Mieux vaut prévenir que guérir.
Desiderius Erasmus (1466–1536)
Dans les pays industrialisés où règne l’abondance, tout comme dans les pays en développement qui luttent pour progresser, la création et le maintien de services de santé acceptables comptent parmi les priorités des autorités publiques, des travailleurs médicaux et des citoyens. Quand les tendances épidémiologiques, notamment l’escalade des taux de maladies chroniques1,2, les populations rapidement vieillissantes et l’utilisation plus grande que jamais des services de santé se juxtaposent à un financement et à des ressources limités, la viabilité des systèmes de santé publics devient une préoccupation. Les effectifs médicaux en nombre insuffisant pour soi-gner des nombres à la hausse de patients ont donné lieu à l’avènement de «consultations-minutes», dans lesquelles la prestation des soins vise parfois plus à régler les signes et les symptômes plutôt qu’à découvrir et à prendre en charge les causes de l’affection. Compte tenu des coûts grandissants des services de santé, du désarroi relatif de certains systèmes de santé publics et des recherches qui délimitent sans équivoque les déterminants spécifiques des afflictions contemporaines, il est temps que le milieu médical réexamine le concept de la pratique clinique actuelle, dans lequel il y aurait lieu d’inclure la médecine préventive.
Soulagement des symptômes
Avec la prolifération des cliniques sans rendez-vous et le recours accru aux départements d’urgence pour des problèmes non urgents, beaucoup s’attendent à consommer les services médicaux comme ils consomment les repas-minutes: service rapide, brèves rencontres, bonne valeur et satisfaction immédiate. En cette époque de publicité pharmaceutique directe aux consommateurs, beaucoup de patients pensent à la gratification instantanée et au soulagement immédiat plutôt qu’à la santé et au bien-être à long terme. Ils sont très satisfaits d’aller voir le médecin et de ressortir du cabinet avec un morceau de papier, de prendre un médicament et de se sentir mieux. Les médicaments efficaces procurent un soulagement rapide des symptômes, ce qui contente le patient et donne une rétroaction positive aux médecins. Les ordonnances sont rapides et faciles à rédiger et n’exigent pas d’investigations prolongées des causes de l’affection. Par contre, une étude des données épidémiologiques récentes fait ressortir des renseignements plutôt inquiétants.
Autant chez les adultes que chez les enfants, les taux à la hausse des maladies iatrogènes deviennent de plus en plus évidents3,4; des taux alarmants de morbidité et de mortalité5,6 sont actuellement attribuables aux erreurs médicales et aux réactions médicamenteuses indésirables. L’impression des gens que certains traitements médicaux contribuent au fardeau de la maladie a donné lieu à une recrudescence sans précédent de l’attention portée aux thérapies complémentaires et alternatives. L’escalade vertigineuse de la consommation de produits homéopathiques, d’herbes médicinales, de naturothérapies et d’autres traitements non pharmaceutiques témoigne de l’insatisfaction grandissante à pro-pos du résultat de certaines interventions médicales.
Les données épidémiologiques confirment aussi que la médecine de soulagement des symptômes pourrait faciliter les réponses camouflages. Le mot symptôme peut être défini comme un «signe d’avertissement». En soulageant rapidement les symptômes avec des thérapies puissantes, les origines sous-jacentes peuvent demeurer ignorées, permettant aux processus pathologiques de persister insidieusement, entraînant des résultats potentiellement désastreux à long terme. Les séquelles latentes de l’omission de trouver l’étiologie de divers problèmes de santé deviennent de plus en plus évidentes.
