Le doctorat en médecine et la formation postdoctorale sont des programmes exigeants. La plupart des apprenants terminent leur formation sans éprouver de difficultés majeures. Par ailleurs, environ 1 apprenant sur 10 connaîtra des problèmes durant son programme. Au cours des 15 dernières années, on s’est intéressé de plus en plus au «résident en difficulté», notamment dans des publications sur divers sujets: systèmes de classification des difficultés vécues par les apprenants, les cadres d’évaluation et plans d’intervention.
Nous avons récemment publié un livre dans le but de résumer les publications actuelles concernant les apprenants aux prises avec des difficultés. Nous avons présenté les résultats de la recherche documentaire dans 3 chapitres distincts: le premier portait sur les symptômes et les signes indicateurs de problèmes potentiels; le deuxième résumait les ouvrages sur le diagnostic pédagogique et visait à aider les enseignants à élargir leur «diagnostic différentiel» dans diverses situations d’apprentissage problématiques; le troisième passait en revue la prise en charge des situations d’apprentissage difficiles1.
Cet article présente le contenu du quatrième cha pitre, qui intègre les constatations cernées dans les 3 premiers chapitres dans l’intention d’élaborer des outils et des modèles pédagogiques novateurs et structurés pour aider les superviseurs et les enseignants cliniciens dans le diagnostic et la prise en charge des apprenants en difficulté. Nous expliquons dans cette première partie l’étape de la cueillette des données, tandis que, dans la seconde partie, nous discuterons de l’examen objectif des apprenants en difficulté, du diagnostic pédagogique et de la prise en charge des situations d’apprentissage problématiques.
Contexte
Parfois, les apprenants eux-mêmes identifient les problèmes qui surgissent durant leur formation et sollicitent l’aide de leurs cliniciens enseignants ou d’autres services. Par ailleurs, dans la plupart des cas, ce sont les cliniciens enseignants qui constatent un changement par rapport au rendement antérieur ou qui identifient un apprenant dont le rendement est inférieur à celui de ses pairs. Ces «impressions» souvent subjectives exigent une évaluation critique plus approfondie pour mieux cerner le comportement sous-jacent réel en cause dans le but d’élaborer un plan constructif pour aider les apprenants en difficulté.
Dans les ouvrages spécialisés en pédagogie, on propose plusieurs cadres conceptuels qui sont résumés dans notre publication1. Ces cadres commencent par une étape de collecte de données, suivie par celles du diagnostic et de la prise en charge. Cependant, en dépit des nombreux cadres suggérés pour évaluer et prendre en charge les apprenants en difficulté, la majorité d’entre eux n’offrent qu’une assez vague «feuille de route» sans relier l’information à des outils particuliers ou à des modèles de classification exhaustifs des problèmes afin de faciliter le diagnostic et la prise en charge des apprenants en difficulté.
En nous fondant sur une rigoureuse recension des écrits, nous proposons une approche intégrée à l’évaluation, au diagnostic pédagogique et à la prise en charge des situations d’apprentissage problématiques qui s’inspirent des cadres existants, mais auxquels nous ajoutons certains outils d’évaluation spécifiques. Pour bien structurer l’évaluation des apprenants en difficulté, notre approche s’inspire d’une analogie avec le questionnaire médical et l’examen physique.
La Feuille de consultation pédagogique est un outil d’évaluation qui résume cette approche (accessible dans CFPlus†). Elle a pour but d’aider les enseignants à recueillir des renseignements et à faciliter leur analyse lorsque surgissent des situations d’apprentissage difficiles.
Évaluation
Comme l’évaluation clinique, l’évaluation pédagogique doit être ciblée. L’enseignant doit avoir à l’esprit différents diagnostics différentiels précis lorsqu’il questionne et observe l’apprenant. À l’instar du processus de l’évaluation clinique, l’évaluation pédagogique se déroule en fonction des étapes suivantes:
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identification ou situation personnelle
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antécédents de formation
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habitudes de vie
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historique des difficultés actuelles
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revue des systèmes (environnement, enseignant, apprenant)
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examen objectif.
Raison de consultation
Comme dans une consultation médicale, il n’est pas nécessaire de suivre strictement l’ordre des étapes. Elles servent plutôt de guide permettant une approche flexible dans l’évaluation de l’apprenant.
