Le médecin de l’avenir ne donnera pas de médicaments mais intéressera ses patients aux soins du corps humain, aux causes et à la prévention des maladies.
Thomas Edison (traduction libre)
J’évaluais une femme de 70 ans dont l’enflure aux jambes et l’essoufflement s’étaient accentués dernièrement. J’ai été frappée d’entendre qu’elle n’avait pas eu les jambes aussi enflées depuis qu’elle avait souffert de toxémie lors de sa première grossesse, il y avait 45 ans. Elle n’était certainement pas enceinte aujourd’hui! Je savais bien que j’ignorais tout de ses antécédents de prééclampsie ou de diabète gestationnel (DG). À l’âge de 50 ans, elle avait un diabète préexistant et de l’hypertension lorsque nous nous sommes rencontrées la première fois, après son premier infarctus du myocarde. Je me suis demandé: «Si j’avais connu alors ses risques cardiovasculaires plus élevés associés au DG, à la prééclampsie et à l’éclampsie, son état de santé serait-il différent maintenant?»
Les médecins de soins primaires ont la tâche difficile de cerner les facteurs de risque modifiables de maladies cardiovasculaires et d’aider leurs patients à réussir à modifier ces facteurs dans le but de réduire les risques futurs de maladies cardiovasculaires. L’étude épidémiologique INTERHEART1 a identifié les facteurs de risque communs qui augmentent les possibilités d’infarctus du myocarde, notamment l’hypertension, l’hypercholestérolémie, le diabète, l’obésité abdominale, la mauvaise alimentation, le tabagisme et le manque d’activité physique. Les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de mortalité chez les femmes des pays développés, et les avantages de la prévention dans cette population ne peuvent pas être sous-estimés. Les coûts associés aux maladies cardiovasculaires sont effarants dans un système de santé qui se débat pour restreindre les dépenses.
Le nombre de médecins de famille qui dispensent des soins prénatals, périnatals et postpartum a malheureusement fléchi constamment depuis 2000. Les obstétriciens et les sages-femmes procèdent à la plupart des accouchements2. Les femmes reçoivent certainement d’excellents soins prénatals et périnatals de leurs professionnels des soins obstétriques, mais leurs antécédents de grossesse peuvent ne pas être aisément ou rapidement accessibles à leurs médecins de soins primaires. Le diabète de la grossesse, l’hypertension gestationnelle, l’obésité et le gain de poids excessif de la mère sont à la hausse, de même que l’âge maternel, ce qui augmente encore davantage la probabilité de morbidités concomitantes. La notion d’intervention précoce pour prévenir ou modifier ces maladies est intéressante, étant donné que les maladies cardiovasculaires sont les causes principales de décès tant chez les femmes que chez les hommes en Amérique du Nord. Les stratégies conçues pour réduire les risques à long terme conviennent idéalement aux soins primaires. Elles revêtent d’autant plus d’importance compte tenu de ce que nous savons maintenant sur les risques intergénérationnels associés au gain de poids excessif de la mère, au DG, à la prééclampsie et à l’obésité. La santé des générations futures est aussi à risque.
Le diabète gestationnel
Le diabète gestationnel, une intolérance au glucose initialement diagnostiquée durant la grossesse, a connu une hausse substantielle au fil des ans. Le diagnostic de DG est associé à un risque accru de développer un diabète de type 2, une hyperinsulinémie, de l’hypertension et une dyslipidémie. Un diagnostic antérieur de DG est relié non seulement à un diagnostic subséquent de diabète de type 2, mais aussi à des risques cardiovasculaires accrus sans même un diagnostic simultané de diabète de type 23,4. Des études cliniques randomisées ont démontré des bienfaits soutenus d’interventions entourant le mode de vie pour prévenir le diabète de type 2 dans certains groupes d’adultes d’âge moyen5,6. Nous savons des ouvrages scientifiques américains que les médecins ne sont peut-être pas au courant des lignes directrices du American Congress of Obstetricians and Gynecologists sur la sécurité de l’activité physique durant la grossesse à faible risque et, même s’ils les connaissent, ils ne conseillent pas les femmes à propos des bienfaits de l’exercice et ne les aident pas à se conformer à ces recommandations7,8. Il existe de bonnes données probantes confirmant que le contrôle de la glycémie dans les cas de DG est amélioré grâce à un régime alimentaire approprié et à du counseling sur l’activité physique durant la grossesse9.
