J’ai complété ma formation postdoctorale en une seule année et je suis convaincu que je suis un bon médecin.»
On entend régulièrement cet argument. L’auteur de cet article est d’ailleurs un produit de cet internat rotatoire d’un an qu’était jadis notre formation pour la pratique générale. Mais qui peut nier que la médecine familiale a changé de façon importante?
Une de mes patientes de 82 ans, insuffisante cardiaque sévère avec décompensations fréquentes, fait un ACV, et ensuite une gastrite avec anémie ferriprive sévère. Une semaine plus tard, sur pied mais dysphasique, elle est de retour à domicile, sous mes soins. Pendant sa courte hospitalisation, c’est un de mes collègues, médecin de famille, qui était son médecin traitant. Dès son retour à domicile, c’est moi qui prends la relève. Il y a 25 ans, cette dame serait peut-être décédée. Si elle avait survécu, elle serait demeurée à l’hôpital pendant plusieurs mois sous les soins d’un neurologue et d’un cardiologue.
La médecine en évolution constante
Les gens vivent plus longtemps et plusieurs deviennent porteurs de multiples pathologies qui interagissent les unes avec les autres. Les possibilités diagnostiques et thérapeutiques se sont multipliées. Les médecins des autres spécialités se concentrant sur leur champ de pratique pointue, le médecin de famille assume la responsabilité première du traitement d’un nombre croissant de pathologies. La formation des médecins de famille doit rester à la hauteur de ces changements.
Un ex-doyen de Lyon (France) me disait récemment que plusieurs premiers de classe choisissent la médecine familiale. En France, la formation est de 3 ans, ce qui est le minimum dans tous les pays industrialisés sauf le Canada1.
Même au Canada, alors qu’on créa la première résidence en médecine familiale en 1964, plusieurs des pionniers auraient opté pour une formation de 3 ans. L’an dernier, 24% des finissants au Canada ont opté pour une formation complémentaire d’un an.
Il est souhaitable d’offrir à tous les résidents un programme de résidence de 3 ans car on doit viser qu’à la fin de leur formation, les résidents aient acquis une maîtrise de haut niveau de toutes les compétences liées aux 4 principes de la médecine familiale, tel que stipulé par le Collège des médecins de famille du Canada qui incluent les compétences CANMEDs.
Non seulement les pathologies sont-elles plus nombreuses et complexes, non seulement les options thérapeutiques sont-elles plus vastes, mais le médecin de famille de demain devra maîtriser de nouvelles compétences transversales telles que la gestion et la collaboration en plus des compétences plus traditionnelles telles que l’érudition, la promotion de la santé et la communication. Dorénavant, le médecin de famille travaillera en équipe et devra développer de nouvelles habitudes relationnelles pour réussir ce changement. Il devra devenir un expert des relations d’équipe et savoir comment exercer un leadership même s’il n’est pas l’intervenant principal de chaque patient. De plus, il sera appelé à voir de façon préférentielle les gens avec des problèmes complexes, les gens avec des problèmes indifférenciés et les gens qui n’ont pas répondu à un premier traitement. Il lui faudra maintenir ses connaissances à la fine pointe de la médecine moderne. Ce n’est pas tout : il devra non seulement maintenir son expertise en cabinet, mais aussi dans des soins de 2e ligne auprès de patients hospitalisés et dans les salles d’urgence2.
Les besoins de notre société changent et se multiplient. En voici un exemple évident : alors que dans le passé on ne parlait pas beaucoup de soins palliatifs, maintenant on veut que le médecin de famille soit un expert dans ce domaine. Une résidence de 3 ans favorise l’acquisition de compétences polyvalentes ainsi que la maturation professionnelle à travers la responsabilité d’un groupe de patients. Une résidence de 3 ans n’éliminera pas la nécessité de formation continue, qui doit se continuer pendant toute la vie professionnelle du médecin. Elle sert à peaufiner ses connaissances et à les remettre à jour. Le mentorat pendant les premières années de pratique pourra être une aide précieuse, mais n’élimine pas les avantages d’avoir acquis des compétences pendant la résidence. Le nouveau médecin de famille doit pouvoir s’engager dans une pratique polyvalente avec le minimum de stress et le maximum de confiance. En Arizona, on a créé une résidence de 4 ans et le nombre d’applications a augmenté3.
Certains diront qu’il faut absolument des données probantes prouvant que la prolongation (ou le raccourcissement) d’une résidence produira de meilleurs médecins et diminuera le taux de morbidité. A-t-on exigé des données probantes il y a 3 ans lorsque le Collège des Médecins du Québec prolongea la formation en médecine interne et en pédiatrie d’un an? Dans son éditorial dans l’American Board of Family Practice, Winter4 nous rappelle que les données probantes sont très rares. Deux universités (Marshall et Tennessee) ont instauré et évalué un programme pilote d’une résidence de 2 ans5,6. Les résultats des résidents aux examens étaient meilleurs. Par contre, leurs programmes n’admettaient qu’un petit nombre de résidents, plus âgés et avec un dossier académique supérieur à la moyenne.
Il est temps que le Canada comprenne ce défi
Il est erroné d’affirmer que la résidence actuelle est d’une durée de 2 ans : les conventions collectives des résidents au Québec se sont améliorées et permettent maintenant, chaque année, des congés divers de plus 50 jours ouvrables, excluant les congés de maladie7. La durée de la résidence dépasse à peine 19 mois. Et si un résident est de garde (aux 4 jours au Québec), le lendemain il est en congé. Il peut donc être absent de ses milieux de stage 15 semaines par année. Le résultat est une résidence de 1 an et 7 mois pendant laquelle le résident n’est présent dans son milieu de stage que pour 13 mois!
Treize mois pour former un médecin dans une spécialité qui, selon moi, est parmi les plus complexes et les plus exigeantes. D’autres pays industrialisés l’ont compris; la médecine familiale canadienne mérite, elle aussi, une formation minimale de 3 ans.
CONCLUSIONS FINALES
-
La formation minimale, dans tous les pays industrialisés sauf le Canada, est de 3 ans.
-
La médecine familiale est une spécialité qui est parmi les plus complexes et les plus exigeantes. Les pathologies se multiplient et interagissent les unes avec les autres. Les possibilités thérapeutiques se sont multipliées aussi. En plus des compétences conventionnelles, les médecins de famille doivent maîtriser toute une gamme de compétences transversales et de communication.
-
Compte tenu des congés divers auxquels les résidents ont droit, la résidence peut durer à peine 13 mois.
Footnotes
-
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
-
This article is also in English on page 342.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada