Cette chronique est ma première en tant que directeur général et chef de la direction du CMFC. En m’apprêtant à la rédiger, j’ai d’abord envisagé de parler de mon nouveau rôle ou de faire le point sur la situation du Collège. Ces sujets attendront le mois prochain. Certes, ces points sont essentiels, toutefois le mois de septembre est l’occasion par excellence de souligner solennellement la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation au Canada, et de rappeler à chacun et chacune d’entre nous de prendre le temps de réfléchir aux expériences et à l’histoire des communautés autochtones du pays.
La médecine de famille offre une multitude de perspectives de carrière, y compris dans le domaine de l’enseignement. On réitère souvent qu’en tant qu’enseignants, nous apprenons énormément de nos étudiants. Je suis conscient que ces propos pourraient provoquer des réactions sceptiques chez certains de mes étudiants.
En 2008, j’ai eu le privilège de donner un cours de médecine communautaire, ce qui m’a amené à me retrouver régulièrement devant un auditoire de 120 étudiants. Un jour, je me suis inspiré de l’animateur de télévision Phil Donahue : j’ai parcouru le grand amphithéâtre afin de favoriser les échanges de points de vue entre les étudiants et d’encourager une écoute mutuelle. La discussion a alors porté sur l’intervention en cas de menace à la sécurité des enfants, le rôle des services sociaux, ainsi que sur les décisions pénibles à prendre lorsqu’il faut retirer un enfant de son foyer et de ses parents. La plupart des médecins de famille ont déjà eu à débattre de ces questions, cependant, la tension dans l’amphithéâtre était sur le point de monter d’un cran. Une personne a fait remarquer qu’elle avait l’impression que les enfants autochtones étaient plus susceptibles d’être séparés de leur famille que les autres enfants. Une autre personne—étudiante autochtone—a courageusement réagi en indiquant à toute la classe que de nombreux parents autochtones avaient été arrachés de leur foyer pendant leur enfance uniquement en raison de leur identité et avaient ensuite été contraints de vivre dans des pensionnats. Ces enfants, ainsi que leurs parents, ont été systématiquement privés de nombreuses habiletés, l’une des plus précieuses d’entre elles étant la capacité à transmettre des compétences parentales, souvent acquises au sein du foyer et nourries par l’amour et le soutien des parents et de la famille. La véhémence des mots de cette personne a aussitôt transformé la discussion en une expérience éducative fascinante pour tous, y compris pour l’enseignant.
En tant que médecin, on m’a qualifié d’iconoclaste, un terme que j’ai dû chercher dans le dictionnaire. Dans ma jeunesse, j’ai pris part à des manifestations et des rassemblements pour soutenir des causes de justice sociale, telles que la lutte contre les conflits, la défense des droits de la personne et la protection de l’environnement. Pourtant, après ce cours que j’ai donné en 2008, je suis rentré chez moi bouleversé et frappé par le peu de connaissances que j’avais des pensionnats et de la campagne de déracinement culturel menée à l’encontre des populations autochtones. Un ami qui travaille régulièrement avec ces populations m’a raconté qu’un aîné lui avait dit un jour : « Quand ils sont venus chercher mes enfants, j’ai appris que je pouvais soit être présent quand ils les emmenaient, soit aller en prison et ne pas être là. » Je vous laisse imaginer l’horreur que représente ce dilemme pour tous ceux et celles qui ont des proches, en particulier des enfants.
Les récits de ces personnes sont poignants. En les relisant, j’ai été à nouveau frappé par mon ignorance. Cependant, en prêtant l’oreille aux autres, en écoutant leurs histoires, en réfléchissant à ce que j’ai appris et en reconnaissant sans détour mes lacunes, je peux sans doute m’améliorer. Aujourd’hui encore, je suis mal à l’aise lorsque je pense à ma connaissance limitée du système des pensionnats lorsqu’il était en vigueur. La vérité est que j’en connais très peu de l’expérience et la vie d’autrui. En admettant cela et en nous permettant d’apprendre sans dissimuler ni éviter notre malaise, nous pourrons nous engager sur une voie meilleure. Lors d’une conférence qui s’est tenue en juin, j’ai entendu la grand-mère anichinabée Kim Wheatley, de la Première nation Shawanaga, en Ontario, expliquer que le terme « réconciliation » n’était pas approprié dans ce contexte, car les peuples autochtones n’ont rien à se faire pardonner, et elle a raison sur toute la ligne. Mon apprentissage se poursuit.
Footnotes
This article is also in English on page 600.
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