Lorsqu’ils atteindront l’âge de 40 ans, la moitié des citoyens canadiens auront souffert d’une certaine forme de maladie mentale1. Une moins bonne santé mentale est associée à une augmentation des problèmes physiques chroniques et, inversement, la déficience physique accrue est liée à une moins bonne santé mentale2. La maladie mentale est la principale cause d’incapacité au Canada, et chaque année, environ 4000 Canadiens meurent par suicide2. Selon les estimations, le fardeau économique de la maladie mentale au pays, y compris le coût des soins, la perte de productivité et la réduction de la qualité de vie liée à la santé, s’élève à 51 milliards de dollars par année3.
En 2018, la Commission de la santé mentale du Canada et le Collège des médecins de famille du Canada publiaient un guide-conseil pratique sur les soins en santé mentale et en médecine des toxicomanies axés sur le rétablissement dans le Centre de médecine de famille4,5. Ce guide a été rédigé parce que les médecins de famille fournissent près des 2 tiers des services de santé mentale au Canada et qu’ils souhaiteraient avoir plus de connaissances et de formation en soins de santé mentale. De plus, les personnes souffrant de problèmes de santé mentale estiment que leurs besoins ne sont pas satisfaits. Le nouveau guide a pour but d’aider les médecins de famille à élargir et améliorer leurs soins aux personnes qui ont des problèmes de santé mentale4.
Pour de nombreux troubles de santé mentale, la psychothérapie est un traitement efficace, et elle est habituellement privilégiée par les patients6. Par ailleurs, plusieurs patients qui bénéficieraient d’une psychothérapie ne peuvent pas s’en prévaloir, souvent en raison de l’accessibilité limitée aux services de psychiatres couverts par le secteur public, ou encore à cause des obstacles financiers lorsque de tels services sont fournis par des psychologues au privé. Une solution de rechange serait de former spécifiquement les médecins de famille à la prestation de la psychothérapie, puisqu’ils dispensent déjà les 2 tiers des soins en santé mentale.
Le rôle des médecins de famille dans les soins en santé mentale
Les médecins de famille peuvent offrir aux patients des services à la fois de psychothérapie et de pharmacothérapie : dans une étude réalisée à Winnipeg (Manitoba), près du quart des médecins de famille facturaient des services psychosociaux aussi souvent qu’ils le faisaient pour d’autres problèmes fréquemment rencontrés en soins primaires7. L’intégration de services formels de psychothérapie dans les soins primaires pourrait entraîner une réduction de 20 à 30 % des coûts médicaux8. Par contre, les médecins de famille se sentent souvent insuffisamment formés pour fournir des services psychosociaux et éprouvent des difficultés à avoir accès à des ressources pour cette formation8–10. La formation en psychothérapie ne fait actuellement pas partie du cursus officiel des résidents en médecine familiale au Canada et, par conséquent, nous ignorons combien de formation ils reçoivent, si même ils en reçoivent.
La formation actuelle des résidents et leurs perceptions de la psychothérapie
En 2017, nous avons effectué un sondage à l’Université de Toronto (Ontario) pour avoir un aperçu de la place qu’occupe la formation en psychothérapie donnée aux résidents en médecine familiale. Le sondage sollicitait les impressions des résidents en médecine familiale sur la formation reçue en psychothérapie et sur le rôle de la psychothérapie en médecine familiale. Parmi les 140 résidents qui ont répondu au sondage, la plupart (86 %) avaient suivi un stage en santé mentale durant leur formation postdoctorale, mais seulement 28 % avaient reçu une certaine formation en psychothérapie supervisée par un clinicien, qui se limitait généralement à 5 heures ou moins. En outre, 61 % avaient reçu une certaine formation didactique en psychothérapie, quoique celle-ci soit principalement de moins de 5 heures d’enseignement. La majorité des résidents (84 %) ont reconnu qu’au moins 20 % de leurs rencontres avec des patients concernaient la santé mentale. Il n’était donc pas surprenant de constater que la plupart des répondants (89 %) étaient d’avis que la psychothérapie jouait un rôle important dans la médecine familiale contemporaine, et que 74 % aient indiqué être motivés à apprendre la psychothérapie pour l’utiliser dans leur future pratique clinique.
