En 2013, l’European Journal of Neurology publiait une méta-analyse qui examinait les taux d’abandon des patients en raison des effets secondaires des médicaments lors d’essais cliniques sur les traitements pour la maladie de Parkinson1. Une revue portant sur plus d’une décennie de diverses études démontrait que près de 2/3 des patients signalaient des effets indésirables après une pharmacothérapie. Pire encore, près de 1/10 (8,8 %) des patients dans une composante des études en particulier avaient éprouvé des effets secondaires si terribles qu’ils avaient dû cesser complètement le traitement. Étrangement, les patients de ce sous-groupe n’avaient reçu aucun médicament actif. Ils avaient pris un placebo.
La composante avec placebo d’une étude de recherche est essentielle dans la méthodologie scientifique contemporaine; elle sert à mieux comprendre le médicament et à confirmer qu’il produit un véritable résultat au-delà de l’expérience subjective. L’effet placebo a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années, mais son jumeau maléfique, le nocebo, est bien moins connu et compris.
Qu’est-ce que l’effet nocebo?
La définition de nocebo se lit comme suit :
un produit ou un traitement inoffensif qui, lorsqu’il est pris par un patient ou qu’il lui est administré, est associé à des effets secondaires dommageables ou à une aggravation des symptômes en raison d’attentes négatives ou de l’état psychologique du patient2.
Simplement dit, les mauvaises attentes ou les « vibrations négatives » durant une rencontre clinique impliquant un médicament prescrit ont pour conséquence que le patient ressent de réels préjudices.
La notion des « mauvaises vibrations » qui causent des torts remonte à quelques siècles. Le Dr Walter Cannon (le médecin de Harvard qui nous a fait connaître la réaction de combat ou de fuite) discute de ce sujet dans son article bien connu sur la « mort vaudoue »3. Le Dr Cannon a écrit à propos de ce phénomène dans diverses cultures. Il a observé que l’idée d’une mort qui s’ensuivrait si un sorcier pointait un os vers sa victime était une croyance culturelle et spirituelle puissante. La victime devenait souvent désespérément malade et fatiguée au cours des jours suivants, sans cause évidente. C’était l’effet nocebo à son point extrême, notamment un décès induit psychologiquement :
Lorsque le Dr Lambert arriva… il apprit que Rob était en déstresse…. Le Dr Lambert procéda à l’examen et ne constata aucune fièvre, aucune plainte de douleurs, aucun symptôme ou signe de maladie. Toutefois, il fut impressionné par les indications manifestes que Rob était sérieusement malade et extrêmement faible. Il apprit du missionnaire que Nebo avait pointé un os vers Rob, et ce dernier était convaincu qu’en conséquence, il allait mourir. C’est alors que le Dr Lambert et le missionnaire sont allés voir Nebo et l’ont menacé vivement de lui couper les vivres s’il arrivait quelque chose à Rob… Nebo a accepté sur-le-champ d’aller voir Rob avec eux. Il s’est penché sur le lit de Rob et a dit à l’homme malade que toute cette histoire était une erreur, une simple blague et, qu’en fait, il n’avait pas du tout pointé d’os vers lui. Selon le témoignage du Dr Lambert, le soulagement fut presque instantané; le soir même, Rob était de retour au travail, à nouveau content et en pleine possession de ses forces physiques3.
Un exemple semblable dans la médecine du 20e siècle met en cause M. Wright et ses tumeurs cancéreuses4. M. Wright souffrait d’un lymphosarcome avancé, mais il avait foi en une solution de dernier recours, une substance dérivée du sérum de cheval appelée krebiozen. Il a demandé à son médecin des injections de krebiozen et, effectivement, ses tumeurs ont dramatiquement fondu sur les radiographies. Il a passé quelques mois en bonne santé jusqu’à ce que des rapports soient publiés disant que le krebiozen n’avait aucune propriété pour lutter contre le cancer. Les tumeurs de M. Wright sont alors réapparues, visibles et plus grosses que jamais.