En médecine, ce sont habituellement les patients qui consultent en raison d’un symptôme particulier qu’ils éprouvent et pour lequel ils veulent une évaluation, un diagnostic et un traitement. Il arrive parfois que ce soit le médecin qui leur demande de se présenter au cabinet à la suite d’observations. En éducation médicale, si les apprenants expriment parfois eux-mêmes les raisons d’une consultation, ce sont plus souvent les cliniciens enseignants qui soulèvent les problèmes, après une observation, parce que les apprenants ne perçoivent pas toujours leurs propres lacunes, surtout s’il s’agit de problèmes d’attitude. Trop souvent, les enseignants remarquent qu’un apprenant en particulier éprouve des difficultés, mais ils évitent d’aborder le problème et d’en parler avec l’apprenant dès le début de sa formation, au détriment de ce dernier qui ne se rend souvent pas compte qu’on se préoccupe de son rendement.
Nous avons classé les principales raisons de consultation cernées dans notre recherche documentaire selon les 7 rôles CanMEDS-Médecine familiale et nous les avons résumées dans le Répertoire de symptômes et de signes en éducation médicale, accessibles dans CFPlus†. Cet outil aide les enseignants à identifier les comportements problématiques et leur propose une terminologie pour les décrire et en discuter avec l’apprenant.
Identifiation ou situation personnelle
Les études en médecine, tout particulièrement la résidence, représentent une période de transitions personnelles (déménagement aux fins de formation, éloignement de relations importantes, engagement dans de nouvelles relations, fondement d’une famille, etc.). Des conversations informelles avec les apprenants peuvent permettre aux enseignants de prendre conscience d’éléments importants de la vie privée des apprenants. Les difficultés personnelles, familiales et sociales susceptibles de se répercuter sur la formation font souvent surface avant même de procéder à l’évaluation formelle de l’apprenant. Si l’enseignant adopte une attitude exempte de jugement de valeur, assure la confidentialité et ouvre la porte à la discussion, il découvrira probablement d’autres renseignements pertinents.
Voici des exemples de difficultés pouvant nuire au fonctionnement des apprenants:
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Situations personnelles:
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-problèmes de santé
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-famille (p. ex. grossesse, problèmes conjugaux, décès dans la famille)
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-difficultés financières
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-réseau social (p. ex. isolement [éloignement de la famille et des amis], manque de temps libre pour se détendre ou développer de nouveaux réseaux sociaux, calendrier d’activités sociales chargé)
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-culture (p. ex. appartenance à une minorité, différence culturelle, éléments qui revêtent une importance particulière pour les médecins diplômés à l’étranger)
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Problèmes reliés à la formation:
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-situationnels
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—adaptation au milieu de la formation médicale
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—conditions d’apprentissage sous-optimales (p. ex. nombre d’heures excessif, manque de sommeil, surcharge de travail, lourdes tâches administratives)
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—soutien insuffisant de la part des autres professionnels de la santé
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—contact avec la mort et la souffrance
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—conflits éthiques
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—harcèlement
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-professionnels
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—responsabilité des soins aux patients
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—patients difficiles et problèmes médicaux complexes
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—supervision de résidents et d’étudiants en médecine moins expérimentés
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—surabondance d’information
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—planification de carrière.
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Beaucoup d’enseignants se sentent mal à l’aise d’évaluer ces situations, soit parce qu’ils considèrent que ce n’est pas de leur ressort, soit parce qu’ils sont gênés de s’immiscer dans la vie privée de leurs étudiants. Pourtant, de nombreux éducateurs pensent que, comme l’approche clinique centrée sur le patient améliore les soins, l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage passe par une méthode centrée sur l’apprenant. Toutefois, «autant pour des raisons éthiques que pour les fins de la formation, il est inopportun qu’un membre du corps enseignant développe une relation personnelle ou thérapeutique continue et très intime avec un résident»2. Il importe donc de ne pas devenir le médecin ou le thérapeute de l’apprenant et de faire appel aux professionnels appropriés lorsqu’un problème personnel est identifié.
