
Diriger en situation de handicap, à quoi ça peut ressembler? Serai-je perçue comme étant faible si je demande des accommodements?
J’ai réfléchi à ces questions lorsqu’il est devenu évident que la COVID-19 de longue durée1 continuerait à m’affecter pendant mon mandat de présidente du CMFC. Je me suis posé des questions semblables lorsque j’ai écrit sur la santé mentale en 20192, des questions auxquelles je croyais avoir eu des réponses en combattant la stigmatisation qui accompagne souvent la demande d’aide de la part des médecins.
La culture médicale valorise le travail acharné, les longues heures et le sacrifice de soi. Ces attitudes étaient si répandues au cours de mes premières années de pratique qu’il n’était pas rare dans notre salle à manger de bureau d’entendre des collègues se vanter d’être venus travailler alors qu’ils étaient gravement malades à cause de la mononucléose infectieuse ou d’avoir travaillé pendant les consultations du soir malgré la douleur atroce d’une cheville récemment fracturée. Comment et quand la culture du travail des médecins est-elle devenue aussi dysfonctionnelle? Où mène cette fierté du sacrifice personnel extrême et du travail à tout prix pour un médecin qui ne peut pas travailler de cette manière?
Historiquement, la profession médicale n’a pas facilité l’inclusion des médecins en situation de handicap3, et les systèmes dans lesquels ils exercent semblent souvent reposer sur des principes capacitistes4. Le capacitisme est défini comme « un système de croyances […] qui considère les personnes en situation de handicap comme moins dignes de respect et de considération, moins capables de contribuer et de participer, ou ayant moins de valeur intrinsèque que les autres »5. On s’attend à ce que les horaires de garde soient également répartis et on demande aux gens de trouver leurs propres remplaçants lorsqu’ils sont malades. Dans un système qui repose sur l’indépendance de chacun et la contribution de tous, ceux qui ne peuvent pas suivre peuvent se sentir contraints de partir.
Selon le sondage national sur la santé des médecins de 2021 de l’Association médicale canadienne, 22 % des médecins répondants se sont identifiés comme ayant un handicap6. Cela représente presque un quart de notre effectif de médecins. Alors que 6 millions de Canadiens et Canadiennes n’ont pas de médecin de famille7, il est essentiel de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter que les médecins de famille en situation de handicap quittent la profession parce que leurs besoins ne sont pas pris en compte. Parfois, quelques simples ajustements suffisent. Il est nécessaire de changer de perspective, en cessant de voir les accommodements comme un traitement privilégié et en reconnaissant que l’optimisation des conditions de travail permet de créer une main-d’œuvre saine, épanouie et durable.
Les choses commencent enfin à bouger. En 2022, le comité consultatif médical de l’Hôpital d’Ottawa a adopté à l’unanimité une déclaration de principe en faveur de meilleures conditions pour les médecins en situation de handicap, visant à réduire les obstacles systémiques tout en reconnaissant que leurs expériences vécues enrichiront l’environnement clinique et bénéficieront à l’institution dans son ensemble8. J’ai accepté mon rôle de présidente du CMFC en sachant que je devrai m’adapter au fur et à mesure, tout en bénéficiant du soutien de l’équipe de direction du Collège pour y parvenir. L’engagement envers l’équité et l’inclusivité au CMFC fait partie de ce qui me motive à partager mon expérience. Avoir un handicap en tant que médecin peut être une expérience isolante. Je suis toujours là pour écouter, partager et défendre vos intérêts. N’hésitez pas à communiquer avec moi à : cbernard{at}cfpc.ca.
Footnotes
This article is also in English on page 141.
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