Ses médecins ont choisi de lui mentir. Ils lui ont dit que le krebiozen guérissait vraiment le cancer, mais qu’il avait besoin d’une dose beaucoup plus forte pour obtenir le plein effet. De faux traitements par injections d’une solution saline ont eu pour effet de faire vraisemblablement disparaître son cancer au complet. M. Wright a vécu en bonne santé pendant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’une revue finale par l’American Medical Association conclue définitivement que le krebiozen était un médicament inutile. Lorsque M. Wright l’apprit, ses tumeurs sont réapparues. Il est décédé quelques jours après son admission à l’hôpital.
Dans une relation patient-médecin bien établie, les patients sont souvent dans un état fortement influençable. Durant une telle rencontre, les paroles du clinicien pourraient être aussi puissantes qu’une injection de médicaments. Pourtant, dans la formation médicale, quelles réflexions a-t-on accordées à cette notion?
Données probantes sur l’effet nocebo
L’effet nocebo est corroboré par bien plus que des anecdotes. Dans un article publié en 2011 portant sur l’effet nocebo et sa pertinence pour la pratique clinique, des chercheurs examinaient des traitements pour l’hyperplasie bénigne de la prostate et leurs effets secondaires, parmi d’autres thérapies pour d’autres problèmes5. Un groupe de patients a été informé de possibles effets secondaires de nature sexuelle, et l’autre groupe ne l’a pas été. Au suivi à 6 mois et à 12 mois, les patients qui avaient été informés de la possibilité d’une dysfonction sexuelle ont signalé des effets secondaires sexuels significativement plus importants (43,6 %) que ceux qui ne l’avaient pas été (15,3 %)5. Les enquêteurs ont conclu que la discussion sur les effets secondaires potentiels durant le consentement éclairé peut induire l’effet nocebo.
Diverses études ont confirmé certains mécanismes physiologiques de l’effet nocebo et sa capacité de produire divers symptômes. Une étude en anesthésiologie examinait les processus physiologiques durant la perception de la douleur pour expliquer de plus grandes douleurs chez les patients dont les attentes sur ce plan étaient négatives et qui présentaient une anxiété anticipatoire6. Une autre étude se servait de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle pour démontrer que des anticipations positives à l’égard du rémifentanil opioïde doublaient ses effets analgésiques en raison d’associations avec une activité observable dans la modulation endogène de la douleur dans le cerveau7. Il a aussi été proposé ce qui suit :
des suggestions verbales d’un résultat positif (diminution de la douleur) activent la neurotransmission endogène des μ opioïdes, tandis que des suggestions d’une issue négative (augmentation de la douleur) activent les récepteurs CCK-A [cholécystokinine A] et/ou CCK-B8.
Des effets gastro-intestinaux peuvent aussi être induits par nocebo. Myers et ses collègues ont constaté que la simple mention d’effets secondaires gastrointestinaux possibles multipliait par 6 (p < 0,001) le nombre de sujets dans des centres qui se désistaient de l’étude en raison de symptômes gastro-intestinaux mineurs subjectifs9. Une réaction nocebo similaire a été observée avec des relaxants musculaires10. Des chercheurs ont été capables de déclencher (et de mesurer) une baisse de l’effet bronchodilatateur de l’isoprotérénol en disant simplement aux patients qu’il induisait un effet de bronchoconstriction plutôt que de bronchodilatatation11.
Une revue systématique de 2009 portant sur des essais cliniques de médicaments contre la migraine démontre aussi la puissance du nocebo :
En outre, et fait encore plus intéressant, les événements indésirables dans le groupe avec placebo correspondaient à ceux de la médication anti-migraine avec laquelle le placebo était comparé. Par exemple, l’anorexie et certains problèmes de mémoire, qui sont des événements indésirables typiques des anticonvulsifs, n’étaient présents que dans le groupe avec placebo de ces essais. Ces résultats portent à croire que les événements indésirables dans le groupe avec placebo des essais cliniques dépendent des événements indésirables du médicament actif avec lequel le placebo est comparé. Ces constatations sont congruentes avec la théorie de l’expectative des effets placebo et nocebo12.