Antécédents de formation
Connaître les antécédents de difficultés d’apprentissage et le lieu de la formation antérieure (p. ex. dans le cas des médecins diplômés à l’étranger) pourraient permettre de mieux comprendre les problèmes actuels. On peut soupçonner des troubles d’apprentissage chez les apprenants qui éprouvent des problèmes à passer des tests standardisés, qui s’expriment bien verbalement mais comprennent mal les documents écrits, dont le rendement baisse si des limites de temps sont imposées, qui gèrent mal leur temps ou qui ont déjà eu un trouble déficitaire de l’attention3. Les médecins diplômés à l’étranger vivent des circonstances particulières, comme des difficultés linguistiques, une formation médicale et des styles de pratique différents, le genre de situations vécues depuis l’obtention de leur diplôme de médecine ou leur dernière expérience clinique, une étape de la vie différente (p. ex. obligations familiales et financières), des expériences traumatisantes (p. ex. appartenance à une minorité persécutée, statut de réfugié, nouveaux immigrants) et des différences culturelles (p. ex. approches et croyances à propos de la communication, de l’autorité, des rôles assignés à chacun des sexes, des relations interpersonnelles, de même qu’une vision différente du rôle et du statut des médecins)4.
Dans de tels cas, il est essentiel de s’informer du déroulement des stages antérieurs et des expériences d’apprentissage5, soit directement auprès de l’apprenant ou encore d’anciens ou actuels directeurs de programme.
Habitudes de vie
La consommation et l’abus d’alcool et de drogues est un problème reconnu chez les médecins en formation6,7, qu’il ne faut évidemment pas ignorer. Dans l’évolution du problème des apprenants aux prises avec une dépendance, la détérioration du rendement professionnel se manifeste souvent après qu’il ait d’abord affecté la famille et le cercle social8.
Il faut aussi évaluer les habitudes d’étude9. Une discussion à ce sujet avec l’apprenant peut révéler l’origine des déficits de connaissances ou faire mieux comprendre les lacunes dans le raisonnement clinique.
Historique des diffiultés actuelles
Cette section de l’évaluation vise d’abord à valider les raisons de consultation avec l’apprenant, puis cherche à élucider les particularités des difficultés en cause.
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Quels sont les genres de difficultés éprouvées? Qu’est-ce qui tend à améliorer ou à aggraver la situation?
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Quand les difficultés ont-elles commencé et comment ont-elles évolué avec le temps?
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Où les difficultés surgissent-elles? (Milieu, cours, stages)
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Pourquoi ces difficultés se produisent-elles? (Déclencheur)
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Quel est le degré de gravité des difficultés? (Sévérité, répercussions)
Afin d’assurer la meilleure prise en charge possible de la situation problématique, l’approche centrée sur l’apprenant devrait aussi aborder les causes possibles relevées par l’apprenant lui-même, le stress éprouvé en raison des difficultés d’apprentissage, leur impact actuel ou anticipé, de même que les attentes de l’apprenant.
Enfin, il ne faut pas oublier que la discussion des problèmes identifiés avec l’apprenant procure une bonne occasion pour évaluer et accroître ses habiletés en autoévaluation. «Les étudiants en difficulté sont souvent inconscients de leurs problèmes. Or, l’autocritique est considérée essentielle à l’exercice de la médecine»10. Il est plus probable que l’apprenant change son comportement s’il a identifié lui-même le problème et accepte la rétroaction.
Revue des systèmes
Environnement (aussi appelésystème)
L’apprenant devrait être questionné à propos de son environnement de formation, à savoir s’il lui procure une expérience d’apprentissage de grande qualité. L’évaluation des conditions (ou de l’environnement) d’apprentissage est aussi importante et porte sur la charge de travail, le manque de sommeil, les tâches administratives, la gestion de l’information et le soutien accessible. Enfin, il faut aussi encourager une discussion des problèmes liés aux soins aux patients. Les patients et les problèmes difficiles ou complexes, les premiers contacts avec la maladie grave ou la souffrance, les conflits éthiques, la responsabilité des soins aux patients, la supervision d’apprenants moins expérimentés, les risques biologiques de la profession, la crainte de faire des erreurs sont tous des problèmes courants que vivent les étudiants et les résidents et qui peuvent nuire à leur rendement dans les études.
