Description du cas
Une femme âgée de 72 ans se présente avec une dysphagie qui dure depuis deux mois. Elle ne s’est pas rendue dans une clinique depuis quelques années et semble bien se porter. Elle se plaint d’un reflux acide et d’une difficulté à « faire descendre la nourriture ». Après avoir essayé sans succès des traitements contre le reflux gastro-œsophagien, vous lui prescrivez une déglutition barytée et une radiographie des poumons. Vous êtes étonné d’apprendre que les résultats sont inquiétants, puisqu’ils indiquent une masse médiastinale qui envahit l’œsophage. Dans les semaines qui suivent, la patiente subit une biopsie qui confirme un carcinome à petites cellules du poumon. Les conclusions de la tomodensitométrie et de la scintigraphie osseuse sont préoccupantes : elles suggèrent la présence de métastases. Vous orientez la patiente vers un spécialiste en oncologie et elle débute un cycle de chimiothérapie palliative. Mais dans les mois qui suivent, elle perd du poids, se sent fatiguée et souffre de douleurs osseuses. Elle vous pose des questions sur l’aide médicale à mourir (AMM). Jusqu’à présent, vous l’auriez orientée vers le bureau local de coordination de l’AMM; mais étant donné que vous vous occupez de ce cas en tant qu’enseignant clinicien avec un résident en médecine de famille, vous prenez le temps de réfléchir. Pourriez-vous renforcer et améliorer ensemble votre compréhension de l’AMM pour pouvoir l’expliquer à la patiente et l’accompagner dans ce processus ? Vous vous souvenez des principaux objectifs d’apprentissage de la formation sur l’AMM, établis dans le cadre d’une étude à méthodes mixtes axée sur les programmes de résidence en médecine de famille au Canada (Tableau 1)1,2.
La participation des cliniciens à l’évaluation des patients dans le cadre de l’AMM enrichit leur capacité de soin. La recherche indique que les cliniciens sont profondément satisfaits du processus3, en dépit des difficultés liées à l’apprentissage d’une nouvelle approche et du fardeau administratif qui y est associé. Pour veiller à fournir des renseignements appropriés au sujet de l’AMM, il est nécessaire d’avoir une conversation détaillée avec les patients au sujet des objectifs de soins et d’offrir des soins palliatifs en temps opportun4. Depuis septembre 2023, un programme d’études dans les deux langues officielles et agréé à l’échelle nationale est disponible gratuitement au Canada pour les médecins de famille et les infirmières et infirmiers praticiens5. Le Programme canadien de formation sur l’AMM a été lancé par l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM (ACEPA) grâce à une subvention de Santé Canada et avec l’aide du Comité directeur national, composé de membres de la plupart des organismes de soins de santé professionnels, notamment le Collège des médecins de famille du Canada, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et l’Association des infirmières et infirmiers du Canada. L’objectif global du Programme canadien de formation sur l’AMM est de standardiser et d’harmoniser la formation et l’approche de l’AMM pour les infirmières et infirmiers praticiens et les médecins qui évaluent l’admissibilité à l’AMM et la fournissent au Canada. Chaque module offre aux cliniciens des occasions de réfléchir et d’améliorer leur résilience, afin de répondre à la préoccupation selon laquelle l’évaluation et la prestation de l’AMM peuvent entraîner des questions sur les valeurs, l’autonomie et l’éthique. Le programme d’études totalise 27 heures de participation : 13 heures d’autoapprentissage en ligne et 14 heures de séances animées. Le Programme canadien de formation sur l’AMM a été créé grâce à un contrat avec le système de gestion de l’apprentissage de l’Université Queen’s. Aujourd’hui, plus de 1000 apprenants suivent le programme à différents stades. Les sujets 1 (Fondements de l’AMM au Canada) et 2 (Conversations cliniques comprenant l’AMM) font l’objet d’un autoapprentissage en ligne. Ils permettront aux apprenants d’acquérir une connaissance de l’AMM et d’en parler avec leurs patients (Encadré 15).
