Le changement climatique et la dégradation environnementale sont les plus grandes menaces à la santé humaine au 21e siècle1. Parmi les exemples des événements environnementaux qui nuisent à la santé figurent les feux de forêt, la pollution de l’air et de l’eau, les événements météorologiques extrêmes et le plus grand nombre de maladies vectorielles2,3. Le système de santé contribue aussi à ces préjudices environnementaux, ayant produit 4,6 % des émissions canadiennes de gaz à effet de serre entre 2009 et 2015, et, selon les estimations, faisant perdre annuellement 23 000 années de vie, corrigées du facteur invalidité, à la suite de l’exposition directe à des polluants dangereux et aux changements environnementaux causés par la pollution4.
Traditionnellement, les stratégies pour réduire les impacts du système de santé sur l’environnement consistaient en des interventions, comme le recyclage ou des améliorations à l’efficacité énergétique. Par ailleurs, de récentes analyses portant sur les systèmes de santé dans le monde, y compris au Canada, ont démontré que la plupart (environ 70 %) des gaz à effet de serre attribuables à un système de santé sont produits en amont dans la chaîne d’approvisionnement, là où les fournitures et les médicaments sont fabriqués4,5. Les médecins sont à l’origine d’environ 80 % de l’utilisation des soins de santé en déterminant les patients qui sont examinés et les tests ou traitements qui sont administrés6. Il se pourrait donc que les médecins puissent faire partie de la solution en tenant rigoureusement compte des dommages environnementaux potentiels de chaque aspect des soins. Le Centre for Sustainable Healthcare au Royaume-Uni a identifié 4 principes des soins de santé durables : réduire les soins inutiles, responsabiliser les patients, rediriger l’attention vers la prévention et choisir des options environnementalement durables7.
Les progrès en médecine et en santé publique dans la guérison des maladies et le prolongement de l’espérance de vie humaine ont fait en sorte que les soins de santé sont perçus comme un bien absolu. Toutefois, certaines interventions médicales offrent des bienfaits minimes et peuvent même augmenter les risques de préjudices. Les professionnels de la santé ne doivent pas sous-utiliser les services efficaces et surutiliser ceux qui sont inutiles. La prestation des soins en fonction de cet équilibre peut se traduire par des soins de santé de grande qualité pour les patients et les populations, de même que contribuer à protéger la planète8.
Cet article porte sur la réduction des examens inutiles et fait partie d’une série qui s’inspire de la ressource intitulée Santé planétaire pour les soins primaires9, qui décrit les façons dont les médecins de famille peuvent appliquer ces principes dans la pratique.
Soins inutiles
Les soins inutiles désignent des soins qui n’apportent que peu ou pas de bienfaits, compte tenu de leurs préjudices, de leurs coûts, des options de rechange et des préférences du patient10. Selon les estimations, jusqu’à 30 % des examens et des traitements prescrits dans le système de santé ne sont pas nécessaires et 10 % causent des torts directs aux patients11. Les tests inutiles peuvent entraîner des résultats faux positifs, des interventions additionnelles inutiles, des surdiagnostics, de l’anxiété et des surtraitements. Ils accroissent les coûts directs et indirects pour les patients et le système, détournant des ressources loin de la prestation de soins de grande valeur. Ils créent du travail supplémentaire pour les techniciens, le personnel de bureau et les médecins responsables de passer en revue les résultats et d’assurer le suivi12,13. Les investigations ont des coûts directs et indirects pour les patients, le système et l’environnement, que le test soit nécessaire ou non. Lorsque la probabilité de bienfaits est faible, l’exposition des patients à ces risques est injustifiée.
Les soins inutiles ont aussi un coût environnemental énorme, étant donné l’énergie et les ressources requises pour extraire, traiter, fabriquer, emballer, transporter et éliminer les matériaux requis pour chaque médicament, examen ou rendez-vous médical11. La réduction des soins inutiles est une façon pour les professionnels des soins primaires d’atténuer notre impact environnemental sans compromettre la qualité des soins11. Les médicaments, qui sont un exemple flagrant de la surutilisation dans les soins de santé et représentent 26 % des gaz à effet de serre produits par le système de santé canadien4, feront l’objet d’un article distinct dans cette série.
