En 2010, le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (GECSSP) a été reconstitué grâce à une entente de financement entre l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) et les Instituts de recherche en santé du Canada. Il a pour mandat d’élaborer et de diffuser des guides de pratique clinique sur les soins primaires et préventifs, en se fondant sur une analyse systématique des données scientifiques.
La création initiale du GECSSP (auparavant le Groupe d’étude canadien sur l’examen médical périodique) remonte à 1976. La série originale de recommandations, la première du genre, a été publiée sous forme d’un article de 61 pages, révisé par des pairs, dans le CMAJ en 19791. Par la suite, en 1994, le GECSSP a publié 81 de ses recommandations dans une compilation intitulée Guide canadien de médecine clinique préventive2.
Le GECSSP s’est mérité une renommée internationale pour ses conseils exceptionnels à l’intention des médecins, générés grâce à des méthodes rigoureuses de grande qualité. De nombreux organismes dans le monde ont utilisé ses rapports, notamment le Preventive Services Task Force des États-Unis (qui a conçu son approche en se basant sur les méthodes du GECSSP). Initialement, le financement était versé par un partenariat entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, mais lorsque l’entente est arrivée à expiration en 2005, le GECSSP a été démantelé. Depuis, le milieu des soins primaires a été privé d’un groupe chargé de l’élaboration d’un guide national sur les soins préventifs, quoique de nombreuses organisations locales et provinciales aient en partie comblé ce vide.
Nécessité d’un groupe national d’élaboration de lignes directrices
Les médecins de famille sont inondés de guides de pratique clinique de qualité variable, venant de nombreux groupes différents, élaborés selon des méthodes et des systèmes d’évaluation diversifiés qui présentent souvent des recommandations contradictoires3,4. On s’inquiète aussi de plus en plus des liens entre les rédacteurs de guides et ceux qui pourraient bénéficier financièrement des recommandations5. Si les guides de pratique clinique sont des outils de formation utiles, les recommandations ne sont souvent pas mises en œuvre dans la réalité, pour diverses raisons, ce qui limite les changements qu’on pourrait apporter dans l’exercice6,7.
Le GECSSP vise à surmonter bon nombre de ces obstacles. Les recommandations se concentrent sur des conseils pratiques à l’intention des médecins de famille canadiens dans des contextes typiques de la pratique. De plus, le processus d’élaboration comporte une stratégie de transposition du savoir fondée sur des données probantes pour faciliter la mise en œuvre dans les soins primaires. Enfin, le GECSSP établit des partenariats avec d’autres groupes homologues pour minimiser le potentiel de messages contradictoires et de duplication d’efforts.
Membres du nouveau GECSSP
Le GECSSP compte 14 membres; 7 sont médecins de famille et les autres appartiennent à d’autres spécialités médicales et professions de la santé qui s’intéressent aux soins préventifs et à la méthodologie. Les membres doivent divulguer entièrement tout conflit d’intérêts et doivent s’exclure de toute décision s’il y a apparence d’un tel conflit. Les médecins de soins primaires sont tous en pratique clinique et ont des compétences en évaluation des données scientifiques et en élaboration de lignes directrices. Tous ont fait l’expérience des défis que pose l’application au quotidien de multiples guides de pratique clinique dans les soins aux patients.
Le GECSSP est appuyé par le groupe indépendant, Evidence Review and Synthesis Centre, de la McMaster University, qui effectue l’examen des données scientifiques, ainsi que par le bureau du Groupe d’étude à l’ASPC, qui offre un soutien technique, administratif et scientifique. L’ASPC n’a pas d’influence directe sur le choix des sujets ni de contrôle éditorial sur les recommandations.
Processus d’élaboration du guide
Le GECSSP utilise des méthodes rigoureuses pour évaluer les données scientifiques et orienter les soins préventifs. L’approche actuelle pour élaborer les lignes directrices tire profit des technologies améliorées et des innovations dans l’évaluation critique durant tout le processus du développement - de l’identification des sujets prioritaires jusqu’à la stratégie pour la transposition et l’échange des connaissances.
Établissement des sujets prioritaires
Le GECSSP a dressé une liste de sujets en consultation avec des médecins de première ligne et des organisations partenaires potentielles. Un groupe de travail sur l’établissement des sujets prioritaires a demandé aux membres de classer individuellement les sujets par ordre de priorité, puis la liste finale a été décidée en consensus par l’ensemble du groupe d’étude. Le GECSSP continue de solliciter des suggestions de sujets auprès des professionnels des soins primaires et au moyen du site public (www.canadiantaskforce.ca). L’établissement des priorités tient compte du fardeau de la maladie; des effets potentiels sur le fardeau de la maladie, la morbidité, la mortalité ou la qualité de vie; de l’intérêt du public ou des fournisseurs de soins; des variations dans la prestation des soins; de la suffisance des données probantes existantes; et du développement de nouvelles données probantes dans le domaine en cause.
Méthodologie
Le GECSSP utilise une approche structurée pour évaluer les données scientifiques et donner des conseils concernant les soins préventifs dans la pratique. Le groupe d’étude élaborera des recommandations de novo en l’absence d’autres lignes directrices. Lorsqu’il y a des synthèses critiques ou des guides de pratique provenant d’autres groupes, comme le Preventive Services Task Force des États-Unis, le GECSSP les utilisera comme point de départ et effectuera une mise à jour des données scientifiques pertinentes. Lorsque des lignes directrices factuelles récentes existent déjà, le GECSSP vérifiera leur qualité à l’aide d’un système qui évalue le contenu et le processus d’élaboration du guide avec des outils comme AGREE II (Assessment of Guidelines REsearch and Evaluation)8 et donnera son aval à ces lignes directrices ou les adaptera.
Le GECSSP utilise une méthode rigoureuse pour délimiter et élaborer les principales questions et le cadre analytique de l’étude, ainsi qu’une nouvelle approche pour évaluer la qualité des données probantes et formuler les recommandations. Le protocole de recension, le cadre analytique et les principales questions sont tous distribués à des pairs évaluateurs (y compris des médecins de famille) pour assurer qu’ils cernent les questions et les résultats que les cliniciens et les patients jugent importants.
Résumés GRADE des données scientifiques
Pour déterminer la qualité des données scientifiques et formuler les recommandations, le GECSSP se sert de la méthodologie GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation) pour accroître la rigueur et la transparence9. La méthodologie GRADE a déjà été adoptée par plus de 50 organisations. Si ce système est une nouveauté pour la plupart des cliniciens, le GECSSP croit que c’est actuellement la meilleure méthode pour encadrer les recommandations des guides de pratique et qu’en définitive, il offrira de meilleurs conseils aux médecins et aux patients.
L’approche GRADE évalue la qualité des données scientifiques et la force de la recommandation. La qualité des données pour d’importants résultats prédéterminés chez les patients - à la fois désirables (bienfaits) et indésirables (préjudices) - est cotée comme étant grande, modérée, faible ou très faible et elle reflète leur certitude. Par exemple, si des données scientifiques sont de grande qualité, d’autres recherches ne changeront probablement pas l’estimation de l’effet; si les données sont de qualité très faible, l’estimation de l’effet est très incertaine et pourrait être modifiée à la suite d’autres recherches.
Les recommandations antérieures du GECSSP ont principalement tenu compte des réductions dans la morbidité ou la mortalité de la maladie ou du problème à prévenir. La nature imparfaite de la prévention et du dépistage signifie que, souvent, on identifie un bien plus grand nombre de personnes qui doivent subir des investigations ou des thérapies additionnelles que le nombre de personnes qui en bénéficieront réellement10. Les préjudices causés par ces résultats faux-positifs varient mais sont parfois considérables (p. ex. diagnostic de cancer et traitement par chirurgie, radiothérapie ou chimiothérapie)11. L’approche GRADE offre des conseils explicites, de manière à ce que les médecins qui offrent des tests ou des interventions préventives soient mieux placés pour renseigner les patients à propos des bienfaits et des inconvénients. Ainsi, les personnes pourront prendre des décisions différentes en fonction de leurs attitudes et préférences personnelles dans le contexte de l’information qu’on leur a donnée.
Les recommandations sont classées selon qu’elles sont fortes ou faibles, en se fondant sur l’équilibre entre les effets souhaitables et indésirables, la qualité des données scientifiques et d’autres facteurs importants comme les préférences du patient et les coûts12.
Les recommandations finales incluront des cotes de la qualité des données probantes et de la force des recommandations, présentées à l’aide de tableaux récapitulatifs des données GRADE (pour montrer l’ampleur de l’effet sur chaque résultat important) et des cotes de qualité GRADE (avec des notes expliquant la cote). Ce processus se traduira souvent par des recommandations différentes de celles auxquelles les praticiens sont habitués. Par exemple, un test de dépistage pourrait recevoir une recommandation faible en se fondant sur des données de qualité modérée, si l’effet est minime ou si les préférences du patient sont particulièrement susceptibles d’influencer la décision de subir le dépistage (Tableau 1)9.
