Pellegrino définit le professionnalisme comme étant «ces qualités et modes de conduite propres aux professions»1. Dans chaque rencontre avec un patient, le médecin, en qualité de professionnel, «professe» sa compétence technique et un engagement à utiliser cette compétence dans l’intérêt supérieur du patient. Par conséquent, un bon médecin se caractérise par des vertus qui lui permettent de réaliser ce qu’il ou elle professe: bienveillance, confidentialité, compassion et courage, pour n’en nommer que quelques-unes1. Plus précisément pour la médecine familiale, Dr Cal Gutkin, directeur général et chef de la direction du Collège des médecins de famille du Canada, a identifié 6 «principaux principes et actes» du professionnalisme, notamment le savoir, l’engagement à l’endroit de la formation continue, la pratique fondée sur des données probantes, la fiabilité, l’autoréglementation et la prestation de soins «éthiques» et «altruistes»2. Étant donné que les qualités décrites ci-dessus sont nobles et dignes d’être adoptées, on pourrait se demander pourquoi les MF ne s’entendent pas sur ce qu’est le professionnalisme.
C’est peut-être en raison de la nature abstraite de ces qualités3. Leur incarnation appropriée dans la pratique est à la fois influencée par le contexte et l’interprétation individuelle.
Envers qui les MF ont-ils des devoirs?
Les problèmes dans la pratique clinique ont rarement des solutions tranchées. Ils sont souvent teintés par les luttes d’équilibre entre des devoirs en concurrence. Dans le cas où il s’agit de remplir un formulaire d’ordonnance de médicaments à utilisation restreinte, il n’est pas rare de voir des MF «étirer» les critères pour que leurs patients puissent obtenir un médicament plus efficace qui serait autrement inaccessible en raison de son coût élevé. Certains pourraient prétendre que ce geste représente un engagement à servir l’intérêt supérieur du patient, mais est-ce professionnel? Beaucoup de MF diraient que non. Ils considéreraient que c’est une attribution injuste des ressources et une menace à la viabilité du système canadien de la santé, sans compter que cette pratique implique un mensonge.
Les limites de l’altruisme
Les MF qui ont travaillé au front durant l’éclosion du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) en dépit de leur manque d’information ou d’équipement de protection adéquat sont un exemple évident de l’altruisme en médecine familiale. Devrions-nous attendre de tous les MF qu’ils adhèrent aux mêmes standards dans de futures éclosions pour être considérés professionnels? Certains pourraient juger que c’est un devoir nécessaire, mais d’autres seraient d’avis contraire. Il n’est pas difficile de concevoir pourquoi certains MF refuseraient de le faire, par simple instinct de survie; néanmoins, d’autres, quoiqu’ils jugent ce devoir honorable, le trouveraient déraisonnable, comme si l’on demandait à des pompiers de combattre un incendie sans l’équipement approprié.
Il peut aussi se révéler problématique de trouver le juste milieu entre un comportement altruiste et raisonnable dans une pratique familiale au quotidien, semblerait-il banale. Voici l’exemple de la règle «un seul problème par visite», que suivent certains MF par nécessité, non seulement pour des motifs financiers, mais aussi comme moyen d’offrir un accès équitable4. D’autres MF jugent cette pratique contraire au professionnalisme, puisqu’elle viole le devoir de diligence; ils croient qu’un médecin devraient simplement travailler plus d’heures ou se contenter d’une rémunération sous-optimale. Puis, il y a les cas urgents dont il faut s’occuper, comme un patient atteint d’une maladie aiguë ou des lettres préconisant de reporter une déportation, qui trouvent leur chemin jusqu’à nous durant le repas du midi ou après les heures de bureau. Dans quelle mesure un médecin doit-il renoncer à ses propres intérêts pour être considéré professionnel? Il est clair que cette question ne fait pas l’unanimité.
Laisser ses valeurs à la porte?
L’établissement des priorités entre des valeurs en concurrence est inhérent à chaque rencontre en médecine familiale. On reconnaît souvent que les patients et les médecins n’ont pas les mêmes idées sur ce qui est considéré «bien» ou «de bons soins». Les mêmes différences existent aussi chez les MF et peuvent prendre la forme de variations dans les services fournis, comme l’acceptation ou le refus de faire ou de demander une consultation pour un avortement, une hyménoplastie ou des «améliorations» cosmétiques.
En 2008, la politique proposée par le College of Physician and Surgeons of Ontario sur les médecins et le code des droits de la personne a suscité un vif débat sur la question de savoir si un médecin qui refuse de demander une consultation pour des interventions contraires à ses convictions morales devrait être jugé non professionnel5. Certains MF ont vu cette politique d’un bon œil parce qu’elle ferait avancer les droits des femmes en matière de reproduction. La capacité de contrôler sa propre fertilité à son gré est un «bien» dans ce système de valeurs. Pour ces MF, le fœtus appartient à la femme et sa destinée ne devrait dépendre que du vouloir de sa propriétaire. Le refus de demander une consultation pour avortement est jugé comme une entrave à l’autonomie de la femme, donc contraire au professionnalisme.
Pour les MF qui croient que la vie commence avec la conception, pour des raisons scientifiques ou morales, le fœtus n’est pas un «objet», mais un «il» ou une «elle». Ces médecins refusent de faire des avortements ou des demandes de consultation à cette fin, parce que, pour eux, ils ont l’obligation de soigner 2 patients - la mère et le fœtus - et non pas seulement la femme. Demander une consultation pour avortement, c’est ignorer volontairement cette obligation et infliger intentionnellement un préjudice à un patient en participant à l’acte de lui enlever la vie. Dans ce système de valeurs, le devoir de non-malfaisance l’emporte sur le respect de l’autonomie. Voilà un exemple dans lequel il y a un contraste dramatique dans ce qui est jugé professionnel entre ces 2 groupes de MF.
En bout de ligne
Les médecins de famille ne s’entendent pas sur ce qu’est le professionnalisme. Si certains désaccords sont fondés sur l’instinct de préservation ou des motifs liés au système de santé, d’autres reposent sur une véritable bataille pour faire un juste équilibre entre des valeurs en concurrence et le désir ultime de dispenser de «bons» soins. Ces différences dans les concepts du professionnalisme ne doivent pas être ignorées mais bien reconnues comme faisant partie de la riche diversité de la société canadienne.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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L’absence d’unanimité quant à la définition du professionnalisme chez les MF est multifactorielle.
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Les débats sur le professionnalisme ont souvent pour origine la véritable bataille pour faire un juste équilibre entre des valeurs en concurrence.
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Les devoirs des médecins de famille envers le patient et envers la société peuvent parfois être contradictoires.
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L’établissement des priorités entre ces obligations au cas par cas peut engendrer des réponses bien différentes face à ces dilemmes.
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Les systèmes de valeurs qui reposent sur des concepts divergents du «bien», des «bons soins» et de la «personne» peuvent produire des définitions bien différentes du professionnalisme. Ces différences sont le reflet de la nature diversifiée de la société canadienne et devraient être chères à nos yeux.
Footnotes
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Les parties à ce débat contestent les arguments de leur opposant dans des réfutations accessibles à www.cfp.ca. Rendez-vous au texte intégral en ligne, puis cliquez sur CFPlus dans le menu à droite en haut de la page. Participez à la discussion en cliquant sur Rapid Responses.
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Remerciements
Je tiens à remercier les membres du Comité d’éthique du Collège des médecins de famille du Canada de leurs précieuses discussions incessantes sur les questions d’éthique entourant le professionnalisme en médecine.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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