Notre principale responsabilité en tant que médecins de famille est de servir les personnes et les familles, et de répondre à leurs besoins immédiats en matière de santé, dans les cliniques et les hôpitaux. Par ailleurs, si nous avons pour but une santé optimale pour tous nos patients, nous devons aussi nous prononcer sur les causes en amont des maladies et des blessures que nous voyons1, et intervenir dans les conditions qui façonnent et contraignent le bien-être2 dans nos collectivités. Par le passé, notre profession a plaidé avec succès en faveur d’interventions en santé publique qui améliorent la santé et la sécurité, comme les restrictions sur les pesticides ou la réglementation sur la consommation de tabac dans les espaces intérieurs. En plaidant pour des infrastructures plus sécuritaires pour le cyclisme, les médecins de famille peuvent améliorer considérablement la santé de tous nos patients.
Bienfaits éprouvés
L’activité physique régulière compte parmi les plus importants déterminants de la santé et du bien-être. Pour la plupart de nos patients, une augmentation de l’activité physique apporterait des bienfaits considérables sur le plan de la santé. Les coronaropathies, le diabète, la dépression et de nombreux problèmes de douleur s’améliorent avec l’exercice, et les personnes qui en font régulièrement vivent plus longtemps et sont en meilleure santé3–5. Le vélo comme mode de transport représente un moyen facile pour nos patients d’intégrer l’exercice dans leur quotidien effréné et d’améliorer leur santé. De fait, une étude réalisée au Danemark a fait valoir que le vélo pour se rendre au travail réduisait de plus de 25 % par année le risque de mortalité6. Dans une récente étude prospective de cohortes effectuée auprès de plus de 250 000 navetteurs au R.-U., il y avait pour ceux qui se rendaient au travail à vélo une réduction de 41 % de la mortalité toutes causes confondues, 46 % moins de risques de maladies cardiovasculaires, et 45 % moins de probabilité de développer un cancer4, par rapport à ceux qui voyageaient autrement. D’autres études sur le vélo comme moyen de transport ont démontré d’impressionnants bienfaits similaires pour la santé7,8.
La recherche démontre que les bienfaits du cyclisme surpassent de 9 à 77 fois les risques de blessures9,10. Une augmentation des déplacements à vélo améliorerait la santé de nos communautés grâce à l’exercice accru, tout en réduisant les effets néfastes de la pollution de l’air et du changement climatique sur la santé.
Risques évitables
Or, voyager à vélo au Canada peut être dangereux. Dans une année, environ 77 cyclistes sont tués en Ontario seulement, à la suite de collisions avec des automobilistes11. Des milliers d’autres subissent des blessures. Ces accidents tragiques sont évitables12. Un rapport du bureau du Coroner en chef de l’Ontario en 2012 examinait les décès de cyclistes du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2010, et concluait que chacun des décès aurait pu être évité11. De plus, la principale raison invoquée pour ne pas faire de vélo est la peur de le faire sur la route dans la circulation automobile13.
Solutions
En Allemagne et aux Pays-Bas, où les routes ont été réaménagées pour accommoder les personnes qui se servent de divers modes de transport, il est de 2 à 3 fois moins probable que les cyclistes soient blessés et de 8 à 30 fois moins probable qu’ils soient tués que leurs homologues nord-américains14. Les comparaisons entre pays font valoir que les modifications aux aménagements routiers pour le cyclisme, en particulier les voies réservées aux vélos, sont les meilleures interventions pour réduire les blessures et les décès chez les cyclistes15–20. Une étude réalisée en 2012 à Toronto (Ontario) et à Vancouver (C.-B.) a fait valoir que les pistes cyclables avec délimitations peintes diminuaient de 89 % les risques de blessures par rapport aux rues principales sans signalisation20. À New York, les voies réservées aux vélos ont permis de réduire les collisions de 57 % chez les cyclistes et de 29 % chez les piétons21. À Boston, des améliorations aux infrastructures cyclables construites entre 2009 et 2012 ont été associées à une augmentation à la fois de l’utilisation des vélos et de la sécurité des cyclistes22.
Des pistes cyclables séparées augmentent aussi la perception de sécurité et incitent plus de gens à faire du vélo, ce qui crée en retour un effet de « sécurité par le grand nombre », et réduit encore davantage les blessures et les décès23,24. À Toronto, le récent projet pilote de voie réservée aux vélos sur la rue Bloor Ouest a rehaussé la perception de sécurité chez les cyclistes; avant l’aménagement d’une piste cyclable, seulement 3 % des cyclistes disaient se sentir « en sécurité » ou « très en sécurité » sur la rue Bloor; après les aménagements, ce chiffre s’élevait à 85 %. Le nombre des adeptes du vélo a augmenté d’environ 36 %pour atteindre quelque 4500 cyclistes par jour, y compris de nombreuses familles avec de jeunes enfants25.
Rôle des médecins de famille
Les médecins de famille peuvent contribuer de différentes façons au développement d’infrastructures cyclables sécuritaires. Au niveau individuel ou micro, nous pouvons encourager nos patients à faire du vélo comme une excellente forme d’activité physique. Nous pouvons travailler avec nos patients afin qu’ils surmontent leurs obstacles au cyclisme au moyen de techniques comme les entrevues motivationnelles26.
Au niveau communautaire ou méso, nous pouvons éduquer le public à propos des bienfaits du vélo pour la santé. Nous pouvons aussi encourager nos cliniques et nos hôpitaux à offrir des aires de stationnement et des infrastructures pour les employés qui choisissent de venir travailler à vélo.
Au niveau des politiques ou macro, nous pouvons plaider en faveur d’infrastructures sécuritaires pour le vélo dans nos quartiers et nos collectivités en collaborant avec les groupes de promotion du cyclisme, en rencontrant les conseillers municipaux locaux et en mobilisant les médias régionaux. En 2017, certains d’entre nous avons formé un groupe, appelé Doctors For Safe Cycling, dans le but de promouvoir de meilleures pistes cyclables à Toronto. Selon notre expérience, les décideurs sont très intéressés d’entendre des médecins leur parler des problèmes de santé et de sécurité, et nos plaidoyers peuvent influencer la planification et les politiques locales. Nous pouvons aussi encourager nos organismes provinciaux et nationaux, y compris le Collège des médecins de famille du Canada, à préconiser des infrastructures sécuritaires pour les cyclistes. Plus encore, nous pouvons prôner l’élaboration d’une stratégie nationale du cyclisme27, et nous bénéficierions énormément de nous joindre aux nombreux pays qui ont instauré de telles stratégies et ont obtenu des résultats considérables28.
En tant que médecins, nous sommes reconnus par la population comme des experts en santé et en sécurité, et notre voix peut se faire convaincante lorsque nous nous prononçons sur ces questions. Collectivement, nos voix peuvent servir à exercer des pressions en faveur d’une meilleure sécurité des cyclistes dans nos collectivités. La santé et la sécurité des personnes et de nos collectivités doivent être une priorité. Tous devraient avoir accès à des rues sécuritaires.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the October 2018 issue on page 715.
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Références
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