cet itinéraire peut aider les médecins de famille à dispenser des soins appropriés aux patients qui ont terminé leur traitement contre le cancer.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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This article is also in English on page 465.
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