Mme E.B., une femme de 54 ans, souffre d’un cancer des ovaires depuis un an. On lui a diagnostiqué une récurrence abdominopelvienne il y a 6 mois, compliquée par une fistule rectovaginale et des attaques d’obstruction intestinale. Elle souffrait de fatigue et d’anorexie et avait aussi des douleurs périnéales en raison de l’excoriation due à l’incontinence fécale par la fistule. On a admis Mme E.B. à l’unité des soins palliatifs d’un petit hôpital communautaire où ses problèmes ont été réglés avec succès au moyen d’une combinaison de médicaments en plus de l’octréotide de base. Elle se portait assez bien jusqu’à il y a un mois environ, lorsqu’elle a commencé à avoir des vomissements. Sur une période de 2 jours, les épisodes de vomissements sont devenus plus fréquents, surtout après les repas.
Les obstructions gastro-intestinales sont relativement rares chez les patients en soins palliatifs, ayant une incidence d’environ 3 % à 5 %. La durée moyenne de survie prévue chez les patients ayant une obstruction maligne de l’intestin varie de 1 à 3 mois, à moins que la chimiothérapie soit une option, ce qui pourrait prolonger la survie de 1 à 2 ans1,2. Ces obstructions peuvent se produire n’importe où le long du tube digestif, de l’œsophage jusqu’au rectum, mais elles se trouvent le plus fréquemment dans l’intestin grêle. Les obstructions intestinales sont plus fréquentes chez les patients atteints d’un cancer du côlon (4 % à 24 % des patients) et de cancers gynécologiques (5 % à 42 % des patientes), quoique les mélanomes et les cancers du poumon, du sein, des voies biliaires et du pancréas puissent aussi être des sources d’obstructions3. Entre 10 % et 48 % des obstructions intestinales chez les patients atteints de cancer sont dus à des causes bénignes, comme des adhérences (après la chirurgie), une fibrose causée une entérite radique ou une chimiothérapie intra-abdominale, un volvulus ou une invagination4. Les causes malignes sont secondaires à des tumeurs intraluminales, intramurales ou extrinsèques provoquant une occlusion de la lumière intestinale. Il peut aussi s’agir d’obstructions fonctionnelles, dans lesquelles le plexus mésentérique, cœliaque ou entérique peut être infiltré par des tumeurs, causant un mauvais fonctionnement du péristaltisme de l’intestin5. La neuropathie diabétique, la constipation et des médicaments comme les opioïdes et les anticholinergiques peuvent aussi contribuer à une obstruction intestinale, mécanique ou fonctionnelle, en ralentissant le transit intestinal ou en bloquant davantage une sténose.
Pathophysiologie
La pathophysiologie des obstructions implique un cycle vicieux de distension due aux gaz et aux sécrétions non absorbées, suivie de sécrétions plus fluides, causant une distension plus grande dans l’intestin. Autrement dit, la muqueuse intestinale, endommagée par l’état de distension hypertensive, produit encore plus de sécrétions en raison d’une réaction inflammatoire et libère un polypeptide intestinal vasoactif6. Ce cycle a pour effet un ballonnement, de la douleur, des crampes, de la nausée et des vomissements. Les symptômes varient en gravité et en rapidité d’apparition, selon le niveau où se situe l’obstruction6. Par exemple, dans une obstruction du défilé gastrique, il y a très tôt de la nausée et des vomissements sévères. Dans une obstruction de l’intestin grêle, il y a des crampes prononcées, ainsi que de la nausée et des vomissements. Lors d’une obstruction du gros intestin, les symptômes apparaissent plus tard dans l’évolution de l’obstruction, caractérisés par une distension considérable et une diarrhée paradoxale occasionnelle en raison de la prolifération bactérienne. Il peut y avoir 2 genres de douleurs, une douleur continue provenant de la distension et de la tumeur elle-même ou une douleur sous forme de crampes, qui peut être épisodique et se produire surtout après les repas. Les vomissures peuvent être féculentes dans le cas d’une obstruction du gros intestin, tandis qu’elles sont biliaires dans les obstructions de l’intestin grêle et du défilé gastrique. Dans une obstruction complète, il n’y a pas de flatulences ni de selles.