Enseignant
La Feuille de consultation pédagogique donne la liste des caractéristiques11,12 suivantes, jugées essentielles à un enseignement efficace:
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enthousiasme
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modèle de rôle
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bonnes habiletés relationnelles
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bonnes stratégies d’enseignement et de supervision
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organisation et clarté
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connaissances et compétences cliniques.
On encourage de nombreux médecins à agir comme cliniciens enseignants auprès des étudiants en médecine et des résidents, mais il leur manque souvent une formation spécifique et de l’expérience en éducation médicale. Pour cerner les éléments qu’ils pourraient eux-mêmes perfectionner, les superviseurs peuvent demander des commentaires de leurs stagiaires. Par ailleurs, on comprendra que beaucoup d’apprenants hésiteront à exprimer une rétroaction constructive à leurs superviseurs de crainte d’avoir éventuellement des évaluations négatives de la part de ces enseignants. Il est plus efficace d’évaluer cet aspect de l’environnement d’apprentissage en invitant et en encourageant les apprenants à discuter de leurs préoccupations entourant l’enseignement avec leur conseiller pédagogique ou le directeur du programme. Pour ce faire, la direction du programme peut aussi instaurer et coordonner un système d’évaluation périodique des enseignants.
Les problèmes personnels des cliniciens enseignants peuvent sérieusement nuire à la qualité de leur enseignement. Ils devraient donc réfléchir aux problèmes semblables à ceux expliqués ci-dessus et être conscients de la possibilité que leurs difficultés personnelles ou professionnelles puissent nuire à leur disponibilité à l’enseignement ou influencer leur perception du rendement des apprenants.
Apprenant
Des discussions avec l’apprenant, d’autres enseignants et membres du personnel aideront à identifier d’autres difficultés reliées aux compétences prévues dans les rôles CanMEDS-Médecine familiale.
Cet article donnait un aperçu détaillé de la façon d’utiliser la première page de la Feuille de consultation pédagogique pour l’évaluation aux fins de collecte de données. Dans un prochain numéro, nous donnerons un aperçu de la manière de se servir de la deuxième page et nous résumerons les stratégies pour l’examen objectif, le diagnostic pédagogique et la prise en charge.
Notes
CONSEILS POUR L’ENSEIGNEMENT
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Parfois, les apprenants identifient eux-mêmes les problèmes qu’ils éprouvent durant leurs études de médecine et cherchent de l’aide auprès de leurs enseignants cliniciens ou d’autres services. Par ailleurs, dans la plupart des cas, ce sont les précepteurs cliniques qui se rendent compte de ces problèmes.
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Se fondant sur une analogie avec le questionnaire médical et l’examen physique, cette approche intégrée donne une structure à l’évaluation, au diagnostic pédagogique et à la prise en charge des situations d’apprentissage difficiles. Des outils d’évaluation spécifiques, comme la Feuille de consultation pédagogique et le Répertoire de symptômes et de signes en éducation médicale, peuvent faciliter le diagnostic et la prise en charge des apprenants en difficulté.
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De nombreux professeurs ne se sentent pas à l’aise d’évaluer les problèmes pouvant influencer le fonctionnement de l’apprenant. Ils croient peut-être que ce n’est pas de leur ressort en tant qu’enseignants ou ils se sentent gênés de s’immiscer dans la vie privée de leurs étudiants. Par contre, comme la méthode clinique centrée sur le patient améliore les soins, de nombreux professeurs croient que l’adoption d’une méthode centrée sur l’apprenant améliorera l’enseignement et l’apprentissage.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada. La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en insistant sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Allyn Walsh, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement à walsha{at}mcmaster.ca.
Footnotes
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* Cet article est une adaptation de Diagnostic et prise en charge des situations d’apprentissage problématiques en éducation médicale1 avec l’autorisation de l’Université Laval.
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† La Feuille de consultation pédagogique et le Répertoire de symptômes et de signes en éducation médicale sont accessibles à www.cfp.ca. Allez au texte intégral de cet article en ligne, puis cliquez sur CFPlus dans le menu situé dans le coin supérieur droit de la page.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the April 2012 issue on page 481.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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