Deux ans déjà se sont écoulés depuis que le Parlement a adopté une loi autorisant l’aide médicale à mourir (AMM). Les professions médicales et des soins infirmiers ont obtempéré : des médecins et des infirmières praticiennes de toutes les régions du pays ont accepté de répondre aux requêtes d’aide pour mettre un terme à la vie et aux souffrances des patients admissibles. Malheureusement, il persiste de la confusion entourant certaines questions relatives à l’admissibilité des patients, et des mesures de sauvegarde ont donné lieu à des variations dans l’interprétation de la loi. En raison de ces incohérences, il est possible que des patients légitimement admissibles se voient refuser l’AMM ou vivent inutilement des périodes prolongées de souffrances intolérables.
Clarifications
Nous insistons dans cet article sur 3 aspects de la loi sur l’AMM à propos desquels il semble y avoir de l’incertitude : l’admissibilité à l’AMM des personnes ayant une maladie mentale comme seul problème médical sous-jacent, de même que les diverses interprétations des expressions perte imminente de la capacité et mort naturelle raisonnablement prévisible1. Selon nous, d’un point de vue juridique et réglementaire, ces notions peuvent être précisées en toute confiance.
Maladie mentale comme seul problème médical sous-jacent.
Il est nécessaire d’aborder la question de savoir si une personne dont le seul problème de santé est un trouble mental est admissible à l’AMM. Certains prétendent que de tels patients sont automatiquement exclus, d’autres disent le contraire. Ces derniers ont raison. Un patient souffrant d’anorexie nerveuse réfractaire qui vit avec des souffrances persistantes, intolérables et irrémédiables, et qui en est à un stade avancé de déclin, est admissible. Malheureusement, dans certaines régions du pays, de tels patients se verraient refuser l’accès à l’AMM.
La source de la confusion est évidente. La loi cerne 3 sujets qui méritent une étude plus approfondie : la maladie mentale comme seul problème médical, l’admissibilité des personnes mineures matures, et le rôle, s’il en est, des demandes anticipées1. Par ailleurs, la loi ne traite pas les 3 sujets de la même façon; elle exclut spécifiquement l’admissibilité pour les mineurs matures et toute possibilité de demande anticipée1. Par contre, aucune disposition de la loi n’exclut les patients dont le seul problème médical est une maladie mentale.
Présumer, comme beaucoup l’ont fait, de l’exclusion implicite de la maladie mentale est erroné en droit, et cette interprétation vient à l’encontre de l’intention de la loi. La confirmation nous vient des plus hautes instances; en réponse à une question directe à ce propos, la ministre fédérale de la Justice a affirmé par écrit que l’intention du gouvernement n’était pas d’exclure de l’admissibilité les personnes dont leur seul problème médical est une maladie mentale2. Bien que de tels cas fussent rares, un patient atteint de maladie mentale qui répond à tous les critères prescrits dans la loi, comme le patient souffrant d’anorexie, est admissible à l’AMM.
Perte imminente de la capacité
Il y a lieu de clarifier l’expression perte imminente de la capacité. Une période d’attente obligatoire de 10 jours doit être respectée entre la demande d’AMM et son administration1. La loi exige aussi que l’AMM soit administrée seulement aux patients qui ont la capacité de donner leur consentement éclairé au moment de la demande et immédiatement avant l’administration de l’AMM.
La conséquence involontaire, nettement contraire à l’intention de la loi, est que les souffrances des patients admissibles pourraient être prolongées plutôt que soulagées. Des patients admissibles pourraient refuser des médicaments contre la douleur de peur qu’ils nuisent à leur capacité de donner le consentement final à l’AMM. Il en résulterait 10 jours de souffrances sans traitement. D’autres patients admissibles pourraient être sortis d’un état confortable sous sédation à un état de souffrances pour qu’ils puissent donner leur consentement définitif.
Ces 2 scénarios sont cruels et inutiles. Ils sont inutiles parce qu’il existe une disposition permettant une dérogation à la période d’attente si la perte de la capacité est imminente. Cette clause peut, et devrait, être interprétée comme signifiant que la perte de la capacité du patient est imminente si elle est menacée par 1) le problème sous-jacent à lui seul ou de concert avec d’autres troubles naturels, ou 2) des traitements médicalement appropriés pour traiter le problème médical du patient et ses symptômes. Par conséquent, si des types ou des doses de médicaments nuisibles à la capacité (p. ex. sédation profonde) sont nécessaires de toute urgence pour contrôler adéquatement les souffrances du patient, sa perte de capacité peut être considérée imminente.