Évaluation et prise en charge
Les obstructions intestinales sont rarement des cas d’urgence et les patients peuvent bénéficier d’une évaluation de leurs circonstances particulières par des équipes multidisciplinaires de médecins. La prise en charge initiale des patients présentant une obstruction intestinale comprend une évaluation de l’état général, y compris du stade de la trajectoire de la maladie et de leurs objectifs de soins. Dès le départ, il faut prendre en considération la douleur, la nausée, les vomissements et l’état liquidien. Dans de nombreux cas, il faut une hydratation par intraveineuse, une correction des anomalies dans les électrolytes, ainsi que l’insertion d’une sonde nasogastrique (NG) pour la décompression et le soulagement de la nausée et des vomissements ou, à tout le moins, ne rien donner au patient par la bouche. Une analyse sanguine peut être utile tant pour l’évaluation de l’hydratation et de l’état des électrolytes que pour le pronostic (albumine, enzyme hépatique, lacticodéshydrogénase, taux de protéine C-réactive et formule sanguine complète). Une série de radiographies abdominales pour évaluer la distension intestinale et les niveaux d’air-liquide pourrait aider à discerner si le patient a une obstruction plutôt qu’une constipation, quoique 75 % des films ordinaires ne permettent pas le diagnostic5. La Gastrografine (amidotrizoate), un médium de contraste osmotique, peut être utile dans les radiographies de l’intestin grêle et pourrait jouer un rôle dans le déblocage d’une obstruction partielle7,8. Le baryum ne devrait pas être utilisé. La tomographie assistée par ordinateur est la meilleure investigation radiologique pour déterminer s’il y a véritablement une obstruction et, dans l’affirmative, son degré, le nombre de sites et si la cause est bénigne ou maligne9.Il faut expliquer au patient et aux membres de sa famille le diagnostic, les résultats prévus et les différentes options thérapeutiques accessibles, y compris les complications habituelles, et en discuter dans le contexte des préférences en matière du niveau de soins.
Traitement
Les options thérapeutiques dépendent du type d’obstruction, de l’urgence du problème (p. ex. si elle se complique d’une péritonite), du pronostic et des préférences du patient. Même des patients en soins palliatifs peuvent bénéficier d’une chirurgie, s’ils sont en bonne condition physique, s’il n’y a qu’un site d’obstruction, et s’il n’y a pas de règlement de l’obstruction intestinale après 48 à 72 heures de prise en charge conservatrice (voir la section sur la prise en charge médicale ci-dessous). C’est spécialement vrai dans les cas de causes bénignes d’obstruction, car les résultats sont beaucoup plus favorables (voir les Encadrés 1 et 2 pour connaître les contre-indications et les complications de la chirurgie)1,3–5,8,10.
Si le patient n’est pas un bon candidat pour une chirurgie ou la refuse, un stent inséré par voie endoscopique dans les obstructions proximales du petit ou du gros intestin peut pallier assez efficacement les symptômes du patient (voir l’Encadré 3 pour les contre-indications à un stent6 et le Tableau 1 pour les complications des stents9,11–13). Lorsque la chirurgie ou un stent ne convient pas à la situation du patient, la prise en charge médicale devient alors la forme principale des soins, le but étant de soulager les symptômes à un degré acceptable et parfois, de débloquer une occlusion partielle.
Contre-indications d’une chirurgie
Contre-indications absolues
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Contre-indications relatives
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Données tirées de Kolomainen et Barton1, Soriano et Davis5 et Roeland et von Gunten8
Complications* de la chirurgie
Infection de la plaie |
Déhiscence de la plaie ou de l’anastomose |
Abcès péritonéal |
Sepsie |
Fistule entérocutanée |
Hémorragie gastro-intestinale |
Iléus |
Récurrence de l’obstruction |
Fibrillation auriculaire ou infarctus du myocarde |
Pneumonie |
Thrombose de la veine profonde ou embolie pulmonaire |
* On a signalé une fréquence de mortalité allant de 12 % à 40 %4. On a rapporté une fréquence des complications variant de 45 % à 50 %10 et de 9 % à 90 %3.
Données tirées de Hanks et collab.3, Downing et Wainwright4 et Foo et collab.10
Contre-indications à un stent
État fonctionnel médiocre |
Pronostic défavorable (< 30 j) |
Perforation avec péritonite |
Sténose du tiers inférieur du rectum (peut causer un ténesme, de l’incontinence et un risque de migration du stent) |
Sites multiples de sténose |
Carcinomatose péritonéale |
Données tirées de Ripamonti et collab.6
Traitement médical
Le traitement médical a pour but de soulager la douleur, la nausée et les vomissements après un examen de la pathophysiologie de ces symptômes (Tableau 2)3–5,7,14. On soulage le mieux la douleur causée par des tumeurs au moyen d’opioïdes puissants par voie sous-cutanée (SC) ou transdermique pour assurer une absorption appropriée que la voie orale ne peut pas fournir. La douleur sous forme de crampes, si elle est présente, peut être traitée par des anticholinergiques, comme le butylbromure de hyoscine par voie SC ou la scopolamine administrée SC ou par timbre transdermique, tout en évitant les médicaments procinétiques, comme le métoclopramide. La nausée est soulagée par l’administration périodique d’antiémétiques, l’halopéridol étant le médicament le plus communément utilisé. La nausée peut aussi répondre à une hydratation parentérale de plus de 500 ml par 24 heures, par voie intraveineuse ou SC, mais il faut procéder avec prudence de manière à ne pas augmenter le troisième espace et la distension abdominale5. On peut soulager le mieux la soif par de bons soins buccaux15. Des médicaments contre les sécrétions comme l’ocréotide et la dexaméthasone (par leurs effets anti-inflammatoires) aident aussi à soulager la nausée et les vomissements.