Une des limites soulevées dans la recherche à propos du DG se situe dans le fait que les interventions sont souvent effectuées tard dans la grossesse, après des résultats positifs de dépistage entre 24 et 28 semaines. Si nous examinons les patientes dont la grossesse a été compliquée par un DG, les ouvrages scientifiques font valoir qu’un faible nombre de femmes passent une épreuve d’hyperglycémie provoquée par voie orale (EHVO) de 75 g de 6 semaines à 6 mois après l’accouchement9. Cette analyse est souvent organisée par l’intermédiaire de cliniques d’endocrinologie, et les médecins de soins primaires pourraient ne pas être informés du diagnostic de DG durant la grossesse ou savoir si la patiente a ou non subi l’épreuve. Les femmes qui ont un DG ont aussi des taux plus élevés de troubles de l’hypertension durant la grossesse10. Ces femmes atteintes de DG ont aussi un risque de 10 % à 20 % de développer un diabète de type 2 au cours des 10 années subséquentes. Leurs enfants sont potentiellement à risque plus élevé d’obésité infantile et de ses conséquences11. Dans une étude randomisée contrôlée par rappel postal à Ottawa, en Ontario, on avertissait les médecins de soins primaires et les patientes du diagnostic de DG et de la nécessité de subir une EHVO de 75 g et on a constaté une amélioration considérable dans le taux de femmes ayant passé l’EHVO (P < .05), mettant ainsi en évidence les effets positifs de l’éducation12. Les femmes ne se rendent souvent pas compte qu’elles courent un risque accru de diabète, et ce, malgré leur diagnostic de DG et leurs interactions fréquentes avec l’équipe de soins de santé13. Par conséquent, elles ne divulguent pas nécessairement ce renseignement à leurs médecins de soins primaires. Cette information est pourtant pertinente pour les grossesses futures et pour la santé à long terme du métabolisme de la femme.
Obésité et grossesse
L’obésité est en hausse au Canada, notamment la proportion de femmes obèses et ayant un surpoids est passée de 34 % en 1978 à 40 % en 1992 et à 53 % en 200414. À l’heure actuelle, près de la moitié des femmes en âge de procréer sont obèses ou ont un excès de poids15. Cette réalité est associée à des taux accrus de DG, de diabète de type 2, de prééclampsie et d’éclampsie, de maladies thromboemboliques et d’anomalies congénitales. Les taux d’allaitement maternel sont aussi à la baisse dans cette population, ce qui complique encore davantage les risques pour les générations futures. Les proportions de complications de l’accouchement, comme la dystocie des épaules et la césarienne, ont aussi augmenté. Des études de recherche au Royaume-Uni qui examinaient la mortalité maternelle ont fait valoir que l’obésité était une complication dans un pourcentage substantiel de ces cas16.
Les femmes qui ont un indice de masse corporelle normal avant la grossesse doivent aussi porter attention aux nouvelles recommandations concernant le gain de poids. Les femmes qui excèdent les nouvelles lignes directrices du Institute of Medicine portant sur le gain de poids durant la grossesse sont à risque de complications pour elles-mêmes et leur enfant à naître17. Il y a lieu de soulever ce facteur de risque évitable et modifiable avec chaque femme enceinte, et tous les efforts possibles doivent être déployés pour les aider à se conformer à ces objectifs. C’est là où l’accès à une équipe interdisciplinaire aiderait grandement à la fois les femmes et leurs dispensateurs de soins obstétriques, étant donné la possibilité d’influer considérablement sur l’issue de futures grossesses et la santé à long terme tant de la mère que de l’enfant.
Troubles de l’hypertension et grossesse
Les troubles de l’hypertension compliquent jusqu’à 10 % des grossesses et sont la deuxième plus importante cause de mortalité maternelle dans les pays développés. Nous savons maintenant que la prééclampsie et l’éclampsie permettent d’identifier les femmes et les enfants à risque de futures maladies vasculaires, y compris l’hypertension, la coronaropathie, l’AVC, les troubles vasculaires périphériques, le diabète et la néphropathie18,19. Ce risque est particulièrement important chez les femmes dont la prééclampsie ou l’éclampsie est apparue de manière précoce (avant 34 semaines). L’American Heart Association a mis à jour ses lignes directrices pour la prévention des maladies cardiovasculaires en janvier 2011 pour reconnaître la prééclampsie et d’autres complications de la grossesse comme étant des facteurs de risque.
Il ne faudrait pas ignorer ou sous-estimer durant la grossesse ces indices permettant de prévoir la santé cardiovasculaire future des femmes, car ils offrent des possibilités de prévention de telles maladies. Il est essentiel que les médecins posent des questions concernant les antécédents de grossesse afin d’identifier sans délais les risques accrus pour la santé lors des futures grossesses et pour la santé cardiovasculaire des femmes et des enfants à l’avenir.
Conclusion
Nous avons été témoins de nombreux changements avec la réforme des soins primaires au Canada, notamment des soins dispensés de plus en plus souvent par des équipes. Il a déjà été démontré que la prise en charge complète et globale et les modèles de soins interdisciplinaires sont efficaces dans la gestion des maladies chroniques. Les spécialistes des soins primaires et les décideurs doivent examiner les modèles de soins qui identifient les marqueurs de maladies futures et responsabiliser les femmes afin qu’elles apportent des changements pour leur propre santé à long terme et celle de leurs enfants. Il nous incombe d’étudier les modèles actuels de soins et de préconiser un meilleur accès aux programmes de prévention qui ciblent les besoins et les obstacles particuliers des femmes durant la grossesse et après l’accouchement dans nos communautés.
Il ne faut pas négliger la capacité de cerner et de modifier le risque non pas chez une, mais chez 2 générations.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré.
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Références
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