Dyslexie, dyspraxie et trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) sont des syndromes développementaux complexes distincts dont les tableaux cliniques se chevauchent substantiellement. Environ la moitié des personnes dyslexiques sont dyspraxiques, et la dyslexie et le TDAH peuvent survenir simultanément dans 30 à 50 % des cas1.
La dyslexie est un trouble persistant d’apprentissage de la lecture et de l’écriture, malgré la présence de capacité, de motivation et d’occasions générales adéquates. L’affection cause habituellement des problèmes de mémoire à court terme et d’enchaînement des mots ou des chiffres, des anomalies de la perception visuelle, des déficits de la mémoire de travail auditive, des difficultés d’orientation spatiale et des difficultés à suivre des instructions2. La dyslexie représente 80 à 90 % de toutes les difficultés d’apprentissage et sa prévalence au Canada est estimée à 23 %3. Les causes et les mécanismes pathologiques de la dyslexie sont multifactoriels et peuvent varier grandement d’un cas à l’autre. Les études génétiques pointent vers l’hérédité dans la moitié des cas de dyslexie, l’expression étant plus élevée chez les garçons4.
Les acides gras polyinsaturés à longue chaîne (AGPLC) des séries oméga-3 et oméga-6, lesquels comptent pour le tiers environ de la totalité des acides gras du cerveau, sont essentiels à l’alimentation et cruciaux à la structure et au fonctionnement normal du cerveau. Les acides gras oméga-3 se trouvent dans les fruits de mer et les oméga-6, dans des sources alimentaires telles que la viande et les produits laitiers5,6. Certaines régions chromosomiques, qui contiennent des gènes codant les enzymes intervenant dans le métabolisme des acides gras et des phospholipides, ont été identifiées dans la dyslexie1.
Des études antérieures qui ont eu recours à un mélange de quelques AGPLC oméga-6 ont montré des bienfaits à peine négligeables pour les personnes qui avaient des difficultés comportementales et d’apprentissage4. Les AGPLC oméga-3 quant à eux, sont plus souvent absents de l’alimentation moderne et il est donc plus probable que les suppléments d’acides gras oméga-3 procurent des bienfaits aux personnes dyslexiques1,7.
Les fonctions biologiques des AGPLC oméga-3 sont notamment la fluidité membranaire, l’expression génique et la structure et le fonctionnement des membranes neuronales, toutes des fonctions cruciales pour la transduction cellulaire et le processus d’apprentissage5–8. Plus particulièrement, les AGPLC oméga-3 acide eicosapentaénoïque (AEP) et acide docosahexaénoïque (ADH) sont essentiels à la régulation du fonctionnement cérébral (AEP) et à la structure des membranes neuronales (ADH)1.
Carence en acides gras oméga-3
En Occident, le niveau d’AEP et d’ADH dans l’alimentation est souvent inadéquat7 et des facteurs liés au mode de vie peuvent perturber la synthèse in vivo des AGPLC de leurs précurseurs essentiels. Un apport alimentaire élevé en acides gras saturés, une carence en cofacteurs vitaminiques et minéraux (notamment une carence en zinc), le tabagisme et la consommation excessive d’alcool ou de café pourraient abaisser les niveaux d’AEP et d’ADH. La perturbation de la synthèse des AGPLC serait aussi attribuable au diabète, à l’eczéma, à l’asthme et à d’autres affections allergiques4. Dans le cas de la dyslexie, les facteurs génétiques en jeu seraient des anomalies légères du métabolisme des acides gras faisant en sorte que les besoins alimentaires habituels en ces éléments nutritifs essentiels sont accrus9.
Le tableau clinique de la carence en acides gras compte soif excessive, miction fréquente, plaques sèches et rugueuses sur la peau, cheveux secs, pellicules et ongles cassants4,10. Dans une étude, ces signes étaient considérablement plus fréquents chez les 135 adultes dyslexiques que chez les 71 adultes non dyslexiques. La sévérité de la carence en acides gras était corrélée aux scores individuels sur la liste de dépistage de la dyslexie. En outre, la carence en acides gras a été corrélée à d’autres caractéristiques liées à la dyslexie, y compris l’affaiblissement de la perception visuelle et la confusion auditive et de la parole11. Les résultats laissent croire que les suppléments alimentaires en acides gras seraient bénéfiques aux patients dyslexiques.
Suppléments en AGPLC dans les cas de dyslexie
On ne dispose pas d’études à long terme portant sur l’efficacité des interventions pharmacologiques dans la dyslexie, et les effets indésirables des interventions pharmacologiques (p. ex. par le méthylphénidate ou les amphétamines) persistent même après la fin du traitement. En conséquence, la prise en charge non pharmacologique est courante12.
