Le concept de décision partagée en médecine a gagné du terrain dans les années 1980, poussant les chercheurs à explorer ses avantages dans les soins aux patients1. Pourtant, on ne s’est pas beaucoup penché sur la façon précise dont cette approche peut générer de meilleurs résultats pour les patients ni sur son application1. Les questions sur les facteurs qui entravent ou facilitent la prise de décision partagée ont été le fil conducteur de la carrière de chercheuse de la Dre France Légaré, professeure au Département de médecine familiale et de médecine d’urgence de l’Université Laval à Québec (QC).
Dans une étude publiée dans le numéro de mai 2024 du Médecin de famille canadien, Aggarwal et ses collaborateurs ont présenté les contributions de chercheurs en soins primaires très productifs au Canada et ont identifié des personnes dont les travaux ont été largement cités dans la littérature médicale2. La Dre Légaré y figurait en tant que l’une des 5 chercheuses et chercheurs en soins primaires au pays qui sont les plus largement cités, avec un total de 4128 citations comme auteure principale. Des statistiques supplémentaires sur la carrière de la Dre Légaré figurent dans l’Encadré 1, et les articles révisés par les pairs les plus cités dont elle est l’auteure principale sont énumérés dans l’Encadré 2.
Dre France Légaré, en chiffes : Données en date de janvier 2023.
Nombre de publications : 426
Nombre de publications comme auteure principale : 71
Nombre de citations comme auteure principale : 4128
Nombre total de citations : 18 477
Indice h de l’auteure*, 2007 à 2022 : 64
*L’indice h est calculé en prenant le plus grand nombre d’articles publiés par un auteur ou une auteure qui ont tous reçu au moins le même nombre de citations (h).
Publications les plus citées où elle est auteure principale
Légaré F, Ratté S, Gravel K, Graham ID. Barriers and facilitators to implementing shared decision-making in clinical practice: update of a systematic review of health professionals’ perceptions. Patient Educ Couns 2008;73(3):526-35. Publ. en ligne du 26 août 2008.
Légaré F, Witteman HO. Shared decision making: examining key elements and barriers to adoption into routine clinical practice. Health Aff (Millwood) 2013;32(2):276-84.
Légaré F, Ratté S, Stacey D, Kryworuchko J, Gravel K, Graham ID et coll. Interventions for improving the adoption of shared decision making by healthcare professionals. Cochrane Database Syst Rev 2010;(5):CD006732. Mises à jour de : Cochrane Database Syst Rev 2014;(9):CD006732, Cochrane Database Syst Rev 2018;(7):CD006732.
Légaré F, Ratte S, Stacey D, Kryworuchko J, Gravel K, Turcot L et coll. Interventions for improving the adoption of shared decision making by healthcare professionals. Cochrane Database Syst Rev 2007;(7)CD006732. Mises à jour de : Cochrane Database Syst Rev 2010;(5):CD006732, Cochrane Database Syst Rev 2014;(9):CD006732, Cochrane Database Syst Rev 2018;(7):CD006732.
Légaré F, Thompson-Leduc P. Twelve myths about shared decision making. Patient Educ Couns 2014;96(3):281-6. Publ. en ligne du 3 juil. 2014.
Cet entretien avec la Dre Légaré, titulaire de niveau 1 de la Chaire de recherche du Canada sur la décision partagée et l’application des connaissances, est le troisième de notre série de 5 entrevues qui mettent en lumière les chercheurs en soins primaires les plus cités au Canada.
Après avoir terminé votre formation en médecine de famille, vous avez obtenu un doctorat en santé publique et des populations. Comment ce parcours a-t-il influencé vos recherches?
Mes thèmes de recherche sont directement influencés non seulement par ma formation en médecine de famille, mais aussi, et très probablement davantage, par le travail clinique et ce à quoi je suis exposée en tant que médecin de famille dans une équipe de soins de première ligne au centre-ville de Québec.