Le Programme canadien de formation sur l’AMM
Pour accéder au programme d’études en anglais ou en français, les apprenants doivent remplir un formulaire d’inscription à https://camapcanada.ca/curriculum/how_to_register/?lang=fr. Ensuite, ils doivent créer un compte sur le système de gestion de l’apprentissage, la plateforme d’apprentissage hébergée par l’Université Queen’s de Kingston (Ontario). Après avoir reçu un lien de connexion, les cliniciens peuvent commencer leur apprentissage. Ils auront accès à l’ensemble des sujets et des ressources d’autoapprentissage en ligne pendant un an et n’auront aucuns frais à engager une fois inscrits.
Les sujets de formation comprennent les éléments suivants :
Fondements de l’AMM au Canada
Conversations cliniques et AMM
Évaluation de l’AMM
Évaluation de l’aptitude et de la vulnérabilité
Prestation de l’AMM
Gestion efficace des cas complexes
AMM et troubles mentaux
Le programme d’études totalise 27 heures de participation : 13 heures d’autoapprentissage en ligne et 14 heures de séances animées. Il donne droit à des crédits d’apprentissage en groupe certifiés Mainpro+ du Collège des médecins de famille du Canada, à raison de 3 crédits par heure jusqu’à un maximum de 81 crédits.
AMM—Aide médicale à mourir.
Données de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM5.
La plupart des Canadiens et des Canadiennes soutiennent la décision de la Cour suprême dans Carter c. Canada, qui a donné lieu à l’adoption de la première loi sur l’AMM en 20166. D’après les résultats d’un sondage Ipsos iSay mené du 7 au 12 juin 2023 sur un échantillon représentatif de 3502 Canadiens et Canadiennes âgés de 18 ans et plus7, la décision de la Cour suprême bénéficie d’un soutien important qui s’élève à 84 %. Les personnes de plus de 55 ans sont encore plus nombreuses à soutenir cette décision, avec un résultat de 89 %. L’appui des groupes confessionnels est également élevé, avec 83 % des catholiques et 79 % des protestants qui approuvent la décision. Par conséquent, les médecins de famille peuvent s’attendre à ce que leurs patients leur demandent des renseignements au sujet de l’AMM, en particulier à la suite d’un diagnostic d’affection ou de maladie incurable.
Pour recevoir l’aide médicale à mourir, la personne concernée doit soumettre une demande formelle, être jugée admissible par deux cliniciens et satisfaire aux mesures de sauvegarde pertinentes8. En 2022, la plupart des demandes de l’AMM (13 102 [81,4 %]) ont abouti à sa prestation9. Les 18,6 % restants ont mené à d’autres résultats : 560 personnes ont été jugées non admissibles (3,5 % des demandes écrites), 298 personnes ont retiré leur demande (1,9 % des demandes écrites) et 2144 personnes sont décédées avant de recevoir l’AMM (13,3 % des demandes écrites). En 2022, 4,1 % des personnes décédées au Canada ont reçu l’AMM. Sur les 1837 cliniciens ayant participé à la prestation d’une aide à mourir en 2022, 67,7 % étaient des médecins de famille.
Suite du cas
Vous poursuivez le parcours avec votre patiente. Après avoir terminé les premiers sujets de l’apprentissage en ligne, le résident ouvre la discussion au sujet de l’AMM en toute confiance; pendant ce temps, vous vous procurez les formulaires provinciaux ou territoriaux. Votre patiente vous dit qu’elle pense être admissible et qu’elle souhaite effectuer les deux évaluations dès que possible. Elle espère que vous pourrez procéder à l’une d’entre elles et que vous envisagerez, en tant que prestataire de soins de santé en qui elle a le plus confiance, de lui fournir l’AMM si elle est jugée admissible. Vous en discutez avec votre résident et en arrivez à la conclusion qu’une formation supplémentaire pourrait être nécessaire pour faire cela de façon approfondie et appropriée. Vous contactez un collègue qui évalue des demandes de l’AMM depuis quelque temps et il vous encourage à procéder à l’évaluation, avec un peu d’aide et en suivant la formation des sujets 3 (Évaluation de l’AMM) et 5 (Prestation de l’AMM) du Programme canadien de formation sur l’AMM. Vous notez que la formation sur ces sujets comprend une composante d’autoapprentissage ainsi que la participation à des séances animées enseignées par des membres du corps professoral de l’ACEPA, et que vous pouvez suivre la formation en personne ou de façon virtuelle.