Si nous pouvons constater de tels résultats mesurables dans des études contrôlées, à quel point les paroles d’un médecin ont-elles plus d’influence sur le patient qui le connaît et lui fait confiance depuis des années? Par conséquent, nous faisons face à un exercice d’équilibriste à chaque rencontre clinique.
Marcher sur la corde raide
Notre profession nous oblige à discuter avec les patients des effets secondaires communs et potentiellement dangereux des médicaments. Aucun médecin ne devrait induire un patient en erreur. Des effets secondaires potentiellement sérieux ne devraient pas être cachés, et ils doivent être expliqués clairement. Par ailleurs, les médecins devraient aussi être conscients de la mince marge entre informer les patients des effets secondaires d’un médicament et provoquer de tels effets secondaires chez un patient influençable.
De plus, certains patients pourraient « se convaincre » de ne pas prendre leurs médicaments. Dans ma pratique médicale, un examen inutile et trop détaillé de douzaines d’effets secondaires possibles, souvent à la demande de patients anxieux, les a occasionnellement incités à s’abstenir de commencer des médicaments qui auraient été bénéfiques pour leur santé globale.
En outre, certains des divers effets secondaires énoncés n’ont que peu de causalité ou aucune, et sont généralement tirés de commentaires de participants dans les rapports sur les essais pharmacologiques, sans beaucoup d’autres examens approfondis.
L’effet nocebo est, de par sa nature, difficile à étudier dans un environnement scientifique rigoureux. Sur le plan éthique, il est préoccupant de suggérer délibérément des issues négatives dans l’esprit des patients. Il pourrait néanmoins être utile d’étudier chez les patients les caractéristiques qui sont susceptibles de les rendre plus vulnérables au nocebo.
Une étude publiée dans le JAMA énonçait les facteurs de risque cliniques d’une susceptibilité à l’effet nocebo suivants13 :
l’anticipation d’effets indésirables par le patient dès le début du traitement;
un processus de conditionnement selon lequel les patients apprennent d’expériences antérieures à associer le fait de prendre des médicaments avec des symptômes somatiques;
certaines caractéristiques psychologiques, comme l’anxiété, la dépression et la tendance à somatiser;
certains facteurs situationnels et contextuels.
Des recherches entourant d’autres modèles cliniques semblables pourraient permettre aux cliniciens de mieux naviguer dans les rencontres avec des patients enclins à subir l’effet nocebo. Il incombe à tous les cliniciens d’être conscients de cet effet et de l’atténuer le plus possible dans leur pratique médicale.
Nous devons apprécier davantage la puissance tangible que nos paroles peuvent avoir sur nos patients. Le défi auquel nous sommes confrontés est de créer un environnement plus positif pour les patients, tout en demeurant honnêtes au sujet de leurs pronostics et des risques que présentent les thérapies médicales que nous leur proposons.
Notes
Les Cinq premières années de pratique est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, sous la coordination du Comité sur les cinq premières années de pratique de la médecine familiale du Collège des médecins de famille du Canada. Cette série a pour but d’explorer des sujets susceptibles d’intéresser surtout les médecins en début de pratique, de même que tous les lecteurs du Médecin de famille canadien. Nous invitons tous ceux et celles qui en sont à leurs 5 premières années de pratique à présenter une contribution d’au plus 1500 mots (www.cfp.ca/content/Guidelines) au Dr Stephen Hawrylyshyn, ancien président du Comité sur les premières cinq années de pratique de la médecine familiale, à steve.hawrylyshyn{at}medportal.ca.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the November 2020 issue on page 862.
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Références
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