Les possibilités d’offrir la psychothérapie à plus de patients
Quoiqu’il ne soit pas possible de généraliser les constatations tirées de ce sondage local au-delà de la portée de la formation à l’Université de Toronto, elles ont quand même une certaine validité, compte tenu du fait que ce programme de formation en médecine familiale compte parmi les plus importants au Canada11,12. Malgré le peu de formation en psychothérapie dans leur programme formel de résidence, ces futurs spécialistes de la médecine familiale perçoivent que la psychothérapie a un rôle important en médecine familiale et sont motivés à acquérir des compétences à ce chapitre pour leur pratique future. Une telle réceptivité concorde avec l’expérience des médecins de famille en pratique active, en ce sens que dans une étude, près de 70 % des médecins de famille offraient des services de psychothérapie au moins 1 fois par semaine, tandis que plus de 30 % le faisaient plus de 10 fois par semaine13. Dans une autre étude, on a signalé que 76 % de plus de 3000 médecins de famille offraient du counseling en santé mentale ou en psychothérapie14, ce qui démontre que la psychothérapie est, dans une certaine mesure, déjà mise en pratique en soins de santé primaire. Collectivement, de telles constatations font valoir que la formation formelle en médecine familiale a du chemin à faire pour rattraper les réalités de la pratique.
Idéalement, l’inclusion de la psychothérapie dans le programme de résidence en médecine familiale devrait faire partie d’un effort plus vaste pour améliorer l’accès aux soins en santé mentale. À cet égard, il convient de signaler le mouvement visant des soins de santé mentale en collaboration. Même s’il n’est pas spécifiquement axé sur la psychothérapie, ce mouvement a pour but d’accroître la collaboration entre les psychiatres et les médecins de famille pour améliorer l’accès aux soins de santé mentale15. En plus de la formation en psychothérapie, l’approche Balint, une forme de consultation interprofessionnelle axée sur une meilleure compréhension psychologique du patient, pourrait aider les médecins de famille à perfectionner leurs compétences en psychothérapie en fournissant de la supervision et du soutien par des pairs16. Il importe aussi de reconnaître qu’une formation plus approfondie en psychothérapie offerte aux médecins de famille ne représente qu’une partie de l’équation. La communauté plus vaste de la psychothérapie convient de l’importance des « effets du thérapeute » (les effets attribuables au clinicien plutôt qu’à un modèle thérapeutique en particulier) qui sont éprouvés comme étant sans contredit plus importants que les effets du modèle thérapeutique17; par conséquent, la communauté préconise une formation continue des thérapeutes. Les médecins de famille qui offrent des services de psychothérapie devraient avoir de telles possibilités de formation générale qui répondent à leurs besoins et à leurs circonstances propres.
Conclusion
La demande considérable de services de psychothérapie comme traitement de première intention pourrait être satisfaite en incluant les médecins de famille comme prestataires de services. Cependant, le manque de possibilités de formation durant la résidence en médecine familiale représente un obstacle et une occasion ratée d’augmenter la capacité en santé mentale au sein des soins primaires. Il y aura inévitablement des coûts additionnels associés à l’inclusion de la formation en psychothérapie durant la résidence en médecine familiale et, pour le système de santé, une hausse des coûts en facturation pour la psychothérapie. Par contre, selon les estimations, l’intégration de la psychothérapie dans les soins primaires pourrait engendrer une baisse de 20 à 30 % des coûts médicaux8. Il importe d’envisager l’élaboration et l’intégration d’un solide cursus de formation en psychothérapie à l’intention des résidents en médecine familiale (et pour les médecins de famille actuellement en pratique active), qui serait susceptible d’augmenter la capacité des soins primaires en santé mentale et, par conséquent, de répondre plus efficacement aux besoins de nos patients.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the October 2019 issue on page 689.
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Références
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