Avec le vieillissement de la population canadienne, la prévalence de la démence due à la maladie d’Alzheimer augmente1 et impose un stress considérable aux personnes touchées, à leurs proches et à l’ensemble de la société. Le développement de nouvelles pharmacothérapies pour la maladie d’Alzheimer a été semé d’embûches, et aucun traitement pour l’affection n’a été approuvé au Canada depuis 20042. Dans un essai de phase 3 publié en 2022, il a été démontré que les participants qui ont reçu du lécanémab, soit un anticorps monoclonal contre l’amyloïde, avaient connu un ralentissement de 27 % dans la progression clinique de la maladie sur une période de 18 mois par rapport à ceux qui avaient pris un placebo (en fonction de mesures cognitives et fonctionnelles)3. Cela représente un ralentissement d’environ 4 à 5 mois dans la progression clinique reliée à la maladie sur 1,5 an4. De plus, un essai de phase 3 sur le donanémab, un autre anticorps monoclonal anti-amyloïde, a démontré que la progression clinique de la maladie était freinée de 35 % par rapport à celle avec le placebo chez des participants dont les niveaux de la pathologie tau étaient de faibles à modérés, ce qui représente un stade plus précoce de la maladie d’Alzheimer5. Même si ces différences étaient statistiquement significatives, les débats se poursuivent entourant l’importance clinique de ces constatations. Le lécanémab et le donanémab faisaient l’objet d’un examen par Santé Canada, et leur utilisation n’était pas encore homologuée en date de juillet 2024.
En 2022, une demande auprès de Santé Canada d’approuver l’aducanumab, un agent anti-amyloïde plus ancien, a été retirée6. Un commentaire publié dans le Médecin de famille canadien discutait de ce processus7. Si Santé Canada homologue le lécanémab ou le donanémab, il est fort probable que les médecins de famille verront de nombreux patients qui les questionneront à propos de ces traitements.
L’admissibilité à une thérapie anti-amyloïde
L’admissibilité d’un patient à une thérapie anti-amyloïde se fondera sur de nombreux facteurs, comme il est expliqué dans les recommandations relatives à une utilisation appropriée du lécanémab aux États-Unis par Cummings et ses collègues8. Le traitement est indiqué chez les personnes atteintes d’une légère déficience cognitive (définie comme une anomalie cognitive objective selon les tests et une autonomie intacte dans le fonctionnement au quotidien) ou d’une légère démence (définie comme une anomalie cognitive objective selon les tests et une perte d’autonomie dans au moins 1 activité instrumentale de la vie quotidienne) en raison de la maladie d’Alzheimer sous-jacente.
Sur le plan biologique, la maladie d’Alzheimer se caractérise par la présence d’une accumulation pathologique dans le cerveau de β-amyloïde et de tau phosphorylée9. Pour pouvoir envisager un traitement aux anticorps anti-amyloïde, la présence d’amyloïde doit être confirmée par le dosage des biomarqueurs au moyen de la tomographie par émission de positons ciblant l’amyloïde (TEP-amyloïde) ou une analyse du liquide cérébrospinal (LCS) par ponction lombaire. Au Canada, l’accès à la TEP-amyloïde et à l’analyse du LCS est actuellement limité aux cliniques de la mémoire spécialisées, et les patients intéressés auront besoin d’une demande de consultation spécialisée. Des progrès considérables ont été réalisés dans le développement d’analyses sanguines pour doser les biomarqueurs amyloïde, tau et tau phosphorylée, qui pourraient un jour remplacer le recours à l’imagerie par TEP-amyloïde ou l’analyse du LCS pour les patients qui cherchent à se qualifier pour des thérapies anti-amyloïde10.
Le lécanémab et le donanémab sont tous 2 administrés par perfusions intraveineuses sur une période d’environ 1 heure par perfusion. Le lécanémab doit être perfusé toutes les 2 semaines, tandis que le donanémab doit l’être 1 fois par mois11,12. Le lécanémab sous forme d’injection sous-cutanée hebdomadaire pouvant être administrée à la maison est aussi en voie de développement. Le traitement dure habituellement 18 mois, quoique des études en phase de prolongation à long terme se penchent sur des régimes thérapeutiques d’une plus longue durée. Les effets à long terme des traitements anti-amyloïde sont encore inconnus.
Le traitement par anticorps anti-amyloïde est associé à des risques—comme des anomalies à l’imagerie liée à l’amyloïde (AILA) qui peuvent représenter un œdème cérébral ou une hémorragie cérébrale—chez jusqu’à 37 % des personnes traitées3,5. La plupart des cas d’AILA sont asymptomatiques, quoique de 3 à 6 % puissent être symptomatiques sous forme de céphalées, d’étourdissements, de confusion, de troubles de vision ou de manifestations neurologiques focales. Les AILA symptomatiques disparaissent habituellement après la cessation du traitement par anticorps anti-amyloïde, mais elles peuvent, quoique rarement, nécessiter une thérapie par corticostéroïdes par voie intraveineuse ou orale et ne pas se résorber entièrement8. Des études d’imagerie par résonance magnétique (IRM) de référence et systématiques du cerveau sont nécessaires pour surveiller le risque et le développement d’AILA, sous la supervision d’un spécialiste, mais des professionnels des soins primaires pourraient aussi être impliqués dans cette démarche. Des études d’IRM d’urgence non planifiées seront nécessaires pour les patients dont les AILA sont symptomatiques. Le génotypage de l’apolipoprotéine E, aussi prescrit en soins spécialisés, peut aider à stratifier le risque d’AILA chez les patients, le génotype e4/e4 étant associé au risque le plus élevé3,5.