La médecine contemporaine est témoin de la juxtaposition d’une espérance de vie accrue, d’une baisse de la mortalité due à des maladies aiguës et, simultanément, de taux galopants de maladies dégénératives chroniques et d’incapacité, tant chez les jeunes que chez les plus âgés1,2. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié un important document intitulé Prévention des maladies chroniques: un investissement vital,1 qui porte sur la pandémie globale d’affections chroniques. Selon les estimations, on attribue présentement aux maladies chroniques 72% du fardeau mondial de la maladie chez les adultes de 30 ans et plus7. De récentes statistiques américaines font valoir que, dans le domaine pédiatrique, environ 3% des enfants sont nés avec des anomalies congénitales8, environ 17% des enfants ont eu des problèmes de développement9, l’incidence du cancer durant l’enfance s’est accrue de 27,1% entre 1975 et 200210 et un chiffre record de 1 enfant sur 12 vit avec une incapacité intellectuelle ou physique11. Chez les adultes, les maladies chroniques, dont les maladies cardiovasculaires, le diabète, les pro-blèmesd’arthrite et desanté mentale, ainsi que les taux rapidement croissants de cancer12, dominent la pratique médicale. Compte tenu de l’escalade des coûts, du nombre à la hausse de personnes malades, de la pandémie de maladies reliées aux ordonnances13 et des ressources limitées, il faudrait envisager l’intégration de programmes de santé préventifs.
Médecine préventive
L’éducation médicale et la pratique clinique contemporaines accordent une attention constante au soulagement de la souffrance, aux soins continus à la personne handicapée, au maintien des fonctions vitales et à la réponse aux besoins de la personne en fin de vie. Les professions de la santé se préparent à la maladie avec ressources, diligence et créativité. La prévention de la maladie et le maintien de la santé, par ailleurs, ne sont souvent pas des priorités de premier plan.
De nombreuses maladies sont causées par des modes de vie qu’il est possible de modifier; la façon dont les personnes choisissent de vivre détermine souvent la façon dont elles mourront, leur santé et leur bien-être durant leur vie. L’escalade du cancer chez l’enfant et des maladies neurologiques dues à l’exposition prénatale à des substances toxiques14,15, les omniprésentes maladies cardiovasculaires et respiratoires reliées aux habitudes choisies16, l’explosion des taux de diabète attribuable aux modes de vie sédentaires et à la mauvaise alimentation et les graves anomalies congénitales subséquentes à des carences alimentaires maternelles17 et à des expositions néfastes18 démontrent que la santé est souvent une question de décisions et non pas le fait du hasard ou d’un destin génomique prédéterminé. Compte tenu des forts taux de maladies possibles à prévenir, de nom-breux promoteurs de la santé exigent des interventions axées sur la prévention et la promotion de la santé dans des domaines comme le mode de vie, l’environnement et l’alimentation, de sorte que, face à la maladie, les médecins devront acquérir des compétences pour favoriser une santé optimale. Par ailleurs, une insistance accrue sur des soins de santé préventifs pose des défis de taille, parce qu’il n’est pas certain que dans notre culture contemporaine, les personnes puissent être influencées à adopter des modes de vie sains.
Si les patients qui souffrent sont peut-être motivés à agir pour se sentir mieux, les personnes qui ne souffrent pas ne le seront peut-être pas. Beaucoup croient que la santé et la maladie sont complètement indépendantes du comportement et, sans égard aux habitudes mal-saines, ils pensent que la santé s’achète en bouteille de médicaments. Les bienfaits à long terme de l’éducation en santé ne sont habituellement pas une priorité dans une culture où les recommandations sur l’alimentation et le mode de vie sont considérées comme des thérapies primitives et où la réussite est célébrée par un non-événement. Même aux patients affligés, la promotion de la santé par des interventions liées au mode de vie peut être difficile à vendre. Parce que les récompenses des bonnes habitudes sont souvent intangibles à court terme et parce que les effets d’un comportement nuisible pour la santé ne se font pas sentir dans l’immédiat, il n’y a habituellement pas de soulagement instantané.
Il peut sembler étrange aux médecins de remettre en question des personnes apparemment en bonne santé avec des intrusions non souhaitées dans leur vie, surtout si on ne leur a pas demandé d’aide. Les patients ne sont généralement pas enclins à révolutionner leur mode de vie s’ils n’en voient pas la nécessité. Les dispensateurs de soins de santé sont frustrés parce que les patients ne se conforment pas aux interventions reliées au mode de vie. De plus, l’éducation en profondeur demande du travail et du temps et les patients qui s’attendent à des pilules magiques remettent en question la compétence des médecins qui prescrivent avec prudence les produits pharmaceutiques. L’action thérapeutique sous ordonnance procure l’espoir d’un règlement rapide du problème et elle est récompensée par de la gratitude; l’absence d’intercession pharmaceutique peut être accueillie avec déception et insatisfaction à l’endroit du dispensateur de soins.
