Les soins à domicile m’ont toujours passionné. Parmi les disciplines médicales, la médecine familiale a presque le monopole complet des visites à domicile. C’est notre territoire, notre histoire et une part de notre identité. Nous sommes les médecins qui soignons les gens dans tous les milieux, pas seulement au cabinet ou à l’hôpital. C’est l’intimité de traiter les patients et leur famille dans leur foyer qui symbolise pour moi la proximité de la relation personnelle entre nos patients et nous. Les soins à domicile sont une tâche professionnelle fondamentale des médecins de famille1. Les avantages financiers et pour la santé de garder les patients chez eux sont bien documentés2. Les satisfactions personnelles aident certains médecins à se reconnecter avec les raisons qui les ont au départ motivés à étudier la médecine. L’appréciation qu’ont les patients et leur famille pour de tels soins va habituellement au-delà des mots.
Une large part de ma pratique clinique est consacrée aux soins à domicile à des patients en fin de vie. J’adore mon travail et c’est un privilège de pouvoir offrir ce genre de soins. Je réfléchis souvent à ma résidence, durant laquelle j’ai entrepris une étude sur la « naissance à la maison ». J’ai conclu que ce n’était pas une pratique sécuritaire au Canada, pourtant, j’avais l’intuition profonde que c’était sensé. Maintenant, j’aide les gens avec « la mort à la maison ». La plupart des Canadiens choisiraient d’être à la maison en fin de vie3, mais très peu ont cette chance. Seulement de 10 % à 18 % des Canadiens de plus de 65 ans, selon la province, reçoivent des soins à domicile durant leurs dernières années4.
Malheureusement, de moins en moins de médecins de famille font des visites à domicile ou font la liaison avec des services de soins à domicile dans leur champ de pratique5. Dans l’ensemble, en 2010, 42,4 % des médecins de famille faisaient des visites à domicile par rapport à 48,3 % en 2007. La tendance à la baisse la plus inquiétante se situe chez les plus jeunes médecins. En 2010, seulement 30,8 % des médecins de famille de moins de 35 ans offraient des visites à domicile (32,3 % en 2007). Chez nos résidents de 2e année, seulement 34,1 % avaient l’intention de le faire (43,6 % en 2007) et, plus inquiétant encore, seulement 10 % prévoyaient faire la liaison pour obtenir des services à domicile (40,4 % en 2007).
Que se passe-t-il? La formation concernant les soins à domicile fait partie du cursus en médecine familiale comme le stipulent les Critères pour l’agrément des programmes de résidence6, mais les expériences semblent varier d’un programme à l’autre. En 2010, seulement 66,8 % des résidents ont dit qu’une formation en soins à domicile était accessible et seulement 26 % disaient avoir appris comment assurer la liaison pour obtenir des soins à domicile.
Il y a là une déconnexion qui mérite d’être étudiée. Comme moins de médecins de famille offrent des soins à la maison, moins d’apprenants sont exposés au modèle de rôle, au profil d’habiletés nécessaires et à l’expérience des satisfactions inhérentes à ce genre de pratique. Au pays, les gouvernements provinciaux commencent à demander plus de services à domicile comme solutions de rechange plus rentables et plus sécuritaires que l’hospitalisation ou l’institutionnalisation, surtout que notre population vieillit. Mais qui s’attendent-ils de voir offrir la dimension médicale de ces services à l’avenir? Les professionnels de la santé dans la communauté ont besoin du soutien de médecins pour prendre en charge leurs patients à domicile.
Il est clair que de nos jours, c’est tout un défi pour les médecins de famille d’offrir des soins à domicile. Les pratiques en cabinet qui débordent, les soins à l’hôpital, les services à l’urgence, l’enseignement, les tâches administratives, la météo et, pour certains, de longues distances à parcourir ou encore la circulation engorgée contribuent tous aux obstacles qui expliquent le moins grand nombre de visites à domicile. Dans certaines provinces, les incitatifs financiers sont insuffisants. Les visites à domicile semblent un art en voie de disparition et cela devrait tous nous inquiéter. La situation pose véritablement un problème d’accès aux soins pour de nombreux Canadiens.
La technologie offre-t-elle des solutions? Un dossier médical électronique partagé entre le médecin de famille et l’équipe de soins à domicile peut être un énorme atout. On peut utiliser Skype pour communiquer avec les patients et l’équipe. Les électrocardiogrammes sur téléphones intelligents, et les mesures de la tension et des gaz artériels ainsi que l’auscultation pulmonaire et cardiaque à distance sont tous des possibilités. La technologie sera-t-elle le grand agent égalisateur qui facilitera l’accès aux personnes pauvres, handicapées, âgées et fragiles ou mourantes?
Peut-être, mais la technologie ne pourra jamais remplacer la richesse d’une visite en personne à domicile pour le patient, la famille, le médecin et l’étudiant - pas dans notre spécialité. En tant que discipline, notre responsabilité envers la société est d’offrir un service pour lequel nous sommes parfaitement taillés. À ceux qui pratiquent et enseignent encore cet art, je les prie de continuer. À ceux qui ne le font pas, je vous demande de l’envisager. Les Canadiens le méritent. Nous en sommes valorisés. L’avenir l’exige. Vraiment, il n’y a rien de mieux qu’à la maison.
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