Au Canada, le cancer demeure la principale cause de mortalité, les nouveaux cas s’étant élevés à 247 100 et les décès, à 88 100 en 2024, selon les estimations1. Les personnes qui reçoivent un diagnostic de cancer font face à de nombreuses difficultés tout au long de leur expérience de la maladie; la prise de décisions complexes concernant leur traitement et leurs soins en fin de vie occupe une place prépondérante dans leurs préoccupations. Étant donné que de nombreux patients atteints de cancer risquent de connaître des défaillances quant à leur aptitude décisionnelle à mesure que progresse leur maladie, une communication fréquente et directe avec leurs êtres chers et leur équipe de soins de santé au sujet de leurs objectifs et de leurs préférences en matière de santé revêt une importance capitale2.
Dans son sens le plus large, la planification préalable des soins (PPS) comporte la prise en compte et la communication, par ses proches et les professionnels de la santé, des valeurs et des objectifs d’un patient relativement aux soins de santé. La planification préalable des soins a été définie comme un processus qui aide les adultes, quels que soient leur âge ou leur état de santé, à comprendre et à exprimer leurs valeurs personnelles, leurs objectifs dans la vie et leurs préférences concernant leurs soins médicaux futurs3. La planification préalable des soins a pour objectif de s’assurer que les soins médicaux concordent avec les volontés d’une personne durant une maladie grave et chronique3. Les débats se poursuivent au sujet de l’efficacité des conversations sur la PPS pour assurer une meilleure concordance des soins avec les objectifs, réduire l’utilisation subséquente des soins de santé, et améliorer la qualité de vie et des soins de fin de vie; quoi qu’il en soit, les conversations au sujet des valeurs et des buts d’un patient, surtout dans le contexte d’une maladie à un stade avancé, demeurent extrêmement importantes4.
Le continuum de la communication sur les maladies graves
Traditionnellement, la PPS comportait des discussions sur des aspects concrets, comme la réanimation et le maintien en vie, l’identification des décideurs substituts et l’établissement des directives préalables5. Plus récemment, les paramètres des discussions sur la PPS se sont élargis pour inclure des concepts comme les conversations sur les maladies graves (CMG) et les objectifs des soins (ODS). Même s’ils sont parfois utilisés indistinctement en pratique clinique, ces 3 premiers sujets représentent différentes conversations le long d’un continuum (Figure 1; P. Munene, MD; présentation pédagogique à des résidents en médecine interne, Université d’Ottawa, 2021). Ces conversations peuvent être itératives et non linéaires à mesure que le tableau clinique évolue.
Continuum de la conversation sur les maladies graves
La planification préalable des soins peut être considérée comme la première étape d’une série de conversations importantes à amorcer avec des patients qui ont une maladie à un stade avancé, en particulier ceux atteints d’un cancer. La planification préalable des soins pour un patient souffrant d’un cancer peut inclure la confirmation du choix d’un décideur substitut, la discussion des directives préalables, et l’exploration de ses objectifs et de ses valeurs en ce qui a trait à sa santé. De nombreux patients atteints de cancer ont mentionné qu’ils aimeraient avoir des conversations sur la PPS plus tôt dans la trajectoire de leur maladie et qu’ils préféreraient avoir ces conversations avec un clinicien de confiance, comme leur médecin de famille6,7.
Les conversations sur les maladies graves sont un concept émergeant selon lequel un clinicien de confiance explore la compréhension qu’a le patient de sa maladie précisément (p. ex. ce que le patient comprend de son diagnostic oncologique particulier). Durant cette conversation, le clinicien communique des renseignements sur le pronostic en fonction des préférences du patient, et cherche à connaître ses objectifs, ses valeurs et ses priorités dans une discussion ouverte. Les conversations sur les maladies graves peuvent aussi comporter une recommandation médicale pour les prochaines étapes, le cas échéant8. Les cliniciens peuvent utiliser un outil fondé sur des données probantes, comme le Guide de conversation sur les maladies graves (Figure 2)9,10, pour adopter une approche structurée à cet égard.
Guide de conversation sur les maladies graves
La communication d’un pronostic est souvent la partie la plus difficile d’une CMG, mais la discussion sur cette information est essentielle. La majorité des patients atteints de cancer veulent connaître leur pronostic; lorsque ce renseignement leur est communiqué, leurs symptômes d’anxiété et de dépression peuvent s’atténuer11,12. Les cliniciens craignent souvent de se tromper lorsqu’ils posent un pronostic; toutefois, la plupart des patients comprennent que les cliniciens ne peuvent pas être parfaitement précis lorsqu’ils discutent de leur pronostic13. La discussion du pronostic a pour but d’aider les patients à entamer un processus de planification; il n’est pas question ici d’avoir raison ou tort. Enfin, certains cliniciens craignent que les patients puissent « mourir plus tôt » après avoir reçu leur pronostic, mais une telle situation n’a pas été étayée dans la littérature scientifique14. Les cliniciens devraient savoir que le pronostic, dans le contexte de traitements novateurs comme l’immunothérapie dans les cancers métastatiques, peut être extrêmement difficile, étant donné les taux de réponse variables et la durée imprévisible de la réponse15.