Les recommandations du GECSSP sont des lignes directrices et non pas des ordonnances pour la prise en charge des patients; elles présenteront des facteurs dont devraient tenir compte les médecins de famille quand ils conseillent leurs patients à propos d’interventions de dépistage ou de prévention. À long terme, la participation des patients à ces décisions devrait améliorer la satisfaction à propos l’égard des soins et peut-être le recours à des services bénéfiques. Quoique ces discussions puissent nécessiter plus de temps de la part des médecins de famille déjà occupés, elles sont importantes, car les gens connaissent de plus en plus les choix qui s’offrent à eux dans leurs soins de santé13.
Questions contextuelles
Les données probantes à l’appui des soins préventifs sont tirées de la littérature scientifique internationale, mais les effets de ces données sur la formulation et la mise en œuvre des recommandations pour la pratique doivent être envisagés dans le contexte canadien. Parmi les facteurs à prendre en compte, on peut mentionner les effets sur la qualité de vie ou la détresse psychologique; les facteurs sociodémographiques, ethniques et culturels (comme le risque accru d’hypertension chez les Sud-Asiatiques14 ou les taux de dépistage plus bas chez les personnes des Premières Nations15); la vie en milieu urbain, rural ou éloigné16; les maladies concomitantes multiples17; les questions entourant l’équité et l’utilisation des ressources. Pour chaque question contextuelle pertinente identifiée, une recherche documentaire est effectuée dans le cadre de l’élaboration du guide. Étant donné que ce genre d’information probante est souvent limité, de nature qualitative ou trouvée dans la littérature grise, un résumé narratif représente la seule façon pratique d’évaluer et de présenter ces données.
Une fois l’examen de la synthèse complété, des ébauches de recommandations sont produites par le groupe de travail assigné à ce sujet et présentées à l’ensemble du comité pour y être débattues. L’étude complète et les recommandations sont envoyées à des pairs évaluateurs de l’extérieur, experts en la matière (y compris des médecins de famille), pour obtenir leur rétroaction.
Transfert et échange de connaissances
Toutes les lignes directrices comportent une stratégie intégrée de transposition du savoir qui se base sur le cadre Du savoir à l’action18. Les guides de pratique s’adressent principalement aux professionnels des soins primaires, mais d’autres groupes reliés aux soins de santé, des décideurs et le public participent aussi par l’intermédiaire d’un site web interactif. Les études des synthèses et les énoncés complets des lignes directrices seront publiés dans des revues évaluées par des pairs. Des énoncés sommaires seront publiés ailleurs et seront accessibles dans le site web du GECSSP. En plus des publications scientifiques, on produira aussi des aides à la décision pour aider les cliniciens et les patients à comprendre les enjeux dans le but de prendre des décisions éclairées. La stratégie de transposition du savoir comportera l’élaboration d’outils au point de service qui peuvent être utilisés en combinaison avec les dossiers médicaux électroniques, ainsi que le recours aux médias sociaux pour faire connaître les lignes directrices aux professionnels de la santé et à la population.
Mesure du rendement
Le GECSSP s’intéresse vivement à la façon dont les guides de pratique fonctionnent dans la réalité des soins primaires et à leur influence sur les décideurs et d’autres organisations. Chaque ligne directrice comporte des mesures du rendement qui peuvent évaluer son efficacité à ces divers niveaux. Cette évaluation contribuera à améliorer les lignes directrices et à surveiller leurs effets.
Le GECSSP a établi des partenariats avec d’autres organisations de soins préventifs, en se fondant sur les principes de l’excellence, de la crédibilité et des associations stratégiques. Ces partenariats feront en sorte que les conseils aient une efficacité maximale pour améliorer les soins aux Canadiens. Les partenaires pourront participer à l’élaboration et à l’examen des lignes directrices, à leur diffusion et à leur évaluation ou encore à titre de conseillers.
La voie à venir
Le GECSSP revitalisé a reçu un financement durable et aspirera à être la principale source de conseils en dépistage et en prévention pour les professionnels des soins primaires et tous les Canadiens. Notre premier guide de pratique en 2011 portait sur le dépistage du cancer du sein. Des recommandations concernant le diabète de type 2, le cancer du col de l’utérus, l’hypertension et la dépression suivront ensuite. Nous travaillons aussi à des lignes directrices concernant l’obésité chez l’adulte et l’enfant et nous évaluons divers guides récents que pourrait éventuellement endosser le Groupe d’étude. Le GECSSP est de retour.
Acknowledgments
Nous remercions Drs Patrice Lindsay et C. Maria Bacchus pour le rôle qu’ils ont joué dans l’établissement du Groupe d’étude.
Footnotes
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This article is also in English on page 13.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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