Par ailleurs, la reconnaissance de la nécessité urgente de la promotion de la santé et de la médecine préventive comme éléments essentiels à la viabilité du système de santé ne représente pas une épiphanie; de telles admonitions ont déjà été exprimées auparavant. Si le bon sens et des recherches exhaustives enjoignent l’établissement médical et les gouvernements à pro-mouvoir les interventions et les politiques en santé conçues pour substituer des circonstances injurieuses par de saines pratiques, les politiques actuelles sur le plan de l’éducation et de l’économie ne créent pas le milieu propice à l’implantation de telles initiatives. La majorité de la recherche clinique (principalement financée par l’industrie) se concentre sur des thérapies de maintien lucratives plutôt que sur la prévention et la guérison19. L’éducation médicale est surtout centrée sur la maladie plutôt que sur la santé et la plupart des revues médicales publient des articles sur la prise en charge de la maladie plutôt que sur des stratégies pour promouvoir la santé et le bienêtre20. La plupart des systèmes de santé financés par les fonds publics remboursent les médecins pour traiter les maladies et non pas pour les prévenir.
En réalité, bon nombre de régimes de rémunération ne considèrent pas la médecine préventive comme étant nécessaire sur le plan médical et, par conséquent, en excluent tout financement, pénalisant ainsi les médecins qui prennent le temps et déploient l’effort voulu pour éduquer les patients au sujet de stratégies visant à éviter la maladie.
Soins de première ligne et prévention de la maladie: quo vadis?
En réponse à l’incapacité de l’approche de consultation-minute, divers organismes nationaux et internationaux revendiquent des programmes d’éducation et des interventions stratégiques visant la promotion de la santé et la prévention de la maladie21. Le programme international sur l’alimentation et le mode de vie récemment approuvé par l’OMS22 et la myriade de campagnes portant sur la prévention des blessures sont des pas dans cette direction. Plusieurs autres initiatives sont susceptibles d’aider les praticiens à intégrer la prévention dans la prestation des soins de santé individuels et publics.
L’examen médical annuel donne la possibilité d’éduquer les parents à propos des questions de santé propres aux enfants. Certains praticiens font de l’éducation proactive en rédigeant des articles sur le maintien de la santé pour des publications communautaires, tandis que d’autres donnent des cours dans des écoles, lors de conférences ou sur des tribunes publiques. Un programme novateur, intitulé en anglais «Do Bugs Need Drugs?» a été instauré par une province canadienne pour prévenir l’usage abusif des antibiotiques. Après avoir renseigné des enfants du niveau primaire, la consommation d’antibiotiques a fléchi presque immédiatement. Certains médecins se servent d’outils d’évaluation de l’exposition aux substances toxiques du Collège des médecins de famille de l’Ontario23 ou de modules sur la santé environnementale de l’OMS pour diminuer les risques posés aux patients par les substances toxiques pathogènes. Les soins avant la conception peuvent prévenir les problèmes congénitaux et de nombreux médecins ont commencé à avoir recours à d’autres professionnels de la santé, comme des nutritionnistes, pour éduquer les patientes à propos de diverses préoccupations à cet égard. Il a été éprouvé qu’en assurant un apport suffisant de substances nutritives de base, comme la vitamine D et les acides gras oméga-3, on peut prévenir une multitude de problèmes de santé. Les politiques publiques peuvent aussi contribuer à éviter les maladies, en atténuant des facteurs de risque et en favorisant des conditions propices à la santé par l'adoption de lois comme le port obligatoire de la ceinture de sécurité, les restrictions imposées à l'amiante ou l'élimination des gras trans.
Dans les nombreuses facettes de la prestation des soins de santé et de l'éducation publique, des efforts concertés en promotion de la santé sont nécessaires de toute urgence. Pour sortir la médecine préventive du discours purement académique et l'intégrer à la pratique médicale systématique, il faudra cependant des efforts soutenus en matière d'éducation médicale, de rémunération des médecins et de politiques publiques.
Footnotes
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