Vous avez un intérêt particulier pour la prise de décision partagée entre les cliniciens et les patients. Comment cet intérêt est-il né?
[Il y a eu] plusieurs sources d’inspiration. Tout d’abord, en tant que médecin de famille, j’ai été frappée par l’écart entre ce que l’on m’a enseigné—être centrée sur le patient et s’assurer d’adapter les soins à chaque individu—et une certaine pression que je ressentais des lignes directrices cliniques, qui nous encourageaient à standardiser les soins pour des maladies spécifiques. Ensuite, j’ai obtenu une maîtrise en santé communautaire avec Gaston Godin et Sylvie Dodin [à l’Université Laval] en évaluant les facteurs qui influencent les comportements cliniques chez les médecins et les comportements individuels liés à la santé. Nous avons mené plusieurs études dans les années 1990 pour comprendre comment augmenter la prescription de l’hormonothérapie substitutive (HTS) pour les femmes ménopausées et encourager ces femmes, pour leur part, à suivre ce traitement. À l’époque, les lignes directrices cliniques incitaient à l’utilisation de l’HTS, basées sur les données probantes disponibles. Cependant, avec de grands essais, nous avons découvert que tout n’était pas rose; il y avait des risques et des avantages. C’est alors que j’ai rencontré Annette O’Connor, de l’Université d’Ottawa [en Ontario] qui, à l’époque, était déjà la chef de file mondiale dans les outils d’aide à la décision des patients et le soutien à la décision. Annette m’a aidée à voir la prise de décision chez les patients sous un autre jour et m’a convaincue que nous devions agir en tant que courtiers de connaissances. Donc, le cheminement vers la prise de décision partagée s’est fait de façon assez naturelle. Enfin, en m’engageant de plus en plus dans le domaine de la décision partagée, à la fois en tant que chercheuse clinicienne et médecin de famille en pratique, je pouvais mieux voir sa pertinence et son impact sur la qualité des soins, l’expérience des patients, ainsi que sur leurs résultats en santé. De plus, en tant que clinicienne, cela avait plus de sens pour moi et pour les patients que je rencontrais. En d’autres termes, pratiquer la prise de décision partagée était naturel et cohérent avec l’approche centrée sur le patient que l’on m’avait enseignée pendant ma résidence.
Au début de votre carrière de recherche, il y avait peu de femmes francophones parmi les chercheurs canadiens en soins primaires. Comment cela a-t-il influencé votre développement en tant que chercheuse?
Je n’en étais pas consciente et je n’y ai jamais accordé une grande attention. Je me sentais très chanceuse d’avoir appris les bases de la recherche clinique avec Gaston Godin et Sylvie Dodin, et cela s’est fait en français. Ensuite, je me suis formée avec Annette à Ottawa et j’ai pu utiliser le français dans certaines situations. De plus, dans les années 1990, les quatre départements de médecine de famille et de médecine d’urgence de la province de Québec avaient une communauté dynamique de recherche en médecine familiale avec une conférence annuelle très fréquentée. Cela s’est perdu dans les années 2000. Enfin, la Dre Marie-Dominique Beaulieu a eu un impact sur plusieurs de nous francophones, et en particulier les femmes.
D’un autre côté…, le mantra « publier ou périr » m’a imposé la nécessité d’écrire des articles en anglais et, souvent, je devais soumettre des demandes de financement en anglais également. J’ai vécu à Terre-Neuve et j’ai épousé un Terre-Neuvien, donc l’utilisation du français et de l’anglais est une chose à laquelle je suis habituée. Cependant, ces dernières années, beaucoup de mes étudiants des cycles supérieurs qui viennent d’Afrique du Nord, de l’Ouest et du Centre m’ont demandé de nous engager davantage à renforcer « une science en français ». C’est un débat qui est important pour moi parce que je pense pouvoir le comprendre. Cependant, cela reste un défi. Mais j’ai confiance que l’on saura trouver des solutions. Si nous prenons au sérieux notre engagement à promouvoir un environnement de recherche plus équitable, diversifié et inclusif, nous devons et pouvons le faire.
