Alors que l’intérêt mondial se tourne de plus en plus vers les symptômes que présentent les patients à leur médecin de famille, un symposium international, intitulé Symptoms in Family Practice : New Findings Using EMR Data, se tenait le 13 novembre 2019 au Western Centre for Public Health and Family Medicine de la Faculté de médecine et de chirurgie dentaire Schulich de l’Université Western à London (Ontario). Nous décrivons le contexte du symposium et nous présentons les idées qui ont émergé durant les vigoureuses discussions qui ont eu lieu à cette occasion.
Trois conférenciers invités venant de l’Université Radboud de Nimègue, aux Pays-Bas, ont présenté les résultats de leurs recherches : le Dr Tim olde Hartman, « Medically Unexplained Symptoms (MUS) : Results of Studies in the Netherlands »; le Dr Peter Lucassen, « Depression and Depressive Symptoms »; et le Dr Kees van Boven, « The Coding of Symptoms in ICPC ». Les Drs Tom Freeman et Daniel Léger, tous 2 du Département de médecine familiale et du Centre des études en médecine familiale de l’Université Western, ont présenté des données canadiennes sur les symptômes.
Le symposium s’est amorcé par une brève revue de la documentation internationale sur les symptômes et ses 6 principales constatations1. Parmi elles figurent des données probantes voulant que les symptômes génèrent de 30 à 60 % de la charge de travail quotidienne en pratique familiale, selon les études. De plus, les ouvrages scientifiques nous disent que les symptômes persistants sont corrélés à une plus grande utilisation des soins de santé, à une moins bonne qualité de vie, à une incapacité liée au travail plus élevée et à la mortalité. Fait à remarquer, des études ont démontré qu’au moins le tiers des symptômes communs ne font pas l’objet d’un diagnostic de maladie, mais demeurent plutôt inexpliqués, et si un diagnostic est posé, il n’est fondé que sur l’anamnèse et l’examen physique. De plus, des études antérieures ont fait valoir que les symptômes persistants sont associés à des symptômes multiples plutôt qu’à un seul, et des symptômes physiques et psychologiques sont souvent concomitants. En dépit de ces complexités, de nombreux symptômes s’améliorent en quelques semaines chez la plupart des patients, mais ils deviennent chroniques (ou récurrents) chez environ 25 % des patients. Ces constatations tirées des ouvrages de recherche en pratique familiale revus par Kroenke1 indiquent que les symptômes constituent une partie importante de la médecine familiale et méritent notre attention dans la recherche, l’enseignement et la pratique2.
Les 5 présentateurs au symposium ont décrit leurs expériences cliniques et les résultats des recherches tant aux Pays-Bas qu’au Canada. Les résultats qu’ils ont présentés ont fait ressortir 2 grandes questions à examiner. La première est la nécessité d’adopter une approche clinique efficace à l’égard des symptômes dans la pratique quotidienne en répondant à la question : « Comment un médecin de famille peut-il traiter les symptômes, surtout en l’absence d’un diagnostic de maladie? » La seconde est la notion selon laquelle il faut une approche pédagogique pour répondre à la question : « Comment les professeurs en médecine familiale peuvent-ils traiter des symptômes devant les étudiants en médecine et les résidents? »
L’approche clinique
La vaste approche clinique globale décrite durant le symposium soutenait que les symptômes devraient être considérés comme une invitation lancée par le patient au médecin de famille à explorer et à reconnaître son histoire. Cette approche générale est issue d’études sur la dépression, dont les symptômes sont nombreux et variés3. De nouvelles études de recherche dans le cadre du paradigme de la théorie des réseaux démontrent qu’il pourrait être plus productif de considérer la dépression comme un réseau de symptômes qui interagissent plutôt qu’une entité dans le corps qui cause des symptômes. La recherche montre aussi qu’il n’y a pas de modèles communs de symptômes concomitants; il existe plutôt de nombreux types de modèles qui se produisent peu fréquemment4. En outre, les différents symptômes s’influencent mutuellement de manières souvent uniques plutôt que courantes5. Une approche pourrait être de demander aux patients s’ils ont une idée de ce qu’il leur arrive; une variante serait de leur demander de raconter leur histoire6. Il s’agit d’un point important. Les médecins de famille ont parfois un choix à faire sur la façon de poursuivre la visite : rechercher activement un diagnostic de maladie ou écouter simplement le récit. C’est certainement le cas lors de consultations pour des symptômes psychologiques, comme se sentir déprimé ou anxieux. La question se situe dans la priorité à accorder. Le médecin de famille devrait-il accorder la priorité à la quête d’un diagnostic? Par exemple, le médecin de famille devrait-il chercher activement un trouble de dépression chez un patient qui dit se sentir déprimé? Ou encore devrait-il considérer en priorité la plainte de se sentir déprimé comme une invitation à amorcer une conversation sur ce qui se passe dans la vie de ce patient? Il importe de se rendre compte qu’il y a un choix à faire, parce qu’en commençant par le questionnement médical habituel (accorder la priorité à la recherche d’un diagnostic) on pourrait réprimer une conversation à propos de la vie et du contexte du patient.
