Ce mois-ci dans le Médecin de famille canadien, nous vous présentons un débat sur le dépannage, communément appelé «moonlighting», pour les résidents en médecine familiale. On définit le dépannage comme étant toute activité professionnelle conduite ou arrangée par le résident (ou le moniteur clinique), en dehors du cadre de sa résidence et pour lequel il reçoit une compensation additionnelle. Le dépannage est actuellement autorisé dans 8 des 10 provinces. Les docteurs Verma et Meterissian présentent respectivement les arguments favorables et défavorables à cette pratique ( page 1370-1). A noter, fait intéressant, les auteurs sont chacun 2 vice-doyens postdoctoraux de 2 grandes facultés de médecine canadienne. Comme quoi, ce sujet est loin de faire l’unanimité. Rarement a-t-on vu pareil débat où les arguments de l’un semblent tout aussi convaincants que ceux de l’autre. Personnellement, je crois qu’ils ont tous les deux raison!
Les avantages et inconvénients du dépannage
Certes, le dépannage comporte plusieurs avantages. Il permet à un résident de découvrir de nouveaux milieux de pratique, de développer son autonomie, d’arrondir les fins de mois, tout en aidant à combler des besoins médicaux dans des régions dépourvues ou épuisées.
Par contre, ceux qui s’y opposent ne manquent pas de souligner les paradoxes associés à cette pratique restrictive.
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«Si un résident est assez bon pour pratiquer après 18 mois de résidence, pourquoi celle-ci dure-t-elle 24 mois? Et dire que certains pensent même à la prolonger à 36 mois!»
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«Et s’il est suffisamment compétent pour faire du dépannage, pourquoi doit-il passer les examens de certification du Collège des médecins de famille du Canada d’autant plus que la réussite aux examens du Conseil médical canadien est habituellement requise pour faire du dépannage?»
En réalité, en dehors des considérations administratives et corporatistes, le vrai questionnement face au dépannage devrait être celui du résident qui s’y adonne. A notre avis, il devrait se poser 2 questions: Pourquoi faire du dépannage? et Ai-je la compétence requise?
Les principales raisons pour faire du dépannage
Pour connaître la pratique en région éloignée?
Oui, mais les stages en régions éloignées qui sont déjà obligatoires dans la plupart des programmes de médecine familiale ou même à option permettent une telle exposition, tout en bénéficiant d’un encadrement pédagogique.
Pour altruisme?
Peut-être bien, mais il existe plein de pays défavorisés dans le monde où les besoins sanitaires sont criants. Pourquoi alors se cantonner aux régions défavorisées de la province ou du territoire. Si c’est là le véritable objectif, ne serait-il pas préférable d’aller dans des pays défavorisés où les besoins médicaux sont primordiaux?
Pour l’argent?
Il est vrai que la rémunération peut être une source de motivation non négligeable. Quant on vous offre la possibilité de gagner en une fin de semaine à l’urgence ce que vous recevez habituellement en 1 mois de résidence, ou en 1 semaine d’hospitalisation ce que vous gagner en une saison, il y a là de quoi tenter bon nombre. Surtout que plusieurs font état que les résidents finissent leurs études très endettés; certains avancent que les résidents finissants ont une dette moyenne de 100 000$. Mais en contre partie, cela en vaut-il vraiment le coup, d’autant plus qu’il ne reste que 6 mois pour compléter sa résidence et que les examens de certification s’en viennent à grands pas.
Dans ce débat, il ne faut pas oublier, non plus, les effets potentiellement pervers et contre-productifs d’un dépannage hâtif et pris à la légère. J’en connais plus d’un—médecin jeune, idéaliste, aventurier—à s’être cassé les dents dans une expérience douloureuse. Pris seul à l’autre bout du monde à traiter un polytraumatisé, à réparer une déchirure du 4ième degré du périnée, à réanimer un nouveau-né dont l’APGAR stagnait, ils sont revenus de là, brûlés, atterrés et désillusionnés, effrayé par les risques de poursuite en début de carrière, en se disant que d’aller travailler en régions éloignés n’étaient pas pour eux, alors qu’en réalité ils y seraient devenus d’excellents médecins, eussent-ils été mieux préparés et mieux encadrés.
Bref, sans égard aux considérations administratives ou sociétales, la décision d’aller faire du dépannage doit être bien réfléchie.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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