
En plus du contenu clinique dans son numéro du mois, le Médecin de famille canadien présente 2 articles de recherche qualitative en médecine familiale. L’un d’eux explore les pratiques de médecins qui offrent des soins obstétriques en région éloignée en ce qui a trait aux demandes de consultation en centres urbains et examine les raisons qui les motivent à cet égard (page 186)1. L’autre se penche sur les façons dont les médecins de famille en début de carrière intègrent la responsabilité sociale dans leur pratique, y compris les facteurs qui facilitent ou entravent son inclusion (page 193)2.
Le concept de la recherche qualitative fait l’objet de débats, surtout dans le monde scientifique, et cette recherche est parfois considérée comme inférieure, les essais cliniques randomisés (ECR) étant réputés comme le summum des normes. Par ailleurs, cette hiérarchie a-t-elle sa raison d’être?
Premièrement, définissons la recherche qualitative. Si la recherche quantitative se concentre sur des analyses statistiques de données numériques, la recherche qualitative recueille les expériences, les perceptions et les comportements des participants3. Alors que la recherche quantitative dérive sa puissance de facteurs comme la taille de l’échantillonnage et la statistique, la recherche qualitative valorise la richesse dans les données. Plutôt qu’un choix aléatoire des participants, l’échantillonnage dans les études qualitatives est délibéré, de sorte que les participants dont les informations sont les plus pertinentes soient sélectionnés pour répondre à la question de la recherche3.
Or, étant donné le contenu clinique que nous offrons, des revues comme la nôtre ont un espace limité réservé à la recherche. Il arrive souvent que les publications médicales dans leur ensemble n’accordent pas la priorité à la recherche qualitative. En 2016, un groupe d’universitaires de partout dans le monde a critiqué la décision du BMJ de cesser de publier de la recherche qualitative4. Ces universitaires ont soutenu que la recherche qualitative permettait une compréhension essentielle d’éléments comme les raisons pour lesquelles certaines interventions échouaient sur le plan pratique, ce que pensent les professionnels des soins de santé et les expériences vécues par les patients. Parmi les exemples mentionnés figurait une étude qualitative de 1996 qui explorait les inquiétudes des parents lorsque leurs enfants étaient gravement malades; à l’heure actuelle, ces travaux ont été cités plus de 351 fois5.
La recherche qualitative peut revêtir encore plus d’importance pour des communautés et des populations en particulier. Par exemple, il existe un mouvement visant à décoloniser la recherche autochtone et des méthodologies autochtones sont au premier plan dans ces efforts. En rédigeant cet éditorial, j’ai pris connaissance d’une méthode de recherche autochtone appelée un cercle de récits d’histoires, une forme de conversation présente dans la culture autochtone6. En tant que médecin de famille de race blanche, ce sujet était nouveau pour moi, mais cette pratique du récit existe depuis des siècles6. D’autres auteurs sont allés aussi loin que soutenir que les ECR étaient inappropriés dans certains groupes, comme dans le domaine des soins de santé pour les adolescents transgenres7.
Dans l’univers de la recherche où l’espace est si précieux, quelle est la meilleure trajectoire pour les études qualitatives à l’avenir? L’article dans ce numéro par Martel et ses collègues1 démontre la perspective qu’une étude qualitative permet de dégager en incluant une citation d’un médecin participant.
Si les bébés ne naissent plus dans la communauté ou à l’hôpital, il y aura toujours des personnes qui y meurent. Il s’ensuit donc un déséquilibre selon lequel seul le deuil est associé à l’hôpital et aux soins de santé, sans laisser de place aux célébrations. Je crois que les communautés qui perdent l’obstétrique rurale sont aux prises avec ce dilemme. L’hôpital finit par devenir un endroit pour les malades et les mourants1.
Compte tenu du stress actuel sur les systèmes de santé et des taux élevés d’épuisement professionnel chez les médecins, ne devrions-nous pas accorder plus d’importance à la recherche qualitative pour mieux comprendre les expériences des patients et des médecins? Ou encore, étant donné l’espace limité dans la revue, devrions-nous accorder la priorité à la recherche quantitative?
Alors que le débat se poursuit, la valeur de la recherche qualitative ne doit pas passer inaperçue. Si les ECR et les grands ensembles de données sont précieux pour identifier d’importantes issues en santé, les études qualitatives nous dévoilent les éléments humains de notre travail, produisant un savoir qui, en définitive, pourrait nous amener à exercer avec plus d’efficacité et de compassion, en gardant les personnes au premier plan de ce que nous faisons. En cette époque marquée par des pressions immenses sur le système de santé, la recherche qualitative est un outil important pour favoriser une approche de soins davantage centrée sur le patient. Nous espérons que c’est précisément ce que fait le contenu dans le présent numéro du Médecin de famille canadien.
Footnotes
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