L’octréotide est un analogue de la somatostatine qui inhibe l’activité du polypeptide intestinal vasoactif dans l’intestin, réduisant ainsi les sucs gastriques et pancréatiques, ainsi que l’excrétion d’eau et d’électrolytes dans la lumière3,16. Il réduit aussi le flux sanguin splanchnique, diminuant indirectement l’œdème de la paroi intestinale, le péristaltisme (et les crampes abdominales secondaires) et l’excrétion de bile. Il a été démontré que l’ocréotide réduit les symptômes de l’obstruction intestinale, éliminant parfois la nécessité d’une chirurgie ou en améliorant les résultats de la chirurgie en minimisant les dommages à la paroi intestinale, comme la nécrose. On peut même voir chez des patients en soins palliatifs une inversion du processus sous-occlusif 7,16,17.
La dexaméthasone n’est pas utilisée systématiquement; cependant, elle ajoute de la valeur par son effet anti-inflammatoire en réduisant l’œdème de la paroi intestinale, en soulageant par le fait même une certaine partie de la sténose et en diminuant l’excrétion d’eau dans la lumière7,18. Ces 2 actions peuvent influencer le degré de douleurs. Elle a aussi un effet central antiémétique.
Les obstructions fonctionnelles et partielles exigent un régime semblable d’opioïdes, d’antiémétiques et de stéroïdes, en plus du métoclopramide, un agent procinétique de l’estomac et de l’intestin grêle. Par ailleurs, il faut arrêter immédiatement le métoclopramide s’il cause une augmentation des vomissements ou des crampes abdominales.
Selon mon expérience, lorsque des doses divisées des divers médicaments utilisés pour soulager l’obstruction intestinale ne semblent pas aider, une perfusion continue des mêmes médicaments pourrait être plus efficace. Il existe des tableaux sur la compatibilité des médicaments qui peuvent aider à déterminer ceux qu’on peut ajouter en toute sécurité à la combinaison3.
Si le traitement médical maximal ne réussit pas à soulager les symptômes de l’obstruction, on peut envisager l’insertion d’une sonde par gastrotomie percutanée (Encadrés 4 et 5)3,5,8,19. Cette intervention évite ainsi le recours prolongé à une sonde NG, décomprime les intestins et soulage la nausée et les vomissements. Les patients peuvent même avoir le plaisir de manger et de boire, en vidant ensuite le bolus gastrique par la sonde de la gastrotomie percutanée. La sédation palliative est le dernier recours pour les patients ayant des symptômes intraitables et qui en sont à leurs derniers jours.
Contre-indications à une gastrotomie percutanée
Contre-indications absolues
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Contre-indications relatives
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Données tirées de Hanks et collab.3, Soriano et Davis5 et Roeland et von Gunten8
Complications* d’une gastrotomie percutanée
Bémorragie dans le péristome ou la paroi gastrique; ou érosion ou ulcération rétropéritonéale ou gastrique |
Perforation ou péritonite |
Fistule |
Migration du cathéter (peut causer une obstruction du défilé gastrique, une pancréatite ou une cholangite) |
Obstruction ou tortillement du cathéter |
Fuite du contenu gastrique sur la peau |
* On a signalé une fréquence des complications de 1 % à 17 %.
Données tirées de Soriano et Davis5 et de Mori et collab.19
On réexamine l’état général de Mme E.B. à l’unité des soins palliatifs. Elle est principalement confinée au lit et de nouvelles masses sont maintenant palpables à l’abdomen inférieur. Une radiographie de l’abdomen a révélé des niveaux d’air-liquide, mais aucune distension intestinale, un signe qu’elle pourrait avoir eu des niveaux multiples d’obstruction. Un plan thérapeutique conservateur est jugé la meilleure option. On a augmenté la dose d’octréotide à 150 μg 4 fois par jour alors qu’elle était auparavant de 100 μg 3 fois par jour. On a commencé à lui administrer de la dexaméthasone à raison de 8 mg 2 fois par jour, ainsi que du métoclopramide à des doses progressivement plus élevées. On a temporairement suspendu l’administration de tous les médicaments par voie orale. Elle n’avait pas besoin d’une sonde NG. La nausée et les vomissements ont cessé le lendemain. Elle a pu recommencer à prendre une diète liquide, puis revenir à son alimentation normale. Elle a vécu un autre mois, assez confortablement, sans récurrence d’occlusion.
Notes
POINTS SAILLANTS
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Il faut évaluer chez les patients qui ont une obstruction intestinale la trajectoire de leur maladie et les objectifs des soins lorsque la décision est prise de prendre en charge leurs symptômes de manière vigoureuse ou non.
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On peut soulager la douleur, la nausée et les vomissements par voie parentérale, sublinguale ou transdermique.
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On peut rendre les patients (et leur famille) confortables en utilisant des médicaments et en fournissant un bon soutien psychosocial.
Dossiers en soins palliatifs est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et rédigée par les membres du Comité des soins palliatifs du Collège des médecins de famille du Canada. Ces articles explorent des situations courantes vécues par des médecins de famille qui offrent des soins palliatifs dans le contexte de leur pratique en soins primaires. N’hésitez pas à nous suggérer des idées de futurs articles à palliative_care{at}cfpc.ca.
Footnotes
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the June 2012 issue on page 648.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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