L’Encadré 1 présente des conseils sur la communication aux patients du pronostic envisagé.
Conseils pour discuter du pronostic
Se préparer à discuter du pronostic avant de rencontrer le patient. Passer en revue les détails médicaux pour aider à étayer votre conversation
Éviter de préciser un nombre exact de jours, de semaines ou de mois qu’il reste à vivre.
Envisager d’utiliser des expressions plus générales comme « des jours à des semaines », « des semaines à des mois », « des mois à des années »
Rappeler au patient l’incertitude entourant la discussion du pronostic
La troisième étape du continuum, la conversation sur les ODS, concerne spécifiquement une option thérapeutique en particulier (p. ex. l’insertion d’une gastrostomie d’évacuation dans le contexte d’une obstruction intestinale), et implique d’intégrer les valeurs et les objectifs discutés précédemment dans une prise de décisions partagée16. Les conversations sur les objectifs des soins sont plus faciles à amorcer et à poursuivre lorsque les patients ont déjà eu une discussion générale sur la PPS et une CMG plus explicite.
La planification préalable des soins, les CMG et les discussions sur les ODS sont souvent chargées d’émotions et peuvent être pénibles, tant pour les patients que pour les cliniciens. Il existe certains conseils généraux en communication qu’il est possible de suivre pour améliorer la réussite de ces interactions (Encadré 2).
Conseils pour une bonne communication
S’assurer d’avoir un endroit tranquille, dépourvu de distractions
Donner la possibilité au patient d’inviter un aidant ou un être cher à participer à la conversation
Encourager le patient à s’asseoir, s’il le désire. S’asseoir avec le patient
Passer en revue les détails médicaux du cas
Utiliser un langage simple et éviter le jargon médical
Demander au patient d’expliquer sa compréhension des détails médicaux de son cas
Donner la possibilité au patient de poser des questions
Permettre des moments de silence
Avoir un plan pour les prochaines étapes
Une approche d’équipe
La communication sur les maladies graves avec des patients ayant reçu un diagnostic de cancer est un sujet délicat et peut être difficile à intégrer dans la pratique des médecins de famille, étant donné les nombreuses priorités concurrentes qui doivent être gérées. De plus, de nombreux professionnels de la santé sont souvent impliqués dans le cercle de soins des patients atteints de cancer, ce qui rend difficile de savoir qui est responsable d’entamer et d’entretenir ces conversations. Il est cependant évident que les patients prennent davantage conscience du pronostic et comprennent mieux la maladie lorsque la communication sur les maladies graves se déroule au fil du temps, dans différents milieux (p. ex. oncologie, soins primaires, soins palliatifs) et au sein de différentes disciplines (p. ex. médecine, psychologie, aumônerie, travail social)17. Par conséquent, il est bénéfique que les médecins de famille s’impliquent dans ces conversations avec leurs patients, même s’ils ne couvrent que de petits éléments le long du continuum au cours de plusieurs visites. C’est la somme de nombreuses conversations qui aide les patients souffrant d’une maladie à un stade avancé à apprendre comment exprimer ce qui leur importe le plus et à prendre des décisions entièrement éclairées concernant leurs soins17.
Conclusion
Les patients qui reçoivent un diagnostic de cancer seront confrontés à de nombreuses difficultés tout au long de leur expérience de la maladie. Les médecins de famille sont des membres fiables des équipes de soins de santé de ces patients, et ils peuvent jouer un rôle important dans la PPS, les CMG et les discussions sur les ODS. Cet article a mis en évidence les différences entre ces types de conversations et présente certaines suggestions en matière de communication pour aider à rendre ces conversations plus fructueuses.
Notes
Oncologie en bref était une série présentant des revues fondées sur des données probantes concernant d’importants sujets en oncologie qui s’appliquent à la pratique familiale et à l’éducation postdoctorale. La série traitait de sujets allant du dépistage, au diagnostic et au traitement en passant par les soins aux survivants, et d’autres sujets encore. La série a été coordonnée par la Dre Anna N. Wilkinson du GIM (groupe d’intérêt des membres) sur les soins aux patients atteints du cancer au Collège des médecins de famille du Canada; les articles ont été révisés par les membres du GIM sur les soins aux patients atteints du cancer. Ceci est le dernier article de la série.
Footnotes
Intérêts concurrents
La Dre Anna N. Wilkinson est consultante auprès de Thrive Health.
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, allez à https://www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro+.
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the February 2025 issue on page 117.
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