La violence conjugale est un enjeu de santé mondial qui crée de sérieux problèmes de santé et a des répercussions émotionnelles, psychologiques et physiques à long terme sur les victimes et les familles1,2. La violence conjugale, aussi connue sous le nom de violence du partenaire intime (VPI), est définie par l’Organisation mondiale de la Santé comme un acte de violence physique, sexuelle ou émotionnelle par un partenaire actuel ou antérieur, qu’il cohabite ou non avec la personne3. La violence conjugale est un problème universel, mal identifié, mal reconnu et mal géré3–7. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, la violence conjugale a atteint des proportions épidémiques dans plusieurs sociétés, notamment de 15 % à 71 % de femmes dans divers pays qui vivent des violences physiques ou sexuelles ou les 2 à un certain moment de leur vie8,9. Les professionnels de la santé perçoivent des difficultés dans la prise en charge de victimes de violence en raison de divers facteurs, y compris les contraintes de temps, le manque de formation et l’accès limité à des ressources spécialisées en violence conjugale5,6,10.
Durant la dernière décennie, on a vu certains progrès dans la mise en œuvre de programmes de formation en violence conjugale à l’intention des médecins et d’autres professionnels de la santé, dans le but d’améliorer leurs capacités de prendre en charge les victimes de violence11. Par ailleurs, il persiste une controverse internationale importante entourant le dépistage systématique de la violence conjugale chez les femmes, surtout lorsque les ressources sont limitées. Alors que les récentes lignes directrices du Preventive Services Task Force des États-Unis12 recommandent de dépister chez les femmes asymptomatiques en âge de procréer des signes de violence conjugale et de référer celles qui ont besoin de traitement aux organismes appropriés, le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs n’a pas trouvé de données suffisantes en faveur ou contre le dépistage systématique de la violence conjugale chez les femmes13. Quoiqu’il en soit, la recherche démontre que les médecins éprouvent de la difficulté à mettre en œuvre des mesures de prévention de la violence conjugale en raison d’une formation inadéquate du personnel multidisciplinaire, ainsi que du manque de temps, d’expérience, de connaissance des ressources communautaires et de disponibilité d’interventions efficaces pour soutenir les femmes et les protéger contre d’autres violences futures14–16. Selon la recherche sur l’efficacité de l’éducation concernant la violence conjugale durant des activités de formation postdoctorale ou de formation médicale continue (FMC), de telles activités améliorent les connaissances et les attitudes des médecins à propos de la violence conjugale, mais il n’est pas certain si de telles activités influencent les résultats chez les patientes11,17,18.
Cette révision systématique a pour but de décrire et d’évaluer les effets des interventions éducatives en matière de violence conjugale auprès des médecins. L’approche standard, soit la méthode PICO (population, intervention, comparaison et résultat [outcome]), a servi à déterminer l’angle et la portée de la révision, la population visée et les principales questions17–21. La population cible inclut des médecins en formation postdoctorale et des médecins en pratique active de toutes les spécialités qui ont reçu une FMC ou du développement professionnel continu sur l’identification et la prise en charge de la violence conjugale. L’intervention désigne tout programme éducatif qui consiste à former les médecins sur la VPI ou la violence conjugale par rapport à l’absence d’intervention. La mesure des résultats porte sur la satisfaction des apprenants, les changements dans les connaissances ou les attitudes, les changements de comportements et les effets sur les patientes (p. ex. un plus grand nombre de cas de violence conjugale identifiés et référés à des programmes d’intervention).
SOURCES DES DONNÉES
En collaboration avec une bibliothécaire de recherche, on a fait une recension dans les bases de données électroniques et la littérature grise. La première recherche a été effectuée à l’aide des bases de données suivantes: base de données Cochrane des révisions systématiques, MEDLINE, PubMed, PsycINFO, ERIC et EMBASE. La recension visait à cerner des articles publiés entre le 1e janvier 2000 et le 1e novembre 2012. Les termes de recherche pour les bases de données électroniques incluaient la nomenclature MeSH, le vocabulaire contrôlé, des mots en texte libre, des mots et des expressions clés comme les suivantes: physicians, doctors, residents, continuing medical education, postgraduate, educational programs, intimate partner violence, domestic abuse, domestic violence, physical, sexual, psychological, violence, abuse, spouse abuse et partner abuse.