Une étude de recherche qualitative a été menée sur les connaissances et les compétences acquises par les cliniciens dans les trois premières années suivant la légalisation de l’aide à mourir au Canada10. Elle a conclu à un accès limité ou nul à la formation et au mentorat, puisque ce domaine des soins de santé était nouveau. Les utilisateurs précoces ont eu recours à différentes stratégies, y compris l’organisation de groupes de formation pour comparer les approches et les stratégies et réfléchir aux expériences imprévues. Globalement, les personnes souhaitaient avoir accès rapidement à des programmes et à des offres de mentorat. Leur expérience a montré à quel point les occasions d’orientation accessibles étaient importantes. Les résultats de cette recherche ont souligné la nécessité d’un programme d’études comme le Programme canadien de formation sur l’AMM. En outre, une analyse de la documentation complète de 9284 titres publiés entre 2011 et 2021 a révélé des données détaillées sur 104 programmes qui offraient de la formation sur les conversations liées à la fin de vie avec des patients adultes et leurs familles11. Si l’impact à long terme sur les praticiens et les patients n’était pas bien identifié, de nombreux programmes ont souligné les avantages de l’apprentissage et de la discussion interdisciplinaires. Aucun programme de formation sur la communication relative à l’AMM n’a été identifié.
Suite du cas
À mesure que vous en apprendrez davantage sur les composantes de l’évaluation d’une demande d’AMM, vous connaîtrez de mieux en mieux les soutiens supplémentaires. Cela implique de connaître le travail social et les soutiens infirmiers à l’échelle locale au sein de votre communauté, mais aussi de disposer d’un réseau de collègues qui évaluent et fournissent également l’AMM dans votre région et partout au pays. Vous connaissez la patiente concernée, elle est apte à prendre des décisions médicales et elle souffre d’une affection qui limite son espérance de vie et mènera à une détérioration avancée et irréversible de ses capacités; mais vous vous rendez compte que ce n’est pas le cas de tous les patients. En évaluant d’autres patients, vous reconnaîtrez peut-être certaines limites en matière de capacités, une incertitude liée au pronostic, des troubles de santé mentale concomitants, un isolement social, un manque d’accès aux services et des vulnérabilités supplémentaires. Le programme d’études fournit une formation approfondie sur les trois derniers sujets : le sujet 4, Évaluation de l’aptitude et de la vulnérabilité; le sujet 6, Gestion efficace des cas complexes; et le sujet 7, AMM et troubles mentaux. Vous en apprenez davantage sur l’ACEPA et vous comprenez que cette communauté de pratique peut vous apporter une aide précieuse pour fournir des soins de haute qualité liés à l’AMM en tant que clinicien, leader et instructeur auprès des résidents en médecine de famille.
Les points de vue des cliniciens sur les soins de haute qualité en matière d’AMM ont été analysés dans le cadre d’une étude qualitative menée en 2021 dans 4 centres canadiens12. Le besoin de soutien et de maintien des cliniciens et des institutions grâce à l’éducation et à la formation ainsi que l’encouragement de la collaboration interprofessionnelle faisaient partie des principaux thèmes mentionnés. En s’appuyant sur ces thèmes, un groupe de cliniciens a fondé en 2016 l’ACEPA, l’association professionnelle et pédagogique interdisciplinaire des personnes qui fournissent l’AMM. La création de l’ACEPA a permis de partager de façon confidentielle des pratiques exemplaires et de comparer les approches à des scénarios difficiles et complexes. L’organisation a créé un forum en ligne confidentiel pour les membres et continue de le maintenir, afin que les questions liées à l’admissibilité des patients, aux considérations cliniques pratiques et aux difficultés logistiques puissent être traitées par un groupe de pairs. De petits groupes de travail élaborent des documents d’orientation pour la profession, qui sont révisés par un groupe plus large de consultants et approuvés par le conseil d’administration de l’ACEPA. En 2021, l’association s’est vue attribuer le statut d’organisation caritative.
