
On attribue au médecin et écrivain américain d’origine allemande Martin Fisher, connu à son époque pour ses aphorismes, l’affirmation que la moitié des médicaments modernes pourraient tout aussi bien être jetés par la fenêtre, sauf que les oiseaux pourraient les manger. Il semble qu’il était un médecin environnementaliste bien avant son temps.
Il est surprenant que nous, les médecins, en connaissions souvent si peu à propos des médicaments que nous prescrivons, même ceux que nous prescrivons systématiquement. Il est aussi étonnant que, même si nous connaissons les préjudices considérables des médicaments pour nos patients ou pour l’environnement (contribuant ainsi à la crise climatique), nous continuions à les prescrire. Les médicaments, le bouleversement climatique et le changement du comportement des médecins sont des thèmes qui s’entrelacent dans le présent numéro du mois du Médecin de famille canadien.
Parmi les premières études de recherche que j’aie effectuées avec mes collègues du Département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto (Ontario), il y a presque 25 ans, se trouvait un essai randomisé contrôlé sur l’éducation et la rétroaction individualisée auprès de médecins de famille dans le but de contribuer à réduire la prescription de benzodiazépines aux patients plus âgés1. Même alors, les préjudices causés aux aînés (p. ex. déficience cognitive, risque accru de chutes) étaient bien connus.
À cette époque, notre intervention était novatrice, en ce sens qu’elle donnait aux médecins de famille une rétroaction visuelle directe sur les habitudes de prescription en comparaison de ce que nous considérions comme optimal. Nous avons eu un impact minimal, probablement en partie parce que seuls les meilleurs prescripteurs avaient consenti à participer à l’étude. Malheureusement, une étude réalisée aux États-Unis et fondée sur les données de l’enquête nationale sur les soins médicaux ambulatoires de 2003 à 2019, qui a été publiée juste avant la pandémie, révélait que les prescriptions aux patients en consultation externe et leur utilisation de benzodiazépines avaient augmenté considérablement au cours de 2 décennies précédentes2, de même que leurs préjudices.
Dans leur propre article de recherche novatrice, « Journey of a pill » (page 264), Harjas Kaur et ses collègues de l’Université McMaster à Hamilton (Ontario) mettent en lumière un autre ensemble de problèmes dus à une benzodiazépine couramment prescrite, notamment les façons dont les nombreuses étapes dans sa fabrication, sa distribution et sa prescription causent des torts à la planète et à ses habitants en contribuant au réchauffement planétaire3.
Le commentaire intitulé « L’éléphant environnemental dans la clinique : les médicaments » (page 241) donne des renseignements et de la formation sur les impacts environnementaux des médicaments d’ordonnance et en vente libre en soins primaires. Les auteurs, la Dre Emma McDermott et ses collègues, préconisent une prescription plus durable sur de multiples fronts, y compris l’optimisation de la médication, l’examen et la discontinuation des médicaments de longue date et la déprescription. Ils démontrent aussi la façon dont ces mesures concordent avec les rôles CanMEDS pour les médecins de famille d’expérience et ceux en formation4.
L’éducation des médecins à propos des divers préjudices issus des habitudes de prescription et la communication d’une rétroaction sous diverses formes, qu’il s’agisse de l’essai randomisé contrôlé effectué par mes collègues et moi-même ou des articles de recherche et du commentaire mentionnés ici, sont essentielles, mais bien plus d’efforts que l’éducation et même la rétroaction pourraient être nécessaires pour changer nos comportements de manière significative.
En plus de l’éducation, la Dre McDermott et ses collègues offrent aux lecteurs des outils comme un guide sur les options de prescriptions durables5 qui aident les médecins de famille à prescrire de manière à prévenir les effets indésirables des médicaments, à réduire les coûts pour les patients et à diminuer les préjudices environnementaux liés aux médicaments inutiles.
Pour avoir un impact appréciable, il faudra bien plus encore que les changements apportés par les médecins sur le plan individuel. Il est probable que des changements structurels et systémiques (p. ex. la discontinuation par les fabricants de la production de médicaments dommageables, comme les aérosols doseurs propulsés par hydrofluoroalcanes, ou le retrait par les agences de réglementation de l’approbation de tels produits) seront aussi nécessaires.
Footnotes
Les opinions exprimées dans les éditoriaux sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
This article is also in English on page 225.
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