Les études présentées montraient une discordance entre les perceptions des médecins de famille et des patients des soins offerts et reçus. Le docteur avait souvent l’impression que les symptômes du patient étaient causés par des problèmes psychosociaux, et que le patient demandait des interventions médicales que le médecin de famille n’approuvait pas, c’est-à-dire que « le médecin essaie, mais le patient ne comprend pas »7. Le patient avait souvent l’impression que le docteur le jugeait et croyait que les symptômes étaient « dans la tête du patient », d’où l’insatisfaction du patient, c’est-à-dire que « le patient essaie, mais le docteur ne comprend pas »7. Une étude sur des conversations réelles durant des visites de patients auprès de médecins de famille a montré que les médecins exploraient rarement les symptômes en fonction des idées, des préoccupations et des attentes du patient; qu’ils proposaient des interventions somatiques plus que les patients en demandaient; qu’ils présentaient des explications ambivalentes; qu’ils faisaient rarement preuve d’empathie; et que la plupart du temps, ils ne proposaient pas de visite de suivi8. De leur côté, les patients demandaient rarement des interventions somatiques, mais sollicitaient plus souvent du soutien émotionnel. Les indices multiples révélant des problèmes psychosociaux étaient rarement reconnus par les médecins. Les patients ont dit s’inquiéter que leurs symptômes ne soient pas pris au sérieux8. Des études de recherche proposent une approche clinique suivant un plan en 4 volets pour les patients dont les symptômes sont constants et récurrents : être à l’affût des indices que donnent les patients de leur expérience des symptômes, répondre de manière encourageante aux indices des patients, discuter avec les patients des explications possibles, et offrir une consultation ou une visite de suivi. Les conférenciers au symposium ont proposé des façons d’entretenir les espoirs de rétablissement des patients et de manifester de l’empathie afin d’aider les participants dans la mise en œuvre de ce plan en 4 volets9-11.
L’approche pédagogique
Les conférenciers ont reconnu la nécessité d’une formation plus approfondie sur la nature, la fréquence et les symptômes communs en pratique familiale. Tout cursus doit être basé sur des données probantes fondées sur la pratique. Les participants au symposium ont appris que le codage des symptômes que présentent les patients au moyen de la Classification internationale des soins primaires (CISP) peut engendrer des connaissances applicables au sujet de l’évolution naturelle des symptômes. Le recours à la CISP permet de coder les motifs des rencontres (y compris les symptômes) et l’issue de la visite (symptômes ou diagnostic)12,13. Ce système de codage a été expliqué durant le symposium. En outre, des exemples de recherches sur la CISP au moyen des dossiers médicaux électroniques ont été présentés, et les conférenciers ont démontré des façons novatrices d’intégrer cette information dans l’enseignement.
Compte tenu de l’omniprésence des symptômes en pratique familiale, les conférenciers ont fait valoir que l’éducation sur les symptômes devrait figurer parmi les grandes priorités des programmes d’études en médecine et de résidence. Ils ont proposé 2 guides sur l’élaboration des cursus14,15. Il existe effectivement des lignes directrices, et ces guides reconnaissent que les médecins n’expliquent souvent pas les symptômes aux patients16. Cela est peut-être attribuable au fait que les médecins n’ont tout simplement pas assez de renseignements axés sur la pratique familiale, comme la durée possible d’une toux sans complication. De tels renseignements, selon une étude canadienne, ont été présentés par le Dr Freeman lors du symposium et sont en voie d’être diffusés17.
Une formation fondée sur des données probantes concernant les symptômes en pratique familiale procurerait aux étudiants de l’information à ce sujet, et leur enseignerait une approche de la prise en charge et du traitement des symptômes en l’absence d’un diagnostic.
Conclusion
Le symposium sur les symptômes en pratique familiale avait pour but de mieux faire connaître la recherche sur ce sujet au Canada et d’apprendre de collègues internationaux en médecine familiale, tout en ouvrant la voie à l’utilisation des constatations de la recherche canadienne pour améliorer la pratique clinique et l’éducation en médecine familiale.
Footnotes
Remerciements
Le symposium a reçu un soutien financier grâce à une subvention du Fonds des projets spéciaux du Citywide Department of Family Medicine, du London Health Sciences Centre et du St Joseph’s Health Care London. La Dre Moira Stewart a reçu du financement de la Chaire de recherche du Canada D Brian W. Gilbert (volet 1) en soins primaires (2003-2017).
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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Références
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