Moteurs de la surutilisation
De nombreux facteurs au niveau du système, des professionnels et des patients alimentent la surutilisation. Les lignes directrices à l’intention des spécialistes préconisent des quantités irréalistes d’examens et de traitements qui n’entraînent pas d’améliorations dans les résultats qui importent aux patients14. Les cliniciens peuvent aussi ressentir des pressions réelles ou perçues de la part des patients. La formation, les habitudes, les contraintes de temps et les incitatifs financiers, comme les objectifs des primes au rendement, sont des moteurs additionnels15. Une autre préoccupation a trait aux risques médicolégaux, puisqu’un plus grand nombre de poursuites pour faute professionnelle résultent de la surutilisation (complications ou effets indésirables) que de la sous-utilisation (omission d’un diagnostic faute de n’avoir pas prescrit assez d’examens)16. Des experts médicolégaux indiquent que le facteur le plus fréquent qui contribue aux litiges est une communication inadéquate entre le médecin et le patient16,17.
Analyses en laboratoire
Les tests exigent des ressources et de l’énergie pour produire les fournitures nécessaires au prélèvement et à l’analyse de chaque spécimen. Les laboratoires médicaux comptent parmi les composantes les plus exigeantes en ressources de notre système, consommant 10 fois plus d’énergie et 4 fois plus d’eau que les bureaux et générant des milliards de livres de déchets biologiques dangereux ou de produits chimiques toxiques chaque année18. Bien que l’impact de chaque analyse en laboratoire soit minime—par exemple, un hémogramme complet nécessite la même quantité d’énergie que la conduite d’un véhicule à essence moyen sur 0,8 km19—les tests s’additionnent. Au Canada, plus de 1,2 million d’analyses en laboratoire sont effectuées par jour20. Une étude sur le dosage de la vitamine D en Australie a fait valoir que 1 personne sur 6 (4 457 657) avait été testée en 2020; 76,5 % de ces tests étaient jugés inutiles, ont coûté plus de 87 millions de dollars australiens et ont eu une empreinte carbone équivalente à un trajet en automobile de 160 000 à 230 000 km21. Dans une autre étude australienne, les analyses microbiologiques (cultures) ont été jugées particulièrement exigeantes en ressources en raison du traitement et de l’entreposage additionnels nécessaires (Figure 1)19. Une étude réalisée à Vancouver (C.-B.) évaluait les analyses postopératoires de routine en laboratoire dans un petit échantillonnage de 83 patients et a constaté que 76 % des patients ont subi inutilement ces tests à un coût total de 5235 $, et que 1,1 L de sang de trop a été prélevé au total, ce qui a coûté sur le plan environnemental l’équivalent de 61 kg de CO2 au total (la même émission qu’un trajet en automobile de 245 km)22.
Impact sur le changement climatique des tests en laboratoire
La façon la plus efficace de réduire l’impact environnemental des analyses en laboratoire est de prescrire un moins grand nombre de tests inutiles11. Même si cela dépend de l’étude, il a été démontré, selon les estimations, que de 12 à 44 % des tests en laboratoire prescrits ne sont pas cliniquement indiqués23.
Imagerie médicale
L’énergie dépensée pour opérer l’équipement d’imagerie, de même que l’énergie intrinsèque (l’énergie et les matériaux utilisés dans la fabrication de tels appareils) de l’équipement lui-même, sont considérables. Dans une étude, l’imagerie médicale était responsable de 4 % de l’énergie utilisée dans un hôpital24. Une autre étude estimait que le fonctionnement de 1 tomodensitomètre (TDM) pendant 1 an était comparable à la consommation annuelle d’énergie de 5 ménages de 4 personnes; et un appareil d’imagerie par résonance magnétique (IRM) était comparable à 26 ménages de 4 personnes24. Les appareils de TDM et d’IRM ont une large empreinte carbone en comparaison des radiographies simples et des écographies (Figure 2)25. L’imagerie est associée à d’autres préjudices environnementaux précis, comme ceux générés par l’élimination des produits de contraste radioactifs (médecine nucléaire) et les déchets physiques (sarraus, matériaux, produits nettoyants)26. Même si le milieu de la radiologie peut en faire beaucoup pour réduire ces répercussions26, l’évitement des demandes pour des études d’imagerie de faible valeur joue un rôle important pour atténuer l’impact des soins primaires.