Résolution du cas
Après avoir terminé les sujets 2 et 3 du Programme canadien de formation sur l’AMM, vous procédez à l’évaluation de votre patiente et concluez qu’elle satisfait aux critères de l’AMM. Sur le forum de la communauté de pratique de l’ACEPA, vous trouvez un autre évaluateur qui s’avère être un fournisseur expérimenté. Vous n’êtes pas prêt à fournir l’AMM seul; cependant, vous acceptez, conformément à la demande de votre patiente, d’être présent lors du processus, environ quatre mois après qu’elle aborde le sujet pour la première fois. Elle-même et les membres de sa famille sont rassurés par votre présence, ils vous font part de leur gratitude et de leur appréciation pour votre aide et votre soutien au fil des années, et particulièrement au cours de ces derniers mois qui ont été stressants. Alors que vous songez à cette vie qui se termine, seul puis avec votre résident en médecine de famille, vous comprenez que vous jouez un rôle essentiel dans la prestation de soins empreints de compassion.
Réflexions finales
Le Programme canadien de formation sur l’AMM constitue un nouveau chapitre de l’éducation à la santé au Canada. C’est l’un des premiers exemples de programme d’études élaboré spécifiquement pour répondre aux besoins des infirmières et infirmiers praticiens et des médecins de famille qui fournissent l’AMM. Il s’agit de l’un des seuls programmes de formation qui s’appuie sur la contribution des principales organisations de cliniciens et qui est informé par des personnes ayant une expérience vécue et ayant fait part de leur rétroaction à divers stades de son élaboration.
Que les cliniciens suivent la totalité du programme ou certaines parties seulement, son élaboration continuera d’éclairer les cliniciens du Canada sur les meilleures approches en matière de formation pédagogique. Le programme lui-même devrait permettre de s’assurer qu’une équipe de soins de santé résiliente est prête à répondre aux demandes de la population canadienne.
L’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM propose à ses membres d’intégrer une communauté de fournisseurs agréée et confidentielle, d’assister à des webinaires d’échange d’informations sur des cas et à des symposiums sur des sujets d’intérêt et de préoccupation, et organise une conférence annuelle sur l’AMM. Les cliniciens qui souhaitent intégrer l’AMM à leur pratique existante ou l’ajouter à la gamme des soins qu’ils fournissent trouveront probablement que le soutien d’une organisation professionnelle est essentiel.
Notes
Conseils pour les enseignants
▸ L’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM (ACEPA), association professionnelle et pédagogique interdisciplinaire pour l’aide médicale à mourir (AMM), a été fondée en 2016. Elle élabore des lignes directrices, propose des webinaires et des symposiums, soutient la recherche et organise une conférence annuelle sur l’AMM pour encourager la collaboration interprofessionnelle.
▸ La création de l’ACEPA a permis de partager de façon confidentielle des pratiques exemplaires et de comparer les approches à des scénarios difficiles et complexes. L’organisation a créé un forum en ligne confidentiel pour les membres et continue de le maintenir, afin que les questions liées à l’admissibilité des patients, aux considérations cliniques pratiques et à d’autres difficultés puissent être traitées par un groupe de pairs.
▸ L’objectif global du Programme canadien de formation sur l’AMM, élaboré par l’ACEPA, est de standardiser et d’harmoniser la formation et l’approche de l’AMM pour les infirmières et infirmiers praticiens et les médecins qui évaluent l’admissibilité à l’AMM et la fournissent au Canada. Le programme d’études totalise 27 heures de participation : 13 heures d’autoapprentissage en ligne et 14 heures de séances animées. Chaque module offre aux cliniciens des occasions de réfléchir et d’améliorer leur résilience, afin de répondre à la préoccupation selon laquelle l’évaluation et la prestation de l’AMM peuvent entraîner des questions sur les valeurs, l’autonomie et l’éthique.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à la Dre Viola Antao, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à viola.antao{at}utoronto.ca
Footnotes
Intérêts concurrents
La Dre Konia Trouton est présidente de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM, et coautrice principale de deux sujets du Programme canadien de formation sur l’AMM. Elle a reçu des honoraires pour des réunions liées à l’élaboration du programme d’études.
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the July/August 2024 issue on page 512.
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