En nous basant sur les recommandations pour un usage approprié du lécanémab8, nous avons résumé à l’Encadré 1 les principaux critères qui excluraient des patients du traitement; Cummings et ses collègues présentent une liste exhaustive des critères d’inclusion et d’exclusion8. S’ils constatent un critère d’exclusion chez un patient, les médecins de famille peuvent diriger ce dernier et sa famille vers des approches plus traditionnelles des soins pour la démence. Il faut informer les patients que le traitement anti-amyloïde peut ralentir la progression de la maladie, mais ne la guérit pas. Il est justifié de procéder à une évaluation cognitive précoce, car les bienfaits de la thérapie anti-amyloïde semblent plus importants aux stades initiaux de la maladie d’Alzheimer5, et les patients et leur famille pourraient soulever des préoccupations cognitives plus rapidement auprès de leur médecin si les traitements anti-amyloïde étaient approuvés. Les patients motivés (p. ex. ceux qui sont disposés à subir des investigations et des traitements intensifs) qui n’ont pas de facteurs d’exclusion peuvent faire l’objet d’une demande de consultation auprès d’une clinique de la mémoire spécialisée pour une évaluation plus approfondie et un potentiel traitement anti-amyloïde, là où il est accessible.
Facteurs chez le patient qui contre-indiquent l’utilisation du lécanémab
État cognitivement intact, défini comme un rendement normal lors de tests cognitifs objectifs complets
Démence modérée à sévère, définie comme une déficience cognitive suffisante pour perturber au moins 1 activité de base de la vie quotidienne (p. ex. se vêtir, l’hygiène)
Démence autre que la maladie d’Alzheimer
Étude d’IRM de référence révélant une maladie ischémique ou hémorragique cérébrale considérable, ou incapacité ou refus de subir de multiples études d’IRM
Utilisation d’anticoagulants
Non-réceptivité à recevoir de multiples perfusions intraveineuses ou injections sous-cutanées pendant 18 mois ou plus
Fragilité considérable ou multiples comorbidités médicales (p. ex. AVC, trouble convulsif, trouble hémorragique, trouble immunologique) qui réduisent la résilience à un traitement intensif et à ses effets secondaires potentiels
IRM—imagerie par résonance magnétique.
Les essais cliniques portant sur le lécanémab et le donanémab n’ont pas inclus des nombres suffisants de personnes de populations diversifiées dans leurs échantillonnages3,5. Les essais cliniques futurs doivent atteindre une inclusivité plus représentative durant le recrutement pour assurer que la sécurité et l’efficacité sont démontrées dans l’ensemble de la population.
Les obstacles possibles à l’accès
Si Santé Canada approuve des thérapies par anticorps anti-amyloïde pour le traitement des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, des problèmes additionnels surviendront quant au remboursement de leurs coûts. Aux États-Unis, le lécanémab coûte 26 500 $ US par année de traitement13. Son prix au Canada n’a pas encore été fixé. Il faudra une évaluation pharmacoéconomique complète du traitement anti-amyloïde dans le contexte canadien. Avec le temps, il est à espérer que les régimes d’assurance offerts par des employeurs et financés par le secteur privé prévoiront le remboursement de tels traitements, mais les assurances médicaments provinciales et territoriales se limiteront probablement à des populations ciblées en fonction d’analyses de rentabilité. Les analyses sanguines moins coûteuses pour le dosage des biomarqueurs pourraient améliorer l’accès équitable au traitement, mais d’autres obstacles persistent, comme la compréhension limitée de la démence dans la population, le manque d’effectifs en médecine familiale et en spécialité de la cognition, de même que les capacités insuffisantes en IRM et en sites de perfusion. Un groupe multidisciplinaire d’experts en démence a été convoqué pour explorer des façons dont le système de santé canadien pourrait évoluer en vue d’accommoder le recours aux thérapies anti-amyloïde14.
Conclusion
À mesure que des données probantes concrètes en faveur de l’utilisation des thérapies par anticorps anti-amyloïde s’accumulent et que nous en apprenons davantage au sujet de leur efficacité et de leur innocuité dans diverses populations ciblées, les recommandations pour un usage approprié seront rajustées. Il est à espérer que les traitements anti-amyloïde seront les premiers, parmi de nombreuses avancées dans ce domaine, qui amélioreront la qualité de vie des personnes et des familles qui souffrent des effets de la démence et de la maladie d’Alzheimer.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the September 2024 issue on page 537.
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