Il fut un temps où l’évaluation des résidents se faisait de bien étrange façon. Il arrivait que des résidents ayant fait de leur mieux pendant leur stage se voyaient remettre, à la toute fin, une fiche où le patron avait statué unilatéralement sur leurs performances comme étant « supérieures, conformes ou inférieures aux attentes », et ce sans que personne ne leur ait préalablement transmis la moindre rétroaction. Parfois, cette fiche leur était remise par une tierce personne, comme la secrétaire à l’enseignement, par exemple, ce qui faisait que l’étudiant n’avait aucun autre choix que d’en prendre connaissance et de la signer docilement. Les plus vieux d’entre nous se rappellent de cette époque.
A l’inverse, il arrivait parfois que des résidents médiocres se voyaient octroyer la note de passage même s’ils n’avaient visiblement pas atteint les standards de pratique. Cela se comprend: décider qu’un résident a échoué un stage n’est pas de tout repos, surtout si le responsable ne lui a jamais fait part de ses lacunes. Le fardeau de la preuve repose sur les épaules de l’enseignant qui doit justifier sa décision et documenter les raisons de l’échec. Il est bien plus facile de fermer les yeux et laisser passer l’étudiant. Ce phénomène est bien connu dans le monde de l’éducation sous l’appellation « failure to fail »1. Ce qui fait que certains résidents ayant des compétences limites, présentant des problèmes évidents de communication, incapables de collaborer avec les autres, étaient néanmoins promus médecins.
Aujourd’hui, ce genre d’évaluation est impossible. Le document du Collège communément appelé « Livre rouge »2 établit les exigences pour l’agrément des programmes et précise les attentes pour l’évaluation des résidents.
Ce document indique que
le système d’évaluation en cours de formation doit être axé sur le développement des compétences et, en ce sens, être principalement formatif. Il doit donner à chaque résident une rétroaction franche, utile et opportune.... L’évaluation et la rétroaction ne doivent pas être données uniquement à la fin d’un bloc d’apprentissage ou d’une expérience clinique... [et] doivent être documentées et doivent refléter le rendement des résidents à l’égard des compétences en question.... Toutes les activités pertinentes – cliniques, académiques ou autres – devraient être évaluées, et l’évaluation devrait porter directement sur les activités, de manière à refléter clairement les objectifs de la médecine familiale en cette matière2.
La pierre angulaire de l’évaluation des résidents repose sur les feuilles de route:
Les programmes devraient utiliser les feuilles de route (ou l’équivalent) pour recueillir des commentaires qualitatifs sur la performance du résident durant la pratique clinique quotidienne, puis les intégrer aux activités régulières d’enseignement et de supervision. La quantité de feuilles de route produites devrait être suffisamment élevée pour fournir et documenter une évaluation et une rétroaction formatives significatives2.
[Les rapports sommatifs] doivent être fondés sur de nombreuses observations documentées, indépendantes, produites par de multiples observateurs dans différentes situations, compilées et évaluées par plus d’un enseignant clinique2.
Or, si cette méthode semble préférable à celle qui prévalait autrefois, il y a lieu de se demander si tant d’observations sont vraiment nécessaires et pourraient même avoir des effets pervers. C’est ce qui ressort d’une publication récente du JAMA Internal Medicine3. Non seulement l’intensification de la supervision ne changeait rien aux taux d’erreurs médicales, mais cela faisait en sorte que les internes s’exprimaient moins durant les réunions et se sentaient moins performants et moins autonomes.
Il est donc pertinent de se questionner sur l’intensité et la fréquence des supervisions en médecine de famille. On pourrait même se questionner sur les effets délétères d’une supervision trop intense ou trop fréquente. Par exemple, un résident qui est observé quotidiennement (et même davantage) dans ses faits et gestes au moyen des feuilles de route, pourraitil éventuellement développer un sentiment d’insécurité et devenir contreproductif? Selon les fédérations étudiantes et des programmes d’aide aux médecins, un tel risque existe.
En andragogie, on sait qu’il existe une relation inverse entre le stress et l’apprentissage. L’absence de stress ne favorise pas l’apprentissage, mais l’excès est tout aussi préjudiciable. Une évaluation par mois est définitivement insuffisante mais 2 à 3 feuilles de route par jour est sans doute trop. Les organismes d’agrément et les directeurs de programme auraient donc intérêt à réfléchir sur la fréquence et l’intensité des supervisions des résidents en médecine de famille.
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