En 1997, Richardson et ses collaborateurs ont observé une abondance de phosphomonoesters chez 12 adultes dyslexiques, comparativement à un groupe témoin comptant 10 adultes en bonne santé. Les concentrations élevées de phosphomonoesters indiquaient un déficit de la biosynthèse des phospholipides ou de leur incorporation dans les membranes. Puisque le métabolisme des phospholipides membranaires est grandement influencé par la composition de ces derniers en acides gras2, les suppléments alimentaires en AGPLC pourraient potentiellement constituer un traitement pour les enfants dyslexiques.
Dans une étude de cas portant sur un garçon dyslexique qui fréquentait la 6e année, les suppléments en acides gras oméga-3 (acide alpha-linolénique) et la réduction des gras saturés de son alimentation ont amélioré ses capacités de lecture et ont réduit les observations physiques de carence en acides gras10.
En 2002, Richardson et Puri ont mené une étude en 2 étapes, randomisée et contrôlée par placebo portant sur les effets des suppléments d’AGPLC sur les symptômes liés au TDAH chez les enfants qui présentaient des difficultés d’apprentissage. Durant la première étape, 41 enfants de 8 à 12 ans ont été randomisés pour recevoir des suppléments alimentaires tous les jours (186 mg d’AEP, 480 mg d’ADH, 96 mg d’acide gamma-linolénique, 42 mg d’acide arachidonique, vitamine E, acide linoléique conjugué et 8 mg d’huile de thym) ou pour recevoir un placebo pendant 3 mois. Les résultats ont montré un soulagement statistiquement significatif des symptômes de TDAH et des symptômes liés à la dyslexie (p. ex. inattention, difficultés d’apprentissage et de mémorisation) et de l’anxiété13. Durant la deuxième étape de l’étude, les enfants qui avaient tout d’abord reçu le placebo sont passés aux suppléments d’acides gras et ont été suivis pendant 3 mois supplémentaires. Dans ce groupe, l’atténuation des symptômes de TDAH, des symptômes liés à la dyslexie et de l’anxiété était statistiquement significative, comme elle l’était dans le groupe initial de traitement14.
Une étude d’envergure à répartition aléatoire et contrôlée par placebo menée auprès d’enfants dyslexiques a révélé des améliorations substantielles de la lecture chez 102 enfants de 8 à 12 ans ayant été traités pendant 6 mois avec 186 mg d’AEP, 480 mg d’ADH, 96 mg d’acide gamma-linolénique, 42 mg d’acide arachidonique, vitamine E, acide linoléique conjugué et 8 mg d’huile de thym. La différence était particulièrement visible chez les enfants qui présentaient au départ une carence symptomatique en acides gras15.
Cependant, dans une autre étude à répartition aléatoire et contrôlée par placebo, les investigateurs ont demandé aux enseignants d’évaluer la dyslexie chez 61 enfants; 31 des enfants dyslexiques ont été traités pendant 90 jours avec 500 mg d’AEP et 400 mg de carnosine (c.-à-d. un acide aminé qui interagirait favorablement avec les fonctions cognitives), alors que 30 des enfants dyslexiques ont reçu un placebo. Aucune amélioration significative sur le plan statistique d’aucune mesure cognitive, y compris la lecture et l’épellationl, n’a été observée16.
Fonction visuelle dans la dyslexie
Certaines données probantes étayent la présence d’un déficit visuel et du traitement central dans la dyslexie17. La couche magnocellulaire du thalamus, laquelle est responsable du traitement des stimuli visuels rapides, dépend d’un contenu riche en acides gras insaturés.
Stordy17 a observé que l’administration pendant un mois de 480 mg/j de suppléments d’ADH à de jeunes adultes dyslexiques avait normalisé l’adaptation à l’obscurité comparativement à un groupe témoin; cette constatation vient s’ajouter à l’accumulation de données probantes étayant le bienfait des suppléments en AGPLC oméga-3 pour les personnes dyslexiques.
Conclusion
Les bienfaits des suppléments en acides gras oméga-3 chez les enfants dyslexiques ont fait l’objet d’études, mais les données probantes sont limitées. Il est nécessaire de procéder à des études systématiques bien contrôlées et de plus grande envergure afin de fournir des données probantes définitives. Les mesures objectives de carence en acides gras, une surveillance plus étroite de l’apport alimentaire durant l’étude et le diagnostic systématique de dyslexie ne sont que quelques mesures nécessaires à l’amélioration des données à notre disposition. Il faudrait aussi déterminer la posologie optimale.
Notes
PRETx
Cette Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. Mme Zelcer est membre du programme PRETx et le Dr Goldman en est le directeur. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the September 2015 issue on page 768.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Références
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