Après-midi d’été—après-midi d’été; c’est là pour moi la plus belle expression du vocabulaire.
Henry James (traduction libre)
Même si nous vivons à l’ère de l’Internet, la plupart des lecteurs du Médecin de famille canadien préfèrent recevoir la version imprimée de la revue. Parmi les raisons évoquées, nos lecteurs nous ont dit dans un sondage qu’ils aimaient conserver leurs anciens numéros et les apporter avec eux durant leurs vacances estivales au bord du lac pour pouvoir en toute tranquillité reprendre le temps perdu dans leurs lectures médicales. Ma deuxième revue «médicale» préférée, celle dont je garde les anciens numéros que j’apporte au chalet pour en terminer la lecture, est The New Yorker. Chaque numéro regorge de bons articles (sans oublier les bandes dessinées) sur divers sujets d’actualité, y compris en médecine, qu’il est impossible de lire au complet pendant une bonne partie de l’année.
The New Yorker a une longue tradition d’écriture de qualité, à commencer par Berton Roueche, un journaliste américain qui a écrit pour la revue pendant presque 50 ans, de 1944 jusqu’à son décès, en 1994. L’un de mes textes favoris, publié dans le numéro du 15 octobre 1960, est simplement intitulé «Placebo»1. Il commence par une savoureuse phrase d’introduction qui se traduirait par «Les médicaments les plus largement utilisés dans les cabinets de médecins des temps modernes n’en sont pas réellement» et il nous emmène dans un monde qui inclut l’étymologie du mot, identifie son premier usage en anglais (The Canterbury Tales) et décrit la recherche médicale contemporaine de l’époque sur les effets des placebos dans diverses études cliniques.
En 1998, Dr Jerome Groopman, hémato-oncologiste à la Faculté de médecine de Harvard et au Centre médical Beth Israel Deaconess à Boston, au Massachussetts, est devenu rédacteur à l’emploi de la revue. Au cours des 16 dernières années, il a contribué des articles réfléchis, souvent provocateurs, mais toujours empreints d’érudition, sur des sujets allant de l’échec de la «lutte contre le cancer» de Richard Nixon jusqu’à la science incertaine entourant la «ménopause masculine». L’un des meilleurs articles qu’il ait écrits, qui porte sur le paradoxe du cancer de la prostate2, explique clairement et succinctement la biologie de la maladie et pourquoi son dépistage à l’aide du dosage de l’antigène prostatique spécifique pourrait causer plus de torts que de bien. J’ai utilisé l’article pour expliquer aux patients ainsi qu’aux résidents le nœud de ce dilemme persistant. L’article demeure aussi pertinent aujourd’hui qu’il l’était il y a une décennie.
Le plus récent médecin membre du personnel de la rédaction de la revue se nomme Atul Gawande, un chirurgien né à Brooklyn qui travaille au Brigham and Women’s Hospital à Boston, et est l’auteur de plusieurs publications sur la sécurité des patients et l’amélioration de la qualité en santé. L’un des articles par Gawande que je préfère traite d’un grand défi, non seulement de la médecine mais aussi de nombreuses sociétés, celui de composer avec le fait que la médecine a augmenté les rangs des aînés, mais n’a pas réussi à rendre le vieillissement plus facile3. Dans son texte, il présente un bref aperçu de la biologie du vieillissement, mais ce qui rend cet article un incontournable, ce sont les récits sur le vieillissement, en particulier ceux racontés par Dr Felix Silverstone, luimême gériatre pendant près d’un demi-siècle, maintenant aux prises avec les problèmes de vieillir.
Le numéro du 7 avril 2014 de la revue publie l’un de mes articles médicaux préférés les plus récents: «Final Forms»4, par la journaliste américaine Kathryn Schulz. C’est un bref historique et une réflexion sur ce que l’auteure appelle «la vaste bureaucratie macabre pour répondre à la question entourant les causes de notre mort» et il commence par les antécédents du certificat de décès moderne, une loi sur la mortalité en Angleterre qui date du début du 16e siècle. C’est une fascinante page de l’histoire de la médecine.
Qu’ont en commun ces articles et ces 4 auteurs qui s’échelonnent sur une période de plus de 70 ans? D’abord, c’est l’engagement envers une écriture de qualité qui démarque cette revue depuis ses tout débuts. D’égale importance, c’est l’espace accordé à ces excellents écrivains pour raconter leurs histoires en profondeur afin qu’ils puissent les mettre dans un contexte social et culturel plus large, sans les simplifier à l’excès, et ce, avec une sorte de science et d’érudition qu’ils portent avec grande élégance.
Profitez de vos lectures estivales!
Footnotes
This article is also in English on page 692.
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Références
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