Consommation d’énergie des modalités d’imagerie diagnostique
Un rapport de 2022 par l’Institut canadien d’information sur la santé et Choisir avec soin Canada27 signalait que de 24 à 31 % des patients atteints de lombalgie et qui n’ont pas d’autres signaux d’alerte continuent de faire l’objet d’études d’imagerie. Parmi les enfants qui se présentent au département d’urgence à cause d’un asthme sans complications ou d’une bronchiolite, 30 % ont des radiographies thoraciques qui ne sont pas recommandées et 33 % des enfants qui subissent un traumatisme mineur à la tête passent une TDM, même s’ils ne répondent pas aux critères validés pour une telle imagerie. D’autres études ont révélé des taux semblables d’imageries non justifiées28.
L’imagerie pose des risques particuliers : la quantité de rayonnement dans une TDM typique du thorax équivaut à une radiation ambiante normale pendant 3 ans. Les 4 millions de TDM pédiatriques effectuées chaque année aux États-Unis causeront 4870 futurs cas de cancer selon les projections29. Les personnes dans les régions des États-Unis où les taux de TDM sont importants ont un risque plus élevé de néphrectomies pour une masse rénale détectée fortuitement30. Une revue-cadre en 2018 de 20 revues systématiques a révélé des détections fortuites dans 45 % des TDM thoraciques, 38 % des colonographies et 22 % des études par IRM du cerveau et de la colonne vertébrale31. Ces détections peuvent entraîner de l’anxiété chez les patients, des investigations de suivi et des interventions qui n’apportent pas de bienfaits aux patients31. La surutilisation de l’imagerie contribue à un usage accru et à des temps d’attente plus longs, ce qui fait croire à la nécessité d’un plus grand nombre d’appareils13.
Conseils pour éviter les investigations inutiles
Choisir avec soins Canada est une organisation qui identifie les examens et les traitements souvent surutilisés qui ne sont pas étayés par des données scientifiques et renseigne les cliniciens à leur sujet. Les recommandations qui s’appliquent aux investigations en pratique familiale sont résumées à l’Encadré 1 et au Tableau 132. Pour minimiser les examens inutiles, les cliniciens peuvent passer régulièrement leurs ordonnances en revue pour assurer que les réquisitions n’incluent que les tests nécessaires et étayés par des données probantes à intervalles appropriés et sans duplication. L’investigation étape par étape est une approche intéressante à envisager : la plupart des laboratoires garderont les spécimens pendant 1 semaine et feront des analyses additionnelles au besoin15. Il est rare que des tableaux complets soient nécessaires. Pour un dépistage hépatique, par exemple, les dosages de l’alanine transaminase et de la phosphatase alcaline suffisent généralement33. Il n’est pas recommandé de procéder à des analyses de suivi si les valeurs se situent juste au-delà des fourchettes normales chez des patients en bonne santé qui n’ont pas de signes de maladie, parce que 5 % des patients en santé normaux auront des résultats « anormaux »13. Les recommandations standards des examens tirées de lignes directrices sur des maladies chroniques devraient être adaptées aux besoins cliniques individuels et aux préférences du patient14. Par exemple, les patients dont le diabète est bien contrôlé et sont sous traitement stable pourraient ne pas avoir à faire vérifier leurs niveaux d’hémoglobine A1c aussi souvent que ceux dont le diagnostic est récent34. Les lignes directrices simplifiées sur les lipides du groupe PEER (Patients, Expérience, Évidence, Recherche) suggèrent un dépistage des lipides tous les 5 à 10 ans chez les hommes après 40 ans et chez les femmes après 50 ans et de ne pas utiliser les taux de lipoprotéine A ou de l’apolipoprotéine B pour déterminer le risque. Les lignes directrices conseillent aussi de ne pas répéter le dosage des lipides chez les patients qui suivent déjà un traitement35.