Sélection des études
Pour être incluses, les études devaient répondre aux critères suivants (Tableau 1): elles devaient avoir été publiées en anglais; elle devaient avoir été publiées au cours des 12 années précédentes pour mettre à jour la révision effectuée par Davidson et collègues en 200122; la population visée devait inclure des médecins de n’importe quelle spécialité; la conception des études devait être des essais randomisés contrôlés (ERC); et les interventions devaient avoir pour but d’influencer la pratique professionnelle à l’un des niveaux du modèle de Kirkpatrick pour évaluer l’efficacité de la formation23. En ce qui a trait au dernier critère, les points d’influence du modèle peuvent inclure la satisfaction ou la réaction des apprenants; les connaissances ou les issues de l’apprentissage; le rendement ou le comportement; les issues pour les patientes ou les résultats pour les consommateurs23.
La recherche initiale a produit 350 articles. Les titres et les résumés ont été examinés pour en déterminer la pertinence et les études en entier ont été passées en revue si les résumés n’étaient pas clairs. Au total, 25 articles ont été identifiés comme potentiellement admissibles à l’inclusion (Figure 1). Lorsque les résultats ont été combinés, 11 articles étaient en double et 3 ont été exclus parce qu’ils ne répondaient pas aux critères d’inclusion. On a ainsi identifié 7 études comme étant admissibles. Les références et les citations des articles retenus ont fait l’objet d’une recherche manuelle et 2 ERC additionnels ont été cernés pour un total de 9 aux fins de la présente révision. Des méthodes descriptives ont été utilisées pour résumer les résultats en raison de l’hétérogénéité des études retenues sur les plans de la qualité de l’étude, du milieu, de la population visée, de l’intervention éducative et des résultats évalués.
Évaluation de la validité
Trois réviseurs (E.Z., K.K., S.R.) ont évalué indépendamment la qualité des études incluses à l’aide des critères suivants énoncés dans le Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions: partialité dans la sélection, partialité dans le rendement, partialité dans la détection, partialité dans l’attrition et partialité dans le signalement24. Les désaccords entre les 2 premiers réviseurs (E.Z., K.K.) ont été réglés en consultation avec la troisième réviseure (S.R.). On a attribué à chaque étude une cote de 1 à 3 selon le Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions24: faible risque de partialité (A), risque modéré de partialité (B) ou risque élevé de partialité (C).
Risque de partialité
Parmi les 9 études, 2 ont reçu une cote A, grande qualité et faible risque de partialité25,26; 2 ont été cotées B, qualité modérée et risque modéré de partialité27,28 et les autres ont reçu une cote C, faible qualité et risque élevé de partialité29–33. Une dissimulation et la protection contre la contamination ont été faites dans 3 études25,26,28. Une évaluation en aveugle des résultats primaires a été réalisée dans 3 études 25,27,28. Des mesures fiables des résultats primaires et secondaires ont été utilisées dans toutes les études25–33.
SYNTHÈSE
Parmi les 9 études incluses dans cette révision (Tableau 2)25–33, 3 visaient des stagiaires au niveau postdoctoral27,29,31. Des ateliers et de brèves séances de séminaires où on utilisait des enregistrements vidéo et des jeux de rôles ont grandement amélioré les connaissances à propos de la violence conjugale, mais n’ont pas entraîné de changements dans le comportement ou les attitudes des médecins résidents envers la violence conjugale27,31. On a constaté que l’ajout à l’atelier de formation sur la VPI d’une expérience dans un refuge (dans laquelle les résidents assistaient à une réunion hebdomadaire de survivantes de VPI) avait eu un modeste effet sur le gain de connaissances (P = ,04) au sujet de la VPI par rapport à l’approche didactique31. Le recours à des patientes standardisées n’a pas permis l’identification correcte des cas de VPI par les résidents dans le groupe d’intervention, mais s’est traduit par des scores plus élevés sur une liste de vérification de la compétence (P = ,036) et dans la maîtrise du counseling concernant les plans de sécurité (P = ,04)29.
