Si la majorité des Canadiens appartiennent à la population dite urbaine, vivant à 100 km ou moins de la frontière américaine, beaucoup échappent à cette définition. Statistique Canada désigne rurales les collectivités de moins de 10000 habitants. Cette catégorisation, selon laquelle 20% d’entre nous vivons en milieu rural, ne fait pas l’unanimité1. Dr Michael Jong, ancien président de la Société de la médecine rurale du Canada et l’un des Médecins de famille de l’année 2005, m’a expliqué que la meilleure définition, c’est l’auto-identification: si vous pensez être en pratique familiale rurale, vous l’êtes.
On appelle souvent à tort «rurales» les collectivités non urbaines au Canada, évoquant des villages agricoles, pastoraux et peu peuplés. Mon expérience de la pratique «rurale» comporte 4 années dans une ville minière de Terre-Neuve, 6 années dans une base hospitalière pour patients des réserves transportés en avion à Sioux Lookout, au nord-ouest de l’Ontario, et des visites à Moose Factory, en Ontario, à Iqaluit, au Nunavut, et à Bella Coola, en C.-B.
La médecine familiale est très forte au Canada par rapport aux autres pays. C’est attribuable, j’en suis sûre, aux contraintes géographiques exigeant des omnipraticiens bien formés pour répondre aux besoins des plus petites collectivités. Ces dernières ne peuvent simplement pas soutenir toute la gamme des spécialistes pour des considérations financières et de charge de travail. Pourtant, les omnipraticiens qui exercent en milieu rural, si essentiels à de telles collectivités, ne représentent que 10% de l’effectif médical2.
Triste réalité
Les petites collectivités éloignées sont surtout habitées par les Inuits, les Métis et les Premières nations. Leur état de santé est un scandale national. Selon d’importants indicateurs de la santé, ces populations accusent des écarts majeurs par rapport au reste de la population canadienne, malgré les efforts des médecins et des infirmières. Par exemple, l’espérance de vie chez les Premières nations est de 6 années de moins que les autres citoyens canadiens3. Tant et aussi longtemps que les problèmes fondamentaux (comme les revendications territoriales et la gouvernance) ne seront pas réglés, nos efforts auront peu d’impact sur ces statistiques, mais il ne faut surtout pas sous-estimer l’importance des soins pour le patient en cause.
La Société de la médecine rurale du Canada revendique une stratégie de la santé rurale, et le Collège des médecins de famille du Canada convient de l’importance d’un tel projet. Il y a un urgent besoin de financer l’infrastructure, de maintenir en poste les professionnels de la santé et, surtout, de les former.
Appui de l’intérieur
Les médecins de famille dans les petites collectivités se débattent pour préserver les services d’urgence, l’effectif hospitalier et leur pratique malgré la pénurie de médecins. Ils sont épuisés; l’équilibre est précaire dans l’effectif médical et la perte d’un seul médecin a de graves conséquences. La régionalisation de la formation médicale exige plus d’eux en tant qu’enseignants. De plus, ils sont appelés à se faire les mentors des nouveaux médecins. Savoir qu’on peut compter en tout temps sur un collègue est très rassurant; c’est un ingrédient essentiel du maintien en poste.
Depuis quelques années, le Collège impose un stage obligatoire de 2 mois en milieu rural dans la formation en médecine familiale. Chaque médecin de famille au Canada a donc eu une expérience rurale. De plus, nos programmes de 3e année offrent la possibilité de perfectionner d’autres habiletés, comme l’anesthésie, que j’ai eu le plaisir de pratiquer durant mon séjour dans le Nord. Nous pouvons améliorer encore nos programmes pour aider les résidents intéressés à acquérir les compétences nécessaires à la pratique rurale et enrichir leur confiance, aussi appelée le «courage clinique».
Un dernier mot
S’il y a place à l’amélioration, il existe quand même des possibilités pour les Canadiens d’acquérir les habiletés techniques nécessaires à la pratique rurale. L’éducation, la formation spécialisée, les politiques de maintien en poste et d’admission des étudiants d’origine rurale sont nécessaires mais insuffisantes. Il faut plus de politiques pour accroître l’effectif rural en sciences de la santé. Le «vrai Nord» fait partie de notre identité nationale. Que nous vivions aux confins ou au centre du pays, nous devons travailler ensemble pour offrir de meilleurs soins de santé aux citoyens canadiens ruraux et pour soutenir leurs professionnels de la santé.
Footnotes
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This article is also in English on page 1069.
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