C’est grand la mort, c’est plein de vie dedans.
Félix Leclerc
Docteur,
Le jour où je serai gravement malade alors que le souffle de ma vie s’étiolera et que la mort s’insinuera en moi, ce jour-là où je serai en soins palliatifs, je vous prierais de:
me dire la vérité, sans pour autant détruire l’espoir qu’il me restera encore
Serez-vous capable de me parler sans fixer vos pieds pour éviter mon regard? Sans porter en vous la honte d’une profession qui ne jure que par la guérison et qui considère la mort comme un échec? Puisque mes jours seront comptés, saurez-vous me le dire?
discuter avec moi des soins possibles
Ne me faites pas de fausses joies, ni de fausses promesses. Ne me faites pas miroiter les prétendus vertus d’un quelconque traitement miracle qui risque d’hypothéquer ma qualité de vie pour quelques jours ou semaines de plus. Ne me bercez pas de fausses illusions. Présentez-moi simplement les faits afin que je puisse prendre les meilleures décisions.
parler aux miens et à ceux que j’aime en prenant le temps de les écouter
En les rencontrant, vous saurez d’où je viens et qui je suis. Vous comprendrez alors que je puisse être seul et abandonné ou au contraire entouré de plusieurs. Chacun porte en soi sa propre histoire de vie et sa part de mystère avec ses joies et ses tristesses, ses réussites et ses échecs, qui nous façonnent et nous marquent. Ne mourrons-nous pas tous comme nous avons vécu?
soulager mes douleurs sans pour cela compromettre mon existence
Faites que je ne courre pas continuellement après mon souffle, ni ne crache mes poumons, ni ne suffoque dans mes sécrétions, ni ne vomisse mes entrailles, ni ne saigne de mes orifices, ni ne répugne par mes plaies malodorantes. Faites simplement que je ne pâtisse pas trop.
m’aider à rester chez moi aussi longtemps que je le pourrai
Pour cela, il faudra sans doute trouver l’aide et l’assistance requises. Et lorsque je n’aurai plus la force de venir vous consulter à votre bureau, me visiterez-vous à la maison? Et si la nuit ou les fins de semaines, ma condition se détériore, pourra-t-on vous rejoindre ou quelqu’un d’autre? Et lorsque je n’en pourrai plus ou que les miens seront épuisés, pourrez-vous m’admettre dans un lieu calm et serein pour y finir ma vie dignement?
demeurer attentif même lorsque je n’en pourrai plus d’endurer ce calvaire
Ne me prolonger pas indûment. Accepterez-vous que je veuille arrêter? Que ferez-vous si je vous demande d’abréger mes souffrances? Et comment réagirez-vous si je vous rappelle «qu’on achève bien les chevaux?» Serez-vous capable de m’accompagner dans ma tourmente et de me réconforter spirituellement? D’avoir une relation d’humain à humain avec moi? De m’écouter et ne pas me juger? De partager ma détresse?
Mes attentes ne sont pas si compliquées. Aidez-moi et les miens à sortir de cette vie, comme j’y suis entré en 1951.
En serez-vous capable?
En réalité, les patients en soins palliatifs attendent généralement de leur médecin ce qu’ils sont en droit d’attendre de tout médecin, soit-il spécialiste ou omnipraticien/médecin de famille. Il en est justement question dans le débat «La médecine palliative est-elle une spécialité?» publié dans cette édition où Shadd ( page 844) prétend que ce serait préférable alors que Vinay ( page 845) opine le contraire. En fin de compte, ce qu’ils attendent de leur médecin, c’est qu’il démontre de multiples compétences: expert et érudit en soins palliatifs, capable de communiquer et de collaborer avec les autres, gestionnaire des ressources et promoteur de soins terminaux appropriés, bref un professionnel consciencieux.
Roger Ladouceur, 1951-
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