Six études portaient sur des médecins en pratique active25,26,28,30,32,33. Dans 3 études, les médecins et d’autres professionnels de la santé recevaient de la formation, en plus de mesures de soutien du système, dans le but d’améliorer le dépistage de la VPI et sa prise en charge25,28,32. Ces activités de soutien du système tentaient d’accroître la sensibilisation générale à la violence conjugale au moyen d’affiches et de brochures sur la violence conjugale dans les salles d’attente, ainsi que la fourniture de moyens auxiliaires comme des aide-mémoire pour les professionnels de la santé, des listes de vérification dans les dossiers médicaux pour le diagnostic des cas de violence conjugale et de l’information sur l’accès à des services et la demande de consultation pour la prise en charge des patientes. Il s’est produit des améliorations substantielles et soutenues dans les connaissances et les attitudes du personnel à propos de la violence conjugale, ainsi que dans les pratiques signalées par les intéressés après l’apprentissage appuyé par le système28,32. Les résultats pour les patientes se sont améliorés dans les 3 études25,28,32. Dans l’étude par Feder et ses collaborateurs25, la formation des cliniciens de soins primaires et le soutien du système ont résulté en une identification accrue des victimes de violence conjugale et une augmentation du nombre de références à des organismes spécialisés en violence conjugale et à des programmes de défense des intérêts des victimes. Cette amélioration était toujours présente lors d’une évaluation 12 mois après la deuxième séance de formation (rapport de taux d’intervention ajusté 22:1). Les rapports de divulgation de la violence conjugale dans les dossiers médicaux électroniques de la pratique générale ont augmenté considérablement dans les pratiques de l’intervention (n = 641) par rapport aux pratiques témoins (n = 236) (rapport de taux d’intervention ajusté 3:1)25. Le taux de questionnement à propos de la violence conjugale a aussi augmenté de 14,3 % dans une étude28. Dans une autre étude, la mise en œuvre d’une approche de soutien par le système ne s’est pas traduite par une augmentation statistiquement significative dans les taux d’identification des victimes de violence conjugale (P = ,52), mais la satisfaction des patientes était plus élevée (P < ,001) après l’intervention.32
Une FMC en ligne au sujet de la violence conjugale, dans laquelle on utilisait l’apprentissage par problèmes, a fait l’objet d’une évaluation dans 2 ERC30,33. Des sondages avant et après ont été réalisés pour évaluer la perception de changements dans les connaissances, les attitudes et le comportement, y compris la confiance en soi du médecin et les pratiques de prise en charge de la VPI signalées durant la période à l’étude. La formation en ligne au sujet de la violence conjugale s’est traduite par une amélioration moyenne de 17,8 % dans les scores liés au domaine de la confiance en soi (P < ,001) dans l’étude par Harris et ses collaborateurs30. Dans l’autre étude, on a démontré une amélioration considérable dans 8 mesures des résultats sur 10 à propos des connaissances, de l’attitude et du comportement, y compris la confiance en soi du médecin et les pratiques de prise en charge de la VPI signalées durant la période à l’étude33.
Lo Fo Wong et ses collègues ont évalué des discussions en groupes témoins au sujet de la VPI entre des médecins de famille dans un ERC avec intervention à 2 niveaux26. L’intervention de niveau plus intense, qui comportait 1,5 jour de formation sur la VPI en plus de 6 groupes de discussions à ce sujet, s’est traduite par un nombre significativement plus élevé de cas de VPI rapportés (rapport de taux de 4,54)26.
DISCUSSION
Cette révision systématique fait valoir que les connaissances des médecins à propos de la violence conjugale peuvent être considérablement améliorées grâce à des interventions éducatives qui mettent à contribution la participation active des médecins et l’apprentissage expérientiel. Certaines études ont montré que des ateliers interactifs peuvent changer les attitudes et le rendement des cliniciens et influencer leurs pratiques au quotidien dans la prise en charge des victimes de violence conjugale34–36. D’autre part, les ateliers sur la violence conjugale à l’intention des médecins en formation postdoctorale n’ont pas produit d’effets significatifs sur leur comportement dans l’identification des victimes de violence conjugale26,27,30,31. L’identification et la prise en charge de la violence conjugale n’est pas un processus en une seule étape; l’identification en elle-même peut avoir des conséquences multiples et complexes, comme la recherche d’un refuge pour la victime, les arrangements pour les enfants et parfois même, trouver de l’aide pour l’abuseur. L’identification et la prise en charge de la violence conjugale peuvent être une expérience émotionnelle non seulement pour la patiente mais aussi pour le professionnel. Certaine études préconisent plus qu’une brève intervention pour améliorer les capacités des médecins à identifier et à prendre en charge les cas de violence conjugale37,38.
L’utilisation de patientes standardisées dans la formation sur la violence conjugale a eu pour effet d’améliorer les compétences et les habiletés des médecins en formation postdoctorale et s’est traduite par un plus grand nombre de cas de violence conjugale signalés39.