Recommandations de Choisir avec soin Canada sur les tests en laboratoire qui s’appliquent à la pratique familiale
Ne pas demander d’analyses sanguines de dépistage chaque année, sauf si le profil de risque du patient l’exige directement; dans une proportion de 1:20, les tests ont pour résultats des valeurs en dehors des fourchettes normales
Ne pas prescrire les mêmes tests à une fréquence qui n’est pas corroborée par des données probantes; 20 % des tests au Canada sont répétés trop tôt
Ne pas doser systématiquement la vitamine D chez les adultes à faible risque; les mesures de la vitamine D exigent souvent des instruments et des pipettes à usage unique et du personnel dédié
Ne pas prescrire de tests de la fonction thyroïdienne pour des patients asymptomatiques; 25 % des tests de la thyréostimuline ne se conforment pas aux lignes directrices concernant leur prescription
Ne pas demander une électrophorèse des protéines sériques pour des patients asymptomatiques en l’absence d’une hypercalcémie non expliquée, d’une insuffisance rénale, d’anémie ou de lésions osseuses lytiques; l’électrophorèse des protéines sériques et l’immunofixation demandent beaucoup de travail du personnel de laboratoire et les résultats sont souvent influencés par une maladie aiguë
Ne pas prescrire d’hémogrammes complets ni d’analyses biochimiques à répétition pour les patients hospitalisés et stables sur le plan clinique et des résultats de laboratoire; 1 seul prélèvement par jour peut s’additionner et équivaloir à une demi-unité par semaine, contribuant à une anémie iatrogène
Ne pas prescrire de tests de référence en laboratoire pour les patients à faible risque qui subissent une intervention chirurgicale non cardiaque à faible risque
Ne pas prescrire de test des anticorps antinucléaires comme examen de dépistage chez des patients qui n’ont pas de signes ou symptômes précis de lupus érythémateux ou d’autres maladies des tissus conjonctifs; les anticorps antinucléaires sont mesurables chez 25 % de la population et la majorité n’a pas et ne développera pas de maladies auto-immunes
Ne pas prescrire la mesure de la vitesse de sédimentation des érythrocytes comme test de dépistage chez des patients asymptomatiques ou comme test général pour détecter une inflammation chez des patients ayant des problèmes non diagnostiqués; la mesure de la vitesse de sédimentation des érythrocytes est souvent un test manuel qui prend au personnel de laboratoire jusqu’à 90 minutes à effectuer
Ne pas prescrire le dosage de l’amylase en plus de la lipase pour détecter une pancréatite
Ne pas demander la mesure de l’acide urique dans le contexte d’une évaluation de routine du risque cardiovasculaire, de l’obésité ou du diabète
Ne pas envoyer de spécimens d’urine aux fins de culture pour des patients asymptomatiques ou en guise de suivi pour confirmer l’efficacité du traitement
Ne pas demander de dosage des folates sériques en l’absence d’anémie avec des macrocytes ou des polynucléaires neutrophiles hypersegmentés et d’une suspicion clinique raisonnable quant à un déficit nutritionnel (régime restrictif sans supplément, un grave trouble de l’usage de l’alcool ou une malabsorption)
Recommandations tirées de Choisir avec soin Canada32.
Recommandations sur l’imagerie de Choisir avec soin Canada applicables à la pratique familiale
L’optimisation du travail en équipe et de la communication peut aider à éviter les soins inutiles, à améliorer la sécurité et à offrir une meilleure expérience aux patients36. Les cliniciens des soins primaires devraient s’assurer de bien communiquer les résultats récents aux autres membres de l’équipe pour éviter les duplications. Les radiologistes et les pathologistes sont d’importants partenaires qui peuvent donner des conseils sur les genres d’examens les plus appropriés, aider à interpréter les résultats et recommander les suivis à effectuer.
Les patients ont tendance à surestimer les bienfaits et à sous-estimer les risques des examens et peuvent demander des études par imagerie ou des analyses en laboratoire inappropriées37. Des renseignements sur les risques et les bienfaits des tests et le recours à une prise de décisions partagée peuvent aider à la fois les patients et les cliniciens à choisir les investigations les plus pertinentes. Dans 1 étude, par exemple, après avoir consulté une illustration infographique au sujet des TDM crâniennes pour un traumatisme mineur à la tête, 87 % des participants ont indiqué mieux comprendre quand cette imagerie est indiquée, 93 % ont dit mieux comprendre les risques et 76 % comprenaient que leur médecin pouvait souvent exclure une maladie sérieuse sans une TDM27.
Conclusion
Les ressources dans notre système de santé et sur notre planète sont épuisables et doivent être réparties équitablement. Les médecins de famille ont une responsabilité professionnelle et éthique de prendre en compte la santé individuelle et populationnelle, de même que la santé de la planète et des générations futures36. La conformité aux principes des soins de santé environnementalement durables, y compris l’évitement des examens inutiles, peut aider les cliniciens des soins primaires à réduire les préjudices environnementaux, tout en améliorant simultanément les soins aux patients, en réduisant les coûts, en atténuant les fardeaux imposés aux professionnels de la santé et aux patients et en créant un système de santé plus durable et résilient.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 80.
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