Quels facteurs ont le plus contribué à votre réussite en recherche?
Tout d’abord, lorsque j’ai commencé une carrière de recherche, très honnêtement, l’idée du succès me n’a pas frôlé l’esprit. Je faisais simplement ce que je pensais être juste et ce qu’on me conseillait de faire. Deuxièmement, je me sens extrêmement privilégiée que les travaux de recherche auxquels j’ai contribué aient toujours été si engageants et stimulants. Il n’y a pas que les sujets et l’impact de la recherche elle-même qui comptent, mais aussi les personnes exceptionnelles que vous rencontrez et avec qui vous collaborez. C’est une passion; je n’ai pas d’autres mots pour le décrire. Donc, je pense que l’émerveillement d’apprendre y joue un rôle … mais plus encore, les personnes incroyables qui vous accompagnent sur votre route.
Quelle est selon vous votre plus grande réussite en recherche?
Je ne sais pas si je suis bien placée pour désigner ma plus grande réussite. Je préfère laisser cela à d’autres. Cependant, je peux dire que ce qui me procure le plus de joie et un sentiment d’avoir accompli quelque chose d’utile, ce sont les stagiaires, les mentorés, toutes les personnes qui sentent que j’ai eu un impact positif dans leur vie. Je dis souvent que ce qui compte le plus pour moi, c’est d’être dans la colonne de l’impact positif ou d’avoir eu un effet bénéfique chez les gens que j’ai rencontrés plutôt qu’être dans la colonne de l’impact négatif ou de n’avoir laissé aucune marque sur eux.
Quel a été le plus grand défi que vous avez rencontré?
C’est une question difficile. On pourrait y donner des réponses « matérielles ». Cependant, je crois que le plus grand défi est de rester centrés sur les besoins de la société et les problèmes les plus urgents. Par conséquent, le plus grand défi est de rester pertinent.
De quelle manière pensez-vous que votre travail a influencé les politiques en soins primaires et la pratique dans ce domaine?
C’est une autre question difficile, et ce sont les décideurs politiques et les cliniciens qui seraient les mieux placés pour y répondre. J’aime parfois penser que lorsque les décideurs politiques nous demandent de produire des outils d’aide à la décision pour leurs programmes de dépistage populationnel, c’est parce que certains de nos travaux, combinés à ceux d’autres personnes, ont influencé leur désir d’impliquer les patients dans les décisions concernant leur santé.
Comment avez-vous géré l’équilibre entre votre carrière et votre vie en dehors du travail?
J’avoue que je ne l’ai peut-être pas fait de manière proactive. Comme je l’ai dit, je suis encore passionnée par les travaux et les recherches que nous faisons et enthousiaste à l’égard des stagiaires et des mentorés que nous accueillons. Donc, je n’ai pas l’impression que c’est du travail. D’un autre côté, j’ai été extrêmement chanceuse d’avoir une famille aimante et un partenaire dévoué, ainsi que des amis très chers; ensemble, ils m’aident à trouver cet équilibre.
En regardant en arrière, avez-vous des regrets concernant le chemin que vous avez suivi?
Aucun.
Quels conseils avez-vous pour les chercheurs de la relève en soins primaires?
Suivez votre passion. Tissez des liens avec les gens pour développer des collaborations fructueuses basées sur la confiance. Soyez reconnaissants envers la vie en général.
Notes
Entrevues d’influence est une série limitée publiée dans Le Médecin de famille canadien et coordonnée par la Section des chercheurs (SdC) du Collège des médecins de famille du Canada. En mettant pleins feux sur les 5 chercheurs canadiens en soins primaires les plus cités, la SdC souhaite célébrer leurs contributions et inspirer d’autres à s’engager dans ce domaine. Apprenez-en davantage sur la SdC au https://www.cfpc.ca/fr/member-services/committees/section-of-researchers.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the July/August 2024 issue on page 516.
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