Des révisions systématiques antérieures démontrent que l’apprentissage en ligne peut améliorer les connaissances et les habiletés des médecins et produire plus de changements comportementaux soutenus par rapport aux ateliers37,40,41. Dans la présente révision systématique, 2 ERC qui portaient sur des modules interactifs sur le web concernant la violence conjugale ont constaté une amélioration significative dans les connaissances et la confiance en soi des médecins pour diagnostiquer les cas de violence conjugale et transiger avec eux30,33. Par ailleurs, les effets à long terme sur le comportement réel des médecins et les résultats des soins de santé aux patientes, ainsi que la rentabilité des modules d’apprentissage en ligne doivent être évalués dans de futurs ERC. De plus, il faut prendre en considération les ressources nécessaires pour la promotion de la FMC sur la violence conjugale et les stratégies de marketing dans les médias sociaux lorsque de tels programmes sont élaborés42.
Dans cette révision, on a constaté que la formation à multiples facettes et les changements institutionnels ou systémiques sont efficaces pour améliorer les comportements des médecins à l’endroit du signalement des cas de violence conjugale et des demandes de consultations à cet égard. Cette approche augmente aussi la satisfaction des patientes, a été jugée rentable et pourrait même être une possibilité d’économies dans une perspective sociale32,43. Les éléments essentiels d’une éducation efficace se situent dans une formation multidisciplinaire à l’intention des médecins avec des séances de renforcement, ainsi qu’une formation additionnelle pour les leaders et les champions de l’équipe. Les interventions appuyées par le système étaient des aide-mémoire pour rappeler aux médecins de poser des questions au sujet de la violence dans les cas où elle pourrait être la cause sous-jacente probable d’un diagnostic en particulier; un meilleur accès aux services de soutien; et des audits et une rétroaction sur une base continue44. Dans l’une des études, constatation intéressante, les interventions à l’initiative du système avaient peu d’effets sur la capacité des médecins à identifier les victimes de violence. Ces observations pourraient avoir été influencées par l’hésitation des femmes à signaler les comportements abusifs.
Limitations
Cette révision comporte des limitations, notamment le petit nombre d’études, l’hétérogénéité des interventions et de la mesure des résultats, l’exclusion des articles autres que ceux publiés en anglais et le fait que des ERC non publiés n’apparaissent pas dans la recension et ne puissent donc pas être inclus dans l’étude, d’où la possibilité d’exclure certains ouvrages importants. D’autre part, l’utilisation d’une stratégie de recherche validée pour identifier les études admissibles a minimisé le risque de ne pas tenir compte des articles pertinents.
Conclusion
À partir de cette révision, il a été difficile de déterminer quelle était la stratégie pédagogique la plus efficace, étant donné que les interventions éducatives variaient selon la méthode de présentation, la durée et la mesure des résultats utilisée pour l’évaluation. L’apprentissage en ligne par problèmes semble augmenter la confiance en soi perçue par les médecins pour traiter la violence conjugale. La formation des médecins combinée à des interventions de soutien de la part du système, comme une sensibilisation accrue à la violence conjugale, des aide-mémoire pour identifier les victimes et un meilleur accès aux services de soutien, semblent avoir bénéficié aux victimes de violence conjugale et augmenté le nombre de références auprès des ressources spécialisées en violence conjugale.
Acknowledgments
Nous remercions Robyn Butcher du Département de médecine familiale de la University of Toronto de son aide dans la recherche documentaire.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
Cette révision a permis de constater que la formation à facettes multiples et les changements institutionnels ou systémiques étaient efficaces pour améliorer le comportement des médecins en pratique tant sur le plan du signalement de la violence conjugale que des demandes de consultations à cet égard. Des ateliers sur la violence conjugale à l’intention des médecins en formation postdoctorale n’ont pas produit d’effets significatifs sur leur comportement quant à l’identification des victimes de violence conjugale.
L’apprentissage par problèmes en ligne semble accroître la perception qu’ont les médecins de leur propre efficacité à traiter la violence conjugale.
La formation des médecins combinée à des interventions de soutien de la part du système, comme une sensibilisation accrue à la violence conjugale, des aide-mémoire pour l’identification des victimes et un meilleur accès à des services de soutien, semble avoir un effet bénéfique sur les victimes de violence conjugale et augmente le nombre de demandes de consultations auprès de ressources à l’intention de ces victimes.
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2014 issue on page 618.
Collaborateurs
Tous les auteurs ont collaboré à la recherche documentaire, à l’analyse et à l’interprétation des données, ainsi qu’à la préparation du manuscrit aux fins de présentation.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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