Mort naturelle raisonnablement prévisible.
Enfin, il faudrait plus de précisions quant à la disposition problématique qui exige que « la mort naturelle du patient soit raisonnablement prévisible »1. Les rédacteurs législatifs avaient à leur disposition une formulation plus explicite. Ils auraient pu stipuler que la cause du décès doit être prévisible ou qu’il faut s’attendre à ce que la mort du patient se produise dans un délai précisé. Malgré les objections de plusieurs personnes3, raisonnablement prévisible demeure dans le texte de loi, ce qui suscite de l’appréhension et de l’incohérence dans son interprétation.
Ce libellé vague a laissé place à un certain nombre d’interprétations, ce qui a de réelles répercussions sur les patients. Il ne s’est pas encore dégagé de consensus, et les discussions se poursuivent à propos de l’état du patient (p. ex. le patient doit être en fin de vie) et d’un pronostic approprié sur le plan de la durée (p. ex. 12 mois ou moins, ou encore de 6 à 10 ans). Il s’ensuit que, d’une province à l’autre (et même d’un médecin à l’autre), un patient ayant une constellation particulière de circonstances médicales sera déclaré admissible à l’AMM, tandis qu’un autre ayant des circonstances identiques essuiera un refus.
Il est possible de régler l’un des éléments courants de désaccord. Aux termes de la loi, la proximité temporelle (c.-à-d. que le patient doit mourir dans un certain intervalle de temps) n’est pas une condition nécessaire à la définition de « raisonnablement prévisible ». La disposition de la loi à cet égard contient un énoncé qui stipule en anglais « without a prognosis necessarily having been made as to the specific length of time that they have remaining »1. Encore plus explicite, la version en français se lit comme suit : « sans pour autant qu’un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie »1.
La seule décision des tribunaux qui existe à ce propos (la décision de la Cour supérieure de justice de 2017 dans l’affaire A.B. c. Canada4) énonce ce qui suit :
La mort naturelle n’a pas besoin d’être imminente… et ce qui est une mort raisonnablement prévisible est une question médicale particulière à la personne qui n’exige pas nécessairement, sans toutefois l’exclure, de poser un pronostic sur la durée de temps qu’il reste à vivre et, en formulant son opinion, le médecin n’a pas à se prononcer sur une durée précise de temps qu’il reste à vivre à la personne qui demande l’aide médicale à mourir5.
En nous fondant sur un examen de la loi elle-même et de la seule jurisprudence que nous ayons, il est juste de conclure que la proximité temporelle peut être suffisante pour déduire que la mort naturelle est raisonnablement prévisible, mais cette proximité n’est pas indispensable pour établir la prévisibilité raisonnable. Une cause prévisible de mort naturelle peut aussi suffire pour conclure qu’une mort naturelle est raisonnablement prévisible, mais là non plus, ce n’est pas une exigence pour en arriver à cette conclusion. Autrement dit, une mort naturelle sera raisonnablement prévisible si un médecin ou une infirmière praticienne est d’avis que la mort naturelle du patient se produira dans un délai suffisamment court ou que la cause de la mort naturelle du patient est devenue prévisible.
Si vous vous intéressez à la justification plus détaillée des interprétations que nous avons fournies dans cet article, veuillez consulter le rapport de 2018 de Downie et Chandler5.
Conclusion
En ce qui concerne les aspects de la loi sur l’AMM dont nous avons discuté ici, notamment l’admissibilité des personnes dont la maladie mentale est le seul problème médical sous-jacent et le sens des expressions perte imminente de la capacité et raisonnablement prévisible, l’ère de la confusion est révolue. Il est temps que tous les intervenants, y compris le gouvernement fédéral, les ordres professionnels, les régies de la santé, les associations professionnelles, les provinces et les territoires, fournissent des directives claires aux professionnels de la santé et à leurs patients. Il en va de l’intérêt public.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the September 2